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Ateliers Wonder/Liebert : « Pepax » artist-run space

Ateliers Wonder/Liebert : « Pepax » artist-run space

Alors que nous avions parlé de la fermeture du Wonder et de L’Amour et appelé au soutien des espaces alternatifs de création, voici du nouveau : les ateliers Wonder/Liebert. Depuis deux mois, un groupe issu du Wonder construit ces ateliers dans un ancien bâtiment de bureaux à Bagnolet. Le lieu regroupera des espaces de vie, d’échange, de création et de diffusion, comme tous les lieux alternatifs et autres squats d’artistes ; il accueillera une trentaine d’artistes et une résidence internationale.

Ils sont dix à gérer le projet : Francois Dufeil, Grolou, Nelson Pernisco, SAEIO, Basile Peyrade, Thomas Teurlai, Jérôme Clément-Wilz, Pierre Gaignard, Jacques… (et leur ami pepax-man ?) Ce ne sont que des garçons (eh oui, rien n’est parfait), des artistes très engagés pour le moment dans les travaux de rénovation, d’administration et d’organisation de l’espace. Nous avons rencontré quatre d’entre eux.

L’ouverture ? Ce lundi 20 février avec « DIRTY PEPAX » : exposition collective littéralement enflammée à l’« esthétique brutalo-schlaguesque » (retranscrit fidèlement), accompagnée de quelques concerts. Un événement en partenariat avec le Palais de Tokyo : les institutions artistiques, qui encadrent la création et la diffusion, chercheraient-elles à investir ces lieux alternatifs ? Comme disait une amie : ouroboros ! N’est-ce pas un peu le serpent qui se mord la queue ?

Je ne m’en fais pas trop pour le moment quant à la récupération, nous avons une longueur d’avance sur la liberté.

© Paloma

Manifesto XXI – Comment définissez-vous ce nouvel espace ? Vous parleriez de « squat » ?

Jérôme : Il y a une notion importante, c’est celle d’« artist-run space », c’est-à-dire un lieu qui soit pensé, créé et construit par des artistes, pour des artistes.

Nelson : Il y a une liberté en ce qui concerne les normes de l’espace et ses différentes utilisations, mais nous avons signé une convention d’occupation temporaire pour un an : ce n’est pas un squat. Ce sont des ateliers collaboratifs d’artistes avec une mutualisation du matériel pour faire ce qu’ils aiment.

© SAEIO Nolens Volens

Comment vous organisez-vous ? Qu’est-ce qui a évolué entre l’ancien Wonder et ce nouveau lieu ?

Nelson : Il n’y a pas de hiérarchie, c’est une construction horizontale entre les dix artistes en résidence. On a toujours la même énergie. Sinon, les ateliers bois, sérigraphie et peinture, par exemple, fonctionnaient bien au Wonder, donc ça s’est déplacé ici naturellement. L’espace est divisé en cinq pôles sur cinq étages : musique, construction, édition et illustration-tatouage, peinture et réalisation (un étage sans poussière avec des espaces privatifs), et cuisine.

Grolou :  L’espace cuisine est nouveau et il servira à inviter des artistes culinaires, en considérant la cuisine comme un art à part entière. Ce ne sera donc pas un restaurant, mais un espace d’expérimentation comme le reste du lieu, qui ouvrira de temps en temps avec des menus inédits.

Jérôme : Le fonctionnement est plus carré qu’à l’ancien Wonder. Il y a un appel à candidatures sur dossier pour les ateliers d’artistes, donc ce n’est pas du tout du copinage, et toutes les personnes qui travaillent ici ont déjà une reconnaissance artistique et professionnelle.

Pierre Gaignard, « Lu Teremute », 2015

Basile : Il y a potentiellement toutes les disciplines représentées, ce qui était déjà le cas au Wonder, et les ateliers ne sont pas cloisonnés, ni matériellement ni dans l’idée. Ça permet des passages et des partenariats, l’observation et l’apprentissage de techniques nouvelles, et d’avoir confiance pour s’essayer à beaucoup plus de pratiques.

On a plus la volonté aussi de s’inscrire dans le paysage culturel que ce que l’on a pu faire à Saint-Ouen : faire des projets avec les structures autour – théâtres, cinémas, écoles…

Au-delà de la pluridisciplinarité et du décloisonnement, ce nouveau lieu a-t-il une influence sur votre travail ?

Jérôme : C’est la première fois que je vis en collectif et c’est comme un magnifique nouveau continent, ça me permet de revoir complètement ma manière de créer et mon avenir artistique. C’est une dynamique de travail très différente de lorsque tu es isolé. Et ce nouveau lieu est plus lumineux, spacieux et propre, avec une différentiation entre les espaces de vie et de création. Quand j’étais au Wonder avec le groupe La Tendre Émeute, je ne pense pas que j’aurais voulu y installer mon bureau en tant que réalisateur.

© Paloma

Basile : Je remarque qu’il y a eu une évolution chronologique des espaces occupés : avant, c’était des bâtiments industriels, maintenant c’est un bâtiment de bureaux. La suite logique sera peut-être des supermarchés !

Nelson : De mon côté, l’esthétique industrielle avait beaucoup marqué mon travail, mais aujourd’hui, il y a le défi d’investir de nouveaux lieux comme les bureaux ! Peut-être que bientôt cette esthétique « ghetto-bureau », que l’on déteste tous avec cette espèce de moquette horrible et ses lampes, deviendra justement le nouveau truc cool où tout le monde voudra venir manger une pizza et voir de l’« Art ».

(rires)

© Paloma
Atelier de Jérôme Clément-Wilz © Paloma

Nous avons remarqué l’absence de femmes dans l’équipe !

Nelson : Ça craint ! Aux débuts de l’ancien Wonder, il n’y avait pas beaucoup de filles non plus, donc on pourrait se dire que c’est à cause des travaux, mais absolument pas, je connais tellement de filles plus fortes que moi, en soudure par exemple…

Basile : Ça s’est fait comme ça, parce que l’équipe vient du Wonder où il n’y avait pas beaucoup de filles qui habitaient sur place, même s’il y en avait dans les ateliers. Il fallait qu’on soit sûrs de ne pas s’entretuer. Donc il n’y a pas de filles résidentes ici mais, par exemple, je coordonne le pôle édition avec une amie. C’est un peu déséquilibré je trouve, pour l’instant.

Jérôme : Bah on est tous gays ! Ça te donne une raison.

Grolou : Et puis trois mois sans douche, c’est galère aussi, tu vois ! Si elles ne sont pas arrivées c’est bien pour une raison ou pour une autre !

Non mais dites donc ! Ce n’est pas une raison ! Et ce n’est sans doute pas non plus à cause de la douche, entre nous…

Grolou : Ça c’est fait comme ça ! On aurait bien aimé que ce soit le contraire, on ne vit qu’entre hommes, c’est un peu fatigant !

(rires)

© Paloma

Considérez-vous Le Wonder comme un label ?

Nelson : C’est une question qui revient régulièrement dans nos réunions. Non, car les lieux sont ouverts pour la création personnelle. D’ailleurs, le terme « collectif d’artistes » n’est pas approprié non plus. Nous travaillons seulement en collectif dans l’élaboration des espaces, et des collaborations se créent à partir de nos amitiés.

Par contre, on se met aussi à vouloir « labelliser » nos événements, d’une certaine manière, à travers la newsletter par exemple, qui diffusera les événements des artistes. C’est aussi un désir commun de signifier que nous faisons partie d’une même équipe, mais il n’y a pas de démarche de labellisation d’artistes en tout cas.

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« Les résidus dystopiques », installation dans un parking souterrain, 2013 © François Dufeil

Quels sont vos rapports avec le marché de l’art et les institutions ? Jusqu’où le Palais de Tokyo s’investit-il dans votre projet ? Vous ne craignez pas une récupération institutionnelle ?

Basile : Lors de notre résidence (l’installation Kiuaskivi pour l’exposition « Run Run Run« ) à la Villa Arson, nous avions été invités sur cette notion d’« artist-run space ». C’est une évidence, même si il n’y a pas de revendications politiques. Nous faisons des choses plus intéressantes que ce que les galeries peuvent nous proposer par rapport aux espaces que nous avons, parce que nous avons la liberté d’en faire ce que nous voulons. Ça peut paraître prétentieux mais c’est la réalité.

Atelier de Grolou © Paloma

Nelson : Il y avait cette phrase qui était assez souvent répétée lors de la résidence à la Villa Arson : « Pouvoir remonter de nous-mêmes le fil de la création à la diffusion ». C’est ce qui se passe. Le lieu favorise directement les rencontres entre artistes et acheteurs.

Quant au Palais de Tokyo, Thomas Teurlai, qui devait y faire une exposition, a demandé à la faire plutôt ici : donc ils nous donnent l’argent pour monter notre événement d’ouverture « DIRTY PEPAX », mais rien de plus ! Je ne m’en fais pas trop pour le moment quant à la récupération, nous avons une longueur d’avance sur la liberté.

Grolou : Ça reste de la collaboration, tant qu’ils financent ton projet, pourquoi pas ! Mais avec ou sans, nous continuons de créer.

Thomas Teurlai, « 7.9 », 2011

Nelson : D’ailleurs l’idée de « DIRTY PEPAX » est venue bien avant l’ouverture du lieu. Cette exposition est née d’un ras-le-bol du système marchand du monde de l’art, où on te donne très peu de moyens, dans des espaces réduits, et où tu te retrouves en permanence face à des personnes beaucoup moins investies que toi.

Basile : Tu nous parlais de label tout à l’heure, et c’est exactement ce qui se passe depuis dix ans dans la musique : tout le monde s’est un peu affranchi des maisons de disques grâce à Internet. Mais face au digital, il y a eu un retour au « fétichisme » de l’objet dans l’édition, dans la musique, dans les arts plastiques, etc. Et une volonté de se diffuser par soi-même est revenue aussi grâce au net où le carnet d’adresses, le réseau, est bien plus important qu’avant et dépasse les personnes censées s’en occuper…

Nelson : C’est toujours une question de réseaux vieillissants qui créent un clivage. Du coup, les artistes finissent par faire les choses eux-mêmes et contactent leurs amis qui sont en train de devenir commissaires d’expositions. Nous voyons tout de suite la différence quand on travaille avec de jeunes commissaires, c’est beaucoup plus proche de ce que nous faisons entre artistes qu’avec des commissaires expérimentés qui savent trop ce qu’ils font et qui sortent d’une école de commerce. Ce n’est réalisable qu’avec de grands lieux comme celui-ci. Sinon, nous sommes constamment en train de demander la permission, et la permission passe toujours par un réseau qui se protège, donc il ne se passera jamais rien à la hauteur de notre énergie.

© Paloma
© Paloma

 Ouverture des ateliers Wonder/Liebert le lundi 20 février avec « DIRTY PEPAX ».

Et retrouvez les artistes à l’exposition « MERCI LA NUIT » à l’espace T2 à partir du 23 février.

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Propos recueillis par Paloma, Elora et Ana.

Retranscription par Paloma et Ana.

Photos des ateliers Wonder/Liebert par Paloma.

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