Artiste pluridisciplinaire, Vittorio Santoro, né à Zurich et travaillant entre Paris et sa ville natale, s’exprime principalement – mais pas exclusivement – par la sculpture, l’installation et la photographie. Ses œuvres reposent sur des dispositifs souvent faits d’associations d’objets et d’associations d’idées, de douces interventions ouvertes à l’interprétation : une déstabilisation par le détail ou par l’événement, poussant les spectateurs-trices au questionnement. Aujourd’hui internationalement reconnu, l’artiste reste accessible, le visage ouvert au dialogue au-dessous de quelques cheveux gris, alors que nous le rencontrons par un après-midi ensoleillé pour discuter avec lui de sa nomination au prix Marcel Duchamp 2017, et de l’œuvre qu’il présente au Centre Georges Pompidou pour l’exposition des nominés du prix à partir du 26 septembre 2017.
Je crois à l’art engagé et à sa fonction sociale. J’ai toujours voulu faire un art qui bouscule, mais avec des moyens subtils et non pas de grands slogans.
Pour l’exposition du Prix Marcel Duchamp, Vittorio Santoro présente donc une œuvre qui interroge directement le spectateur en fonction du contexte social : « une œuvre qui existe dans deux contextes différents : le contexte du musée et le contexte extérieur au musée ». Ce n’est pas la première fois que l’artiste réalise des œuvres dialoguant avec l’espace public, mais dans le cadre du prix Duchamp, il interroge et met en scène frontalement les différences entre deux types de public dans et hors du musée :
« Ce qui m’intéresse, c’est de lier ces deux contextes. Mon travail existera donc en deux volets : l’intervention dans le musée et une intervention dans la ville de Paris, à travers neuf lieux différents. Il y a à la fois un effet de symétrie et de dissymétrie dans ce projet : les personnes qui verront ma présentation au Centre Pompidou auront connaissance du fait que mon intervention se déroule à la fois dans et hors du musée, mais les gens qui verront mes interventions dans la ville, ne sauront pas nécessairement que c’est une œuvre en deux volets, ni même de l’art. »
Cette prise en compte de la position du regard et du point de vue des spectateurs-trices sur ce qui est vu, selon le lieu et le contexte personnel d’observation, se retrouve dans de très nombreux travaux de l’artiste. Citons Half-Empty glass / Half-Full glass (2015) : dans cette œuvre, le surveillant de salle, galeriste ou assistant en charge de l’espace, est invité à remplir chaque jour le verre à moitié d’eau, et de décider si celui-ci est à moitié plein ou à moitié vide, questionnant les points de vue en jouant sur une expression commune. Citons aussi l’utilisation par l’artiste de nombreux journaux d’information dans ses dernières œuvres, qui mettent en scène un/des points de vue sur le monde, et évoquent les liens entre l’art, le temps et la société.
Dans l’œuvre “Avant“ se trouve après “après“ (2016) notamment, une chouette en origami est réalisée dans une page de journal choisie par l’artiste (la représentation de son regard sur le monde), mais elle est ensuite cachée, enfermée entre un miroir et un plateau d’échec. Le plateau d’échec fait référence au jeu et au dialogue entre deux personnes (l’artiste et le spectateur peut-être). Tout comme pour l’oeuvre du Centre Pompidou, cette oeuvre crée un effet de dissymétrie entre celles et ceux qui connaissent le discours de l’artiste, et celles et ceux qui ne le connaissent pas, et fait continuellement appel à l’imaginaire de la personne spectatrice.
« Je pense qu’il y a beaucoup de choses qui sont cachées dans mes pièces. Non pas parce que je veux être énigmatique, mais pour faire comprendre au spectateur qu’avec le langage, on peut arriver jusqu’à un certain point, et ensuite, il faut laisser la place à l’imaginaire. Comme artiste, je sens que je dois faire une proposition précise, mais laisser aussi le spectateur se faire sa propre idée sur le propos ou les pièces que je présente. »
Pour le prix Marcel Duchamp, l’œuvre se nomme : « Une porte doit être ouverte ou non fermée ». Les titres des œuvres de Vittorio Santoro, on le remarque, sont souvent porteur de sens, créant même parfois des jeux de mots évocateurs qui font partie de l’œuvre elle-même. L’artiste réalise également de nombreuses œuvres textuelles. Mais alors, quelle est l’importance du langage verbal pour l’artiste ?
« Beaucoup de gens me posent cette question. J’ai vécu dans plusieurs pays, donc je parle cinq langues différentes, et je suis sensible aux différentes nuances des mots et aux changements de contexte d’une phrase. Par contre, il y a dans mon travail une ambition de voir et dire les choses avec le langage de l’art. J’ai toujours essayé de ne pas être dogmatique dans mes choix, ni dans le langage que j’utilise. Donc, dans mon art, j’essaie de développer un langage où il est possible de se rencontrer à mi-chemin, entre les cultures. C’est aussi pour ça que je m’intéresse à sortir l’art du musée et de la galerie. »
Entre dialogue, communication et imaginaire, Vittorio Santoro interroge directement l’expérience spectatoriale face à l’œuvre d’art et à son discours. « Je pense que le public qui se rend dans un musée pose des questions à travers l’art et à travers ce qu’il voit, aux artistes, au musée, ou à soi-même. Pour les personnes qui n’ont jamais mis les pieds dans un musée, j’imagine qu’ils ne comprennent pas cet intérêt », nous dit l’artiste. Puis, revenant sur l’oeuvre créée pour le prix Marcel Duchamp, il nous explique l’avoir conçue « comme un parcours initiatique » :
« Le premier volet de l’œuvre au Centre Pompidou, se compose de quatre pièces, où chaque choix du spectateur sur son parcours a une conséquence sur ce qu’il verra et comment il verra la pièce. Le volet extérieur existera également sous la forme d’un parcours : il y aura neuf drapeaux accrochés dans tout Paris, et le spectateur sera invité, s’il le souhaite, à réaliser ce parcours. J’envisage ce parcours comme une expérience personnelle pour celui qui prend le temps de le réaliser. Mais la personne qui découvrira un drapeau sans rien connaître de l’œuvre se demandera aussi ce qu’il fait là et quelle est sa fonction. »
Avec cette œuvre, les spectateurs-trices hors du musée n’auront pas la même conscience d’être en train d’observer une œuvre d’art, mais cela ne les empêchera pas de se poser des questions sur ce qu’ils verront, d’être curieux ou troublés : plus que de sortir l’art du musée, serait-ce une tentative pour créer un état de spectateur hors du contexte du monde de l’art et du musée ?
Vittorio Santoro est représenté à Paris par la galerie Thomas Bernard – Cortex Athletico