Imaginez-vous un soir, sur les notes de Should I Stay or Should I Go des Clash, revenant d’une bonne petite partie de Donjons et Dragons avec vos copains, fendant l’air sur votre BMX vintage, coiffé d’une coupe au bol digne de ce nom, quand tout à coup une ombre surgit. Vous vous réfugiez dans la cabane au fond du jardin, mais c’est trop tard, seule l’ampoule éclaire intensément le hangar.
L’endroit où vous vous retrouvez est glacial, lourd d’un silence interrompu par les petits cris glaçants d’une créature qui vous cherche.
Bonne chance, c’est bientôt Halloween.
Le début du premier épisode de Stranger Things (Netflix) donne le ton de la série, une ambiance so eighties, une musique originale magique, une bande de gamins qui roulent en vélo à toute allure, une disparition inquiétante, des phénomènes surnaturels liés à un laboratoire d’État louche. Tout ça en 1983 à Hawkins, petite banlieue de l’Indiana, où tout le monde va se mettre à la recherche de Will, y compris ses meilleurs potes Mike, Dustin et Lucas, flics juniors en BMX. Les frères Duffer ont totalement réussi, avec cette première saison de seulement huit épisodes, à créer tout un univers et une intrigue effroyablement magistrale.
La multiplicité des mondes, une richesse onirique
Dans une ambiance de série américaine lycéenne qui semble a priori banale, la saison 1 de Stranger Things compose avec les mondes. Il y a tout d’abord ce monde vintage des années quatre-vingts où il fait bon être enfant ou teenager, entre casquette bicolore, appareil dentaire, et drague lycéenne, où boire des bières cul sec aux soirées est cool. Et puis, il y a ce monde futuriste du laboratoire d’État où l’on circule en combinaison blanche, assumant des expériences au-delà de toute éthique et morale. La combinaison de ces deux mondes ne donne rien de bon, puisqu’elle fait apparaître the upside down world, espace du néant, de l’ombre, et du froid. C’est un monde post-apocalyptique où celui qui s’y trouve est coincé dans ce « quelque part, juste ici » terrifiant, un monde de déclin et de mort. Serait-ce le présage d’une technique immaîtrisable dans notre monde réel, qui pourrait réussir à créer ces autres dimensions problématiques ?
Eleven est le personnage emblématique de la série, jouée par la jeune Millie Bobby Brown. Elle est la médiatrice entre ces mondes, sorte de créature-enfant fascinante, naïve et profonde dans tout ce qu’elle entreprend grâce à ses pouvoirs.
L’esthétique accomplie d’une série prometteuse
Stranger Things est une série qui a tout pour elle : musique, nouveaux acteurs talentueux, et une esthétique de génie. Il faut dire qu’elle repose sur des influences mythiques, comme E.T. de Spielberg, avec la bande de gamins traversant la forêt sur leurs vélos pour cacher une créature, Shining de Kubrick avec la scène de la hache, et bien sûr Stephen King pour l’univers de science-fiction.
L’esthétique de la série est fondée également sur des symboles récurrents. D’abord, celui de la lumière – l’électricité –, qui tout comme Eleven, fait le lien entre les mondes. Les lampes sont allumées, tout le temps, dans chaque scène. Elles clignotent et la lumière devient plus intense lorsque la créature s’approche, et traverse les murs. La mère de Will devient obsédée par les lampes et les guirlandes de Noël lorsqu’elle comprend que l’électricité est un moyen de communication avec le monde de l’ombre.
Le symbole du refuge permet de ne pas se retrouver perdu dans le néant cauchemardesque de la série, autant pour le spectateur que pour les personnages. Il y a le cocon familial, d’abord ; par exemple celui de Mike et Nancy, frère et sœur, avec une mère surprotectrice et un père drôlement perché. C’est un cocon d’abord rassurant, autour duquel pourtant se passent des choses vraiment étranges. La sphère familiale est importante dans la série : c’est au sein de la famille, du quotidien, du banal que l’incroyable se passe. Toujours dans le thème du refuge, les cabanes sont récurrentes dans la première saison. Par exemple, la cabane de Will bricolée de tissus et de planches est commune au monde réel et au monde du néant. C’est en quelque sorte un refuge pour Will dans the upside down world, symbole de sa vie passée et lieu rassurant. Hélas, même les lieux rassurants ne suffisent peut-être pas à le protéger de la créature. Eleven dort également dans une cabane lors de son voyage dans le monde réel, construction enfantine dans une chambre, mais protectrice par rapport à ce qu’elle a connu auparavant. Face au néant, au froid, à l’ombre, à la manipulation, il semble que se faire une cabane soit un bon moyen d’aller mieux pour les gamins de Stranger Things, même si la créature rôde toujours. Bricolages d’enfants, les refuges et les cabanes, tout comme les lampes, ne sont qu’en apparence des choses rassurantes et confortables, car ce sont plutôt des objets qui vont créer le fantastique, l’impensable.
Quant à la créature, et au monde parallèle, il semble y avoir un important travail sur l’angoisse. Là encore, la brèche qui permet d’accéder à ce monde du néant – soit dit en passant, un monde qu’on a du mal à nommer, ce qui augmente notre angoisse – est une brèche faite de boyaux, de toiles d’araignées, de choses visqueuses. Cette entrée, difficile d’accès, est clairement immonde et tranche avec le no man’s land du monde parallèle. La créature qui y rôde est un monstre squelettique sans tête, symbole du déclin et du vide, erreur ou instrument de la science.
La série des frères Duffer est prometteuse. Elle réunit une esthétique hors-norme et une intrigue poignante. Autour d’un thème plutôt commun, la disparition d’un enfant, Stranger Things construit avec le spectateur et ses propres représentations un style neuf entre science-fiction et horreur, parsemé de beauté futuriste et tragique, sur un fond d’euphorie propre aux 80s.
Netflix a déjà donné son accord pour une deuxième saison : vivement la suite et vivement les mêmes sensations, pour pouvoir encore s’endormir la lumière allumée après trois épisodes de la série.