Lecture en cours
Rose, queen & psy : «Quand on parle de son enfance, quelque chose brille»

Rose, queen & psy : «Quand on parle de son enfance, quelque chose brille»

Reine autoproclamée de l’élimination, Rose, première queen sortante de Drag Race France saison 2 a lancé Diva(n) une petite série d’interviews sur Instagram où elle reçoit ses camarades éliminées. Elle nous a partagé ses réflexions sur son expérience et les confessions de ses sœurs (attention spoilers).

Pas facile de partir la première d’une émission de télé-réalité aussi importante que Drag Race, surtout quand on forme un duo bien établi sur la scène parisienne avec Punani, sa meilleure amie de toujours. Qu’à cela ne tienne, Rose a fait contre mauvaise fortune bon cœur. La comedy queen a choisi de tendre le micro à ses camarades pour recueillir leurs impressions post élimination. Et qui mieux qu’elle pour discuter santé mentale après une compétition féroce ? Out of drag, la douce reine au nom fleur est psychologue. Le hasard faisant parfois bien les choses, la santé mentale a été un thème saillant de l’émission cette année avec le départ volontaire (et inédit) de Moon pour se préserver. Avant que la tournée batte son plein, nous avons discuté avec Rose d’estime de soi, de traumas et d’apprentissage.

Manifesto XXI – Comment est né Diva(n) ? Était-ce déjà un projet avant le début de la compétition ?

Rose : C’est né après le tournage. Avec Punani, on ne pensait pas qu’on aurait le temps de créer quoique ce soit en parallèle de la diffusion sauf que je suis partie très vite et c’était un peu dommage de moins vivre l’aventure. L’année dernière Lova LaDiva et La Kahena ont été absentes un moment sur les réseaux sociaux après leur élimination et je n’avais pas envie de vivre ça. On a nos comptes réseaux sociaux à deux avec Punani, elle allait avoir plein d’actus et moi beaucoup moins, voire plus aucune ! Je ne m’attendais vraiment pas à partir en première mais je ne suis pas quelqu’un de nature à me laisser aller dans une espèce de « rien ». Je voulais créer quelque chose d’intéressant et à la base l’esprit ça devrait vraiment être « bienvenue au club des éliminées », en tant que reine autoproclamée de l’élimination ! C’est Punani qui m’a suggéré de mettre en avant le côté psy, en plus du fait qu’on en a beaucoup parlé dans Drag Race.

A chaque queen passée sur le divan tu as demandé quels sont ses tocs ou petites manies désagréables. Qu’est-ce qui t’intéresse là-dedans ? 

Je voulais que Diva(n) mêle psychologie et drag, mais je ne voulais pas que ce soit une vraie séance de psychothérapie parce que ce n’est pas du tout l’objectif. Je voulais que ça reste divertissant, donc j’ai cherché ce qu’il pouvait être intéressant de découvrir chez quelqu’un·e et qui rappelle au public qu’on est des gens comme elleux. Quand on a eu la diffusion des épisodes, on s’est pris un effet star-system très étonnant. On s’est retrouvées à des viewing party où les gens nous faisaient nous sentir comme des idoles. On n’a pas vraiment l’habitude et cette position est étrange. Le public ne voit pas ou peu nos défauts pendant l’émission, or ils rappellent qu’on est des gens « normaux ». Beaucoup de réponses de queens étaient liées à la confiance en soi, à l’estime de soi et c’est un thème qui parle à beaucoup de personnes.

L’estime de soi est déjà un vaste sujet à définir et cette définition varie en fonction de qui on est. Moi je parlerais plus de liberté, d’à quel point on se sent libre ? Je ne sais pas si on a forcément besoin de s’aimer soi-même pour bien vivre. Certes ça aide mais on a surtout besoin de se sentir libre.

Rose

Les réponses à cette question varient selon les personnes, de petites révélations marrantes à des développements plus sérieux comme Piche. On dirait que ça dépend d’à quel point la personne a bien digéré sa sortie d’épisode.

Complètement. Tout a été édité bien sûr mais tout le monde a joué le jeu, il n’y a rien que j’ai coupé en me disant que ça ne passerait pas. J’ai trouvé (positivement) surprenante la réponse de Cookie. Elle dit que sa problématique c’est de faire trop pour les autres et qu’ensuite elle les étouffe. C’est marrant parce que je pense que c’est quelque chose qui ne lui a pas été tant reproché mais elle l’a réalisé en faisant l’émission.

Dans Drag Race France, on dit « Aimez-vous comme vous êtes et la vie sera toujours une fête », en traduction de la phrase originale de Mama Ru, « If you can’t love yourself how in the hell you gonna love somebody else ». Est-ce qu’une solide estime de soi est la clé pour faire du (bon) drag ?

C’est complexe. L’estime de soi est déjà un vaste sujet à définir et cette définition varie en fonction de qui on est. Moi je parlerais plus de liberté, d’à quel point on se sent libre ? Je ne sais pas si on a forcément besoin de s’aimer soi-même pour bien vivre. Certes ça aide mais on a surtout besoin de se sentir libre. On peut ne pas aimer son corps, ou qui on est à cause de nos défauts, de nos marges de progression, mais en revanche si on se sent libre et qu’on est ok avec qui on est, on est dans l’acceptation de soi. Quand je parle de liberté et d’acceptation, il y a toujours derrière la question du regard des autres, qui influence notre capacité à pouvoir se sentir libre. Le regard des autres c’est vraiment un espèce de surmoi si on prend des termes psychanalytiques. Une fois qu’on se demande quelle place on donne à ce regard, qu’on est au clair sur ça, on est capable d’avancer.

Elle est intéressante cette phrase « aimez-vous comme vous êtes… » parce que c’est une manière de trouver la liberté que de s’aimer soi-même. En y réfléchissant je crois que c’est une phrase qui peut faire peur. Si on demande à une population type si elle s’aime, je crois qu’on n’aura pas beaucoup de oui en réalité. « Aimez-vous comme vous êtes et la vie sera toujours une fête » ben bon courage quand même, c’est un sacré programme. (rires)

On parle beaucoup du futur, parce que c’est inquiétant, qu’il y a la peur de l’inconnu, mais on ne prend pas souvent le temps de regarder les pas qu’on a fait.

Rose


Dans chaque épisode, il y a un face à face avec l’enfant qu’a été la queen éliminée et chacune doit énoncer ce qu’elle aimerait se dire. C’est une question rituelle de Drag Race, pourquoi la reprendre ? 

Parce que dans toute l’histoire de Drag Race ce moment n’est offert qu’aux finalistes, or c’est une technique très utilisée dans beaucoup de thérapies. C’est toujours intéressant de faire le lien entre ce qu’on est devenu et ce qu’on imaginait devenir, c’est le moment le plus thérapeutique de Diva(n). Les queens ne s’en rendent peut-être pas compte sur le moment mais quand elles viennent parler à elles-mêmes enfants, elles font le lien entre ces deux images mais elles réalisent tout le chemin parcouru. C’est pour ça qu’il y a souvent de l’émotion, c’est se dire “quelle force j’ai eu”. On parle beaucoup du futur, parce que c’est inquiétant, qu’il y a la peur de l’inconnu, mais on ne prend pas souvent le temps de regarder les pas qu’on a fait. Ginger est la plus âgée (et encore), mais les autres m’amènent des photos qui datent d’il n’y a pas si longtemps et là les queens se rendent comptent qu’elles ont construit un truc de fou. J’aime ce moment parce qu’en peu de temps il condense beaucoup de choses. Quand on parle de son enfance, limite on redevient l’enfant qu’on était. Il y a quelque chose qui brille.

Dans son épisode de Diva(n), Moon dit que raconter ses traumatismes l’a fragilisée. Comment on peut comprendre le coût que ça représente de parler de ces épisodes ? 

Il faut imaginer que c’est un coming-out mais ce n’est pas l’image qui parlera à la majorité. C’est comme une mise à nu (et là encore ça dépend de la pudeur de chacun·e), devant des personnes qu’on ne connait que depuis une semaine et puis il y aussi toutes les personnes de la prod qui nous écoutent. C’est une énorme étape parce qu’on prend la décision de donner quelque chose qui ne va pas disparaître. Ce quelque chose va continuer à vivre, à être rediffusé, repartagé… Dans mes séances de psy, quand une personne en vient à me révéler des choses très lourdes dont parfois elle n’a jamais parlé, je le prends vraiment comme quelque chose d’hyper précieux, comme un pas vers moi. C’est ce qu’a fait Moon, elle a fait un pas vers tout le monde et un pas énorme dans sa vie aussi, je pense. Ça fait beaucoup d’émotion, en plus de toute l’émission. 

Est-ce qu’être capable de raconter son trauma sans effusion, c’est un signe de guérison ?

Voir Aussi

Non. On peut tout à fait parler d’un trauma sans émettre visuellement une émotion, et pourtant ça ne veut pas dire que la personne est passée au travers, que ça ne l’affecte plus. C’est pour ça que la santé mentale est un sujet d’autant plus compliqué.

Même quand on est éliminées, les gens nous envoient du love. Si on fouille bien sûr on trouve des choses négatives, donc ce sera ça ma reco: ne pas aller chercher la petite bête en tapant son nom sur Twitter.

Rose

Donc même si on s’identifie à une queen qui partage un vécu similaire au nôtre, on ne peut pas lui confier ses traumatismes sans penser à l’effet que ça va avoir sur elle.

Tout à fait. C’est pour ça qu’il est d’autant plus important d’en parler. Par exemple: j’étais à la viewing party de l’épisode où Moon a pris la décision de partir et quand elle l’annonce sur scène il y a des réactions différentes dans le public. Certain·es ont applaudi, mais beaucoup étaient déçues et Moon était un peu en colère, même si elle pouvait comprendre cette déception. Elle s’est retrouvée face à des gens à qui elle a dû expliquer que si justement elle devait partir, que si elle avait pu faire autrement elle ne l’aurait pas fait.  

A la lumière de ton expérience et de ce que toutes les autres candidates passées sur le divan t’ont raconté, est-ce que tu as des recommandations pour prendre soin de sa santé mentale dans l’avant et l’après tournage ? Notamment par rapport à l’usage des réseaux sociaux.

Déjà quand on s’engage dans une émission comme celle-ci, il faut être prête à être éliminée, y compris en première. J’en suis un parfait exemple. Ce n’est pas parce qu’on est extrêmement douée, que les autres nous renvoient ça, qu’on ne peut pas être éliminée. D’une manière générale, il faut être prête à partir même sur une épreuve qu’on sait parfaitement faire. Par rapport aux réseaux sociaux, ma réponse va être plus compliquée, parce qu’avec Punani on a reçu énormément d’amour. Je crois que globalement c’est ce qui revient. Même quand on est éliminées, les gens nous envoient du love. Si on fouille bien sûr on trouve des choses négatives, donc ce sera ça ma reco: ne pas aller chercher la petite bête en tapant son nom sur Twitter. On reçoit tellement de feedback naturellement. Enfin, troisième recommandation, ne pas se comparer, et c’est peut-être la plus difficile. Avant l’émission c’était déjà comme ça, des gens aimaient plus une telle qu’une autre. 

Je crois pas mal au destin et quand j’ai été éliminée la première je me suis raccroché à l’écriture et la réalisation de mon format Diva(n). C’est assez pratique de croire au destin (rires). Sans me lancer des fleurs, c’est peut-être une chance que ce soit moi qui sois partie en première. J’ai plus les épaules que d’autres pour pouvoir supporter ce coup dur, et puis ça voulait dire que j’étais dispo pour soutenir les autres, les accueillir. Psychologue un jour, psychologue toujours !


Retrouvez tous les épisodes de Diva(n) sur le compte Instagram de Rose & Punani

Voir les commentaires (0)

Laisser une réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.

© 2022 Manifesto XXI. Tous droits réservés.