Originaire du Nord de la France mais Nantais depuis quinze ans, VOYOV est un musicien, compositeur, multi-instrumentiste, parolier et chanteur, qui dévoile avec son premier EP On S’emmène Avec Toi un univers pop qui ravit tant la première écoute que la dixième. Simultanément spontanée et subtile, attrayante et réfléchie, la musique de VOYOV retient l’attention aussi bien sur disque que sur scène, où il parvient à créer une ambiance chaleureuse et dansante, alternant entre percussions, machines, chant, guitare et trompette. Une identité originale qui a visiblement su séduire le label Entreprise, qui a récemment intégré l’artiste à son catalogue. Son histoire commence comme beaucoup d’autres au Conservatoire, avant de prendre divers tournants jusqu’à cette pop moderne et rafraîchissante dont il nous régale aujourd’hui.
Manifesto XXI – Quel lien fais-tu entre ton enseignement classique et ce que tu fais aujourd’hui ?
VOYOV : J’ai longtemps fait de la trompette au Conservatoire, mais j’ai aussi appris d’autres instruments à côté et joué de la trompette dans des groupes, notamment de jazz, ce qui m’a permis de sortir un peu du cadre très théorique et très clinique du Conservatoire. Dans cette institution, tu es principalement concentré sur la lecture et l’interprétation d’œuvres déjà écrites, la part créative est moins importante.
J’ai commencé à composer de la musique sur ordinateur vers 11-12 ans, parce que mon père était musicien aussi, donc j’avais son ordinateur et ses logiciels à disposition, et il m’a montré un peu comment ça marchait.
Que t’a inspiré la scène nantaise ?
Ce qui est drôle, c’est que plein de groupes se sont formés dès le collège-lycée, dont Rhum For Pauline que j’ai rejoint au moment où la formule à deux est passée à quatre personnes. Les formations et les musiciens se mélangeaient, et ce sont pour beaucoup les gens que je retrouve aujourd’hui dans le milieu musical nantais. Et comme il y a de bons équipements et un bon entourage à Nantes, de nombreux musiciens y restent. Pour ma part, je vais probablement quand même tenter de partir à Paris, tout en sachant que les copains de Nantes ne disparaîtront pas !
Quel a été le déclic pour lancer ton propre projet ?
Ça faisait longtemps que j’avais envie de créer un projet solo, que je composais des choses dans mon coin, mais j’avais d’abord besoin de vivre l’expérience de tourner avec d’autres groupes. C’est sûr qu’avoir accompagné des groupes comme Elephanz ou Pégase m’a permis de voir comment eux se débrouillaient avec tout ce milieu. L’idée était d’apprendre autant de leurs erreurs que de leurs victoires, et d’attendre d’être vraiment prêt pour lancer mon projet personnel.
Quand Rhum For Pauline s’est arrêté, je n’étais pas sur la nouvelle tournée de Pégase car j’étais censé être avec Rhum For Pauline à ce moment-là ; Elephanz était en pause aussi, donc je me suis dit que c’était le bon moment. Tout un cycle s’était fini avec ces trois groupes dans lesquels je m’investissais depuis huit-neuf ans.
Est-ce que, comme beaucoup d’artistes de ta génération, tu es investi dans plusieurs arts à la fois ?
J’ai plein d’activités artistiques à côté mais qui sont plus des hobbies, comme la couture, le dessin… Mais la musique est la seule activité à laquelle je me concentre professionnellement. Après, ce qui est cool avec ce projet pour lequel je fais tout tout seul, c’est que je me retrouve à faire des choses que je n’aurais pas forcément imaginées, comme construire des machines pour la scène, faire des petites installations, de l’électronique… C’est cool parce que j’adore bidouiller, bricoler… ou même dessiner des costumes de scène, ça me plaît bien.
Dans quel ordre as-tu composé tes morceaux et construit ton live ?
J’avais une première base de morceaux, 20-25 minutes que je pouvais jouer, et à partir de là, j’ai fait un premier concert « test » juste avant de partir trois mois à Montréal, pour me confronter à un public, et me rendre compte de ce dont j’avais besoin pour le live. À partir de là, j’ai commencé à composer d’autres morceaux, à reprendre certains morceaux et à les réarranger. Je savais qu’en revenant de ces trois mois je devais jouer pour le festival Scopitone, donc j’ai déterminé le live pendant ce laps de temps. J’ai aussi pensé à la manière dont j’allais présenter le projet sur scène, j’ai donc commencé à fabriquer mes petites machines et choisi les instruments dont j’allais jouer.
Tu joues pas mal d’instruments différents sur scène, est-ce que cela a été dur de fixer ton set-up ?
Je n’avais pas de souci sur la manière dont j’allais piloter tous les instruments de musique, la question était plus quel instrument jouer sur quel morceau, et comment s’arranger pour que les instruments n’interviennent pas qu’une seule fois, mais de manière équilibrée. Je voulais aussi un juste milieu entre l’aspect électronique et organique, il était important pour moi d’avoir de vrais instruments sur scène. Je me suis également beaucoup penché sur l’aspect visuel.
Maintenant, quand je compose un nouveau morceau, je me pose la question en amont : qu’est-ce que je vais jouer, qu’est-ce que je vais lancer sous forme de boucles…
Ton premier live date de septembre 2016 ; tu l’as beaucoup rejoué depuis ?
J’ai pu avoir une date à la Péniche, à Lille, donc ça, c’était cool ; à Scopitone ensuite, puis j’ai trouvé mon tourneur, À Gauche de la Lune, et eux se sont occupés de trouver des dates autant à Paris qu’ailleurs. C’est aussi une des raisons pour lesquelles j’ai attendu de lancer mon projet, c’est que j’avais besoin d’avoir déjà un entourage professionnel. Je voulais m’éviter les cinq-six ans de galère que tu traverses quand tu démarres des projets et que tu ne connais personne, j’ai déjà traversé tout ça avec mes précédents groupes, c’est long et vraiment laborieux.
Beaucoup de choses se jouent sur les premiers temps du projet, et si au départ tu galères à fond, c’est très dur de sortir de ça. J’avais envie que ça aille vite, et j’ai eu la chance que ça se goupille bien, que des gens me fassent rapidement confiance, mon tourneur, mon manager…
Dans quelles conditions aimes-tu composer, et de quels éléments aimes-tu partir ?
Ça dépend des morceaux : en général, je compose l’instrumental d’abord, puis je laisse le morceau travailler dans ma tête et me souffler des atmosphères ou des ambiances. Quand je compose, je me projette beaucoup dans des images, des lieux, des décors, avec des gens que j’ai rencontrés… donc un sujet s’impose à moi assez naturellement. De là, j’écris des paroles.
Je passe beaucoup de temps à discuter avec mes amis, les gens que je rencontre en général, et de là, j’essaie de voir les questions que chacun se pose dans son coin et qui en fait sont les mêmes pour tout le monde. Je n’aime pas trop parler de moi dans mes morceaux, j’aime bien l’idée que ça s’adresse à tout le monde. J’aime faire état d’une génération, des problèmes que l’on rencontre, parce que je pense qu’on ne s’est jamais autant posé de questions par rapport à notre époque, notre identité, notre place dans le monde à 25 ans, par exemple… J’évite l’extrême pessimiste ou optimisme, j’essaie juste de faire un état des lieux.
Pour l’aspect instrumental, de quoi aimes-tu partir ?
Ça peut être un thème, une ligne de guitare, une série d’accords… Souvent, j’arrive rapidement à une petite partie de vingt secondes très arrangée, qui va m’arriver dans la tête, avec déjà un thème, des accords, une rythmique, une basse… et je note ça sur mon ordinateur. Quand je commence à m’endormir, je me relève souvent pour noter des idées.
Tu viens de sortir un premier EP, que projettes-tu pour tes prochains formats ?
Je vais signer un deal avec un label bientôt, donc on va probablement ressortir le premier EP en physique et en vinyle, avec un ou deux morceaux en plus dessus. Ensuite, je pense enchaîner directement sur un format album.
Tu te dis attaché aux œuvres physiques, qu’achètes-tu comme vinyles ou CDs ?
L’avantage du vinyle, c’est que tu peux aussi bien acheter des très vieux morceaux que des choses qui se font aujourd’hui, mais tu as déjà une sélection naturelle.
J’ai beaucoup de disques de hip-hop, de musique africaine, brésilienne, pas mal de jazz, beaucoup de musique classique, de pop-rock indé, de la variété française… Je télécharge beaucoup de musique parce que j’ai besoin d’en consommer beaucoup, mais j’achète toujours ce que j’aime ensuite.
Es-tu attentif à ce qui se fait sur la scène française et/ou internationale actuelle, ou composes-tu plutôt dans ta bulle sans laisser trop de musique interférer avec ton travail ?
J’ai besoin d’être au courant de ce qui se passe, mais au-delà d’un aspect professionnel. Quand j’écoute de la musique, j’essaie justement de ne pas penser à mon activité, sinon tu analyses tout et tu en oublies de te faire happer par la magie de l’œuvre. Ça a été un vrai problème pour moi à un moment mais j’ai essayé de sortir de là, car sinon tu tombes dans des systématismes de composition, tu essaies d’imiter ce que tu écoutes. C’est bien dans un premier temps, mais maintenant je préfère me laisser simplement bercer par la musique des autres.
Qu’est-ce qui retient ton attention en ce moment dans ce que tu écoutes ?
En France, je m’intéresse beaucoup à tous les projets « variété 2.0 » : Fishbach, Clara Luciani… Après, en ce moment, j’écoute beaucoup François Virot, qui vient de signer un album chez Born Bad, qui fait de la musique depuis très longtemps mais que j’ai découvert assez récemment. C’est en anglais, mais c’est la scène française très indé qui fait de la pop un peu lo-fi. J’aime bien aussi La Souterraine, Romain Marsault qui propose une folk très étrange en français. Il y a tellement de choses cool qui sortent tout le temps… Rien qu’à Nantes, ça fourmille déjà de projets !
Dans toute cette nouvelle scène fourmillante justement, est-il important pour toi d’innover pour te démarquer ?
Je pense que c’est important d’essayer, à défaut d’innover, de se perfectionner sans cesse, d’essayer de nouvelles choses et de se mettre en danger, que ce soit en termes de production, de paroles, dans la manière de s’adresser aux gens, ce que tu vas présenter sur scène comme la musique que tu fais… sinon, tu n’avances pas. À défaut d’innover, faire les choses le plus sincèrement possible, et ne surtout pas faire des choses qui ne me ressemblent pas, être fier de tous les morceaux que je propose, et passer assez de temps dessus pour avoir la sensation d’un travail de qualité.
J’aime aussi le temps passé à faire de la recherche sonore, partir avec un zoom, enregistrer des choses dehors, ou aller chercher des petits bouts de sons sur YouTube…
Est-ce que par la suite tu te verrais composer des instrumentaux pour d’autres projets, voire produire les disques d’autres artistes ?
Ce projet est aussi une sorte de carte de visite en un sens, car je vois très bien avec les autres groupes avec qui j’ai joué et au travers de mes rencontres que les projets sont extrêmement éphémères. Ce projet peut aussi bien durer toute ma vie que seulement quelque temps. Donc l’idée, c’est aussi de gagner la confiance d’autres gens, d’autres artistes, de leur montrer le travail que je peux faire, et oui, ça m’intéresse énormément de me mettre au service d’autres personnes, c’est ce que j’ai fait pendant neuf ans en jouant et en travaillant dans d’autres projets. Puis la musique reste une pratique d’échange, donc c’est paradoxal parce que là, je mène un projet solo, mais dans le but, à terme, de pouvoir échanger aussi avec d’autres personnes.
Est-ce que tu te verrais inclure des instrumentistes au sein de ton projet s’il se développe ?
Honnêtement, je ne sais pas. Ce qui me semble une bonne chose, c’est que personne ne me dit que ça manque vraiment cruellement dans mon projet scénique tel qu’il est aujourd’hui. Pour l’instant, j’ai plus envie de continuer à expérimenter, et de garder cette liberté et cette rapidité que permet un projet solo ; si aujourd’hui je compose un morceau, demain je peux le jouer sur scène. Il y a un rapport très instantané qui me plaît, qui me fait progresser.
Donc je ne sais pas trop, mais si ça vient, ce sera pour un spectacle prêt à tourner, quand un album sera sorti et que je ne serai plus en phase d’expérimentation. Mais en attendant, j’ai très envie de continuer à travailler seul autour de nouvelles installations lumineuses, d’intégrer pourquoi pas de la vidéo…
Les textes ont une place importante dans ton projet actuellement, est-ce que tu penses continuer dans cette voie ou peut-être intégrer également des morceaux instrumentaux ?
Le texte a beaucoup d’importance dans ce projet mais la musique aussi… Je ne sais pas trop, je vais voir ; après, j’aime bien le format chanson pour amener les gens dans un décor, un contexte, et avoir un environnement musical autour. Mais j’ai aussi envie de prendre des libertés instrumentales sur scène, je commence à expérimenter, même si je reste limité par les machines.
Ce format chanson t’est venu d’un intérêt plutôt pour la voix et le chant, ou bien pour l’aspect littéraire, écrit ?
Ce sont plus les mots en eux-mêmes, inspirés des conversations, réelles, ou du cinéma, du théâtre. J’aime beaucoup le dialogue, la manière naturelle qu’ont les gens de parler. Je n’irais jamais chanter quelque chose que je ne pourrais pas dire naturellement dans la vie. J’aime rester dans quelque chose d’assez réaliste.
As-tu profité de certains dispositifs d’accompagnement qui ont fait avancer ton projet cette année ?
Oui, le Chantier des Francos, que j’avais déjà fait avec Elephanz et dont j’avais un très bon souvenir ; les iNOUïS du Printemps de Bourges, le programme 360 de Trempolino… On a la chance d’avoir beaucoup de programmes de ce type en France, qui ne sont pas réservés à des artistes déjà installés. Quand le Chantier des Francos m’a pris, mon projet existait depuis deix mois, et j’ai été programmé à Scopitone sans que le programmateur m’ait vu en live…
Tu penses que c’est lié à ton historique dans le milieu musical ?
Oui, c’est ça, je pense que les gens qui me connaissent depuis longtemps me font confiance, savent que j’ai déjà une certaine expérience et que je vais faire quelque chose qui se tient.
Au-delà de ça, mon manager Séverin Mérad, mon attachée de presse Mélissa Phulpin et mon tourneur À Gauche de la Lune ont également joué un rôle important dans l’avancée du projet.
Comment penses-tu travailler l’aspect visuel, graphique et vidéo de ton projet ?
Pour l’image, j’ai commencé à travailler dès le début du projet avec ma copine, Tamara Seilman, qui a fait tous mes clips et mes photos de presse. Et forcément, comme elle me voit travailler, composer, qu’on en discute beaucoup, elle capte très facilement ce que j’ai en tête. Et puis, maintenant, on va avoir des moyens pour le faire, donc ça va permettre d’être plus ambitieux.
Finalement, même si je suis seul à composer et seul sur scène, je suis quand même très bien entouré et il y a une véritable volonté de créer une famille autour de ce projet.