Par Clémentine Kœnig
« Temps de merde ! », s’exclame un Parisien à la sortie de la station Richard-Lenoir. Il pleut à verse ce samedi 4 mars, mais la quarantaine de personnes qui participent à la Nuit du Code Citoyen est bien au chaud depuis 9 heures du matin. Ce sont des codeurs, bien sûr, mais également des ingénieurs, des philosophes, des entrepreneurs, des start-up ou de simples curieux passionnés de numérique qui se sont réunis au Square pour un hackathon très spécial. Autocollants « #32mars » sur les ordinateurs portables, casques vissés sur les oreilles, regards affutés, ils redéfinissent tranquillement la démocratie.
Open My Ethic Democracy Now
Le hackathon (contraction de « hack », comme « hacker », et « marathon ») est un événement qui permet de rassembler des cerveaux pour faire émerger des solutions numériques innovantes en un minimum de temps. En clair, on arrive avec un projet à « pitcher », que l’on présente tour à tour devant tous les participants en mode speed dating : une idée de site ou d’application, l’amélioration d’une fonctionnalité, la mise en place d’un nouvel outil. Untel cherche à perfectionner son site de fact-checking politique, une autre voudrait trouver de meilleurs outils de visualisation pour présenter des données. On se découvre des atomes crochus, la sauce prend, des équipes se forment rapidement. Et après un intense brainstorming, il est temps de se mettre au travail : code, graphisme, texte, débats… En une soirée ou sur quelques jours, des solutions émergent – en général sous la forme d’un embryon de projet plutôt que d’un vrai bébé fait de 0 et de 1. Mais l’idée est là, et le temps de quelques heures, des dizaines de passionnés ont tout donné pour que ça marche.
Le gouvernement a flairé le bon filon et organise régulièrement ses propres hackathons autour de thèmes précis, sous la forme de concours avec une petite somme d’argent à la clé. Juste après les attentats de novembre 2015, la mairie de Paris organisait un hackathon dédié à la sécurité. Résultat ? Quatre cents personnes se mobilisent pour créer un logiciel de géolocalisation pour les centres d’appels d’urgence, un jeu vidéo contre l’embrigadement, un outil pour détecter les fausses rumeurs sur les réseaux sociaux… À la fin de l’année dernière, le ministère de l’Environnement organisait « #HackRisques », un hackathon autour de la prévention des risques naturels ; début 2017, c’était au tour de Jean-Marc Ayrault de se lancer dans le hackathon-game avec « #DiploNum » : 92 participants sont venus « dé-coder le Quai d’Orsay » en proposant, entre autres, un outil de géolocalisation pour améliorer la sécurité des Français à l’étranger, une plateforme pour faciliter les échanges multi-langues, un projet visant à standardiser la création web au sein du ministère… Le hackathon, cet appel à projets pour quand le gouvernement ne sait pas trop quel projet appeler et n’est pas d’humeur à dépenser trop d’argent.
Début de la présentation à #Lyon. La #NuitCodeCitoyen, c’est parti ! pic.twitter.com/m6bbDuEp3t
— Les Bricodeurs (@LesBricodeurs) 4 mars 2017
Les Bricodeurs, eux, n’ont aucun lien avec un quelconque ministère. Ce collectif de développeurs basé à Lyon a eu l’idée d’un événement de 36 heures qui rassemblerait 8 villes, 3 pays et 26 projets (soit des centaines de participants) sous un nom quasi utopique : la Nuit du Code Citoyen. Une sorte d’Intervilles du code, un hackathon indépendant entièrement dédié aux questions citoyennes actuelles : démocratie numérique, partage des données, nouveaux médias, éducation au numérique… Les Bricodeurs (qui ont saisi qu’il n’est pas nécessaire de mettre un hashtag dans le nom d’un événement pour que ce dernier attire les foules) planchent depuis des mois sur l’organisation « glocale » de la chose : des événements locaux, une ambition globale.
À Paris, c’est au Square que ça se passe. Un immense espace de co-working aménagé dans l’ancienne concession Renault du passage Saint-Pierre Amelot, dans le 11e arrondissement. Un open-space géant, des bureaux dans tous les sens, un quota chaise/canapé fort plaisant, des figurines de personnages de jeux vidéo sagement rangées sur les étagères et des Post-it de toutes les couleurs collés sur les grandes baies vitrées. En bref, l’endroit idéal pour un hackathon, un événement qui demande autant de concentration que de créativité, de travail solitaire que d’esprit d’équipe.
La #NuitCodeCitoyen @SquareParis c’est une douzaine d’ateliers sur médias, budgets, débats, citoyenneté, mobilisations, solidarités… pic.twitter.com/AAGJaRzJXE
— OpenDemocracyNow! (@opendemnow) 4 mars 2017
Lorsque l’on passe la porte du Square, il est 17h30 et le boucan de l’averse sur notre parapluie est instantanément remplacé par un bourdonnement familier : celui des doigts sur les claviers d’ordinateurs et des débats à mi-voix. L’ambiance est à la fois studieuse et électrique : l’heure de la restitution des projets approche. Ici, on travaille en ayant branché ses écouteurs et remonté son écharpe jusqu’aux oreilles. Au fond des gobelets en carton, des restants de boisson couleur rouge bordeaux.
Virgile Deville, co-fondateur de la plateforme DemocracyOS France et chargé du bon déroulement de la journée parisienne, nous fait visiter. Sous les néons du Square, les participants se sont divisés en petits groupes de deux à dix personnes. Neuf groupes, pour neuf projets tournés vers la démocratie de demain. Ici, les bonshommes d’OpenGov sont attelés à la rédaction d’une charte éthique du journalisme au temps des réseaux sociaux ; là-bas, Wikidébats diffuse une grande discussion en direct sur Facebook : « La civilisation occidentale est-elle en déclin ? » Vaste sujet !
Leurs groupes portent des noms qui font rêver, à base d’« open », de « democracy », d’« ethic » et de pronoms personnels ou possessifs, car l’action passe par la réappropriation : ma voix, ma ville, mes choix, mes lois.
Qui est là ? Des hommes, en très grande majorité. « Tu t’attendais à voir des geeks ! », me sort Werner, jeune candidat aux législatives et créateur du site Politicus Focus. En réalité, le nombre de jeunes aux yeux cernés cachés sous leur pull à capuche noire à la Mr. Robot est presque nul. Les âges vont de la petite vingtaine à la cinquantaine bien tassée, les looks vont de la veste en cuir pour elle au gros sweat-shirt pour lui en passant par la chemise entrouverte. Un seul point commun, finalement, entre tous les électrons libres de cette bande : un goût pour l’engagement citoyen.
Brainstorming, co-working, networking
Près de l’entrée, Baki et Hugo bossent sur WeMob, une plateforme de mobilisation « 360° ». Qui permettra, si tout se passe comme prévu, de suivre l’avancée d’un projet du début à la fin (par exemple, nettoyer les rives de la Seine) et de le soutenir en toute transparence. En donnant de son argent, de son temps et de la visibilité – en langage Internet, « crowdfunding, crowdtiming, petitioning », résume Baki, également à l’origine du site de pétition en ligne We Sign It. « Hugo et moi, nous nous connaissons depuis… 9h du matin », explique le jeune homme en éclatant de rire. « J’ai pitché mon projet, deux ou trois personnes sont venues vers moi et finalement, seul Hugo est resté. Et demain, on tourne : chacun ira aider un autre groupe sur un projet différent. » La démocratie participative à son meilleur ? « Je n’aime pas ce terme, pourtant très à la mode », répond Baki, catégorique. « C’est un pléonasme. La démocratie est participative ou n’est pas une vraie démocratie ! »
De son côté, Paula souligne l’importance du networking en milieu hackathonesque. Elle-même travaille pour Etalab, le service du Premier ministre en charge de l’ouverture des données publiques et de la concertation citoyenne ; mais c’est lors d’un hackathon en décembre dernier que la jeune femme et ses collègues ont lancé OGP Toolbox, un site qui recense tous les outils numériques à dimension citoyenne… et libres d’accès. Car c’est là un enjeu primordial : tous ces logiciels, bien souvent, sont en « open source » – signifiant que le code est accessible et modifiable par tous ; n’importe qui peut l’adapter à ses besoins, l’améliorer. « On rencontre souvent les mêmes participants dans les hackathons ; nous partageons la même sensibilité, nous intéressons aux mêmes problématiques, les obstacles que nous rencontrons sont similaires. C’est un événement idéal pour rencontrer des gens qui ont les mêmes intérêts et faire avancer un projet rapidement. »
Live night #opensource hackathon for Real #Real Rennes #tech #NuitCodeCitoyen #nccbzh
En Humain et en musique pic.twitter.com/EpjuSvnvOG— xavier coadic (@XavierCoadic) 4 mars 2017
Angie, de l’association MySociety, nous confirme que le hackathon est avant tout un lieu de rencontre. L’occasion de parties endiablées de ping-pong d’idées, d’avoir un aperçu de ce qui se fait, qui sont les gens à suivre et quelles sont les grandes idées du moment. « En deux jours à peine, impossible de monter un projet de 0 à 100%. Il faut pouvoir travailler sur la continuité. Mais il suffit d’une étincelle, et c’est pour cette raison que l’événement est public : il est ouvert autant aux codeurs qu’à ceux qui ont une bonne idée. »
À l’heure où certains voient un lien tenace entre la multiplication des écrans et l’individualisation de la société, il semble sage de relativiser : en 2017, pour autant que l’on habite la capitale, il suffit de s’inscrire sur le site jemengage.paris.fr pour devenir bénévole auprès d’une association de quartier. En quelques clics, c’est fait. Au même moment, on suit des manifestations en direct grâce aux bons hashtags ; tandis que de l’autre côté de l’Atlantique, des hackers s’activent pour sauvegarder les données et études sur le climat que le nouveau président américain aimerait mieux voir disparaître. Et au Square, alors que la nuit tombe en même temps que la pluie, on se donne rendez-vous le lendemain matin, 9 heures. Certes, le temps est mauvais, mais l’époque est loin d’être si terrible.