La vigueur du rock, le charme de la pop, la profondeur des chansons à textes ; Jackie Palmer c’est tout cela à la fois, et bien d’autres choses encore. Des morceaux qui racontent des histoires. Des images. Du spleen. Des sentiments, mis à nu. Un univers qui a su séduire le dispositif d’accompagnement du Chantier des Francos, ou encore le jeune label Tomboy Lab, qui signe le premier EP. Sur scène, Jackie Palmer c’est quatre musiciennes, parmi lesquelles Sandra, chanteuse, auteure, compositrice et fondatrice du projet. Rencontre.
Manifesto XXI – Pour commencer est-ce que tu peux présenter un peu ton parcours, comment tu en est venue à écrire, à chanter ?
Sandra : L’année de ma terminale j’ai décidé que je ne ferai pas d’études. J’ai pensé faire une école de cinéma quand j’étais collégienne, mais finalement je crois que j’aimais surtout les films, et que je n’avais pas forcément une vraie motivation pour en faire un métier. J’écrivais de la poésie. Et après mon bac à 17 ans, je pensais qu’on pouvait écrire de la poésie dans la vie… J’ai publié un recueil de poèmes à 18 ans aux éditions Maelström, quand je suis arrivée à Paris, c’était mon premier truc un peu concret dans ma vie d’adulte. La musique est venue assez tard. J’ai eu un premier projet dans lequel je chantais, mais la musique ne collait pas trop à ce que je voulais exprimer, et je me suis dit qu’il valait mieux que j’apprenne à jouer de la musique si je voulais être sûre de chanter dans un projet qui me plaise !
Manifesto XXI – Donc ton approche de la musique vient d’abord d’une passion pour l’écriture, les textes ?
Sandra : C’est le besoin de m’exprimer, de façon brute, qui m’a fait commencer à écrire.
Manifesto XXI – Comment s’est monté ce projet Jackie Palmer ?
Sandra : Pour ce projet je ne voulais être entourée que de filles, et il s’est d’abord appelé Louves avant de s’appeler Jackie Palmer, mais c’est resté le même crew. Puis j’ai été la première signature d’un jeune label, TomBoy Lab, qui a signé également Pain Noir et Blondino, sur lequel j’ai sorti mon premier EP le 8 avril dernier.
Manifesto XXI – Jackie Palmer c’est donc ton projet, mais vous êtes plusieurs musiciennes sur scène ?
Sandra : Oui on est quatre sur scène : Vanessa Eldoh à la guitare électrique, Cléo Bigontina à la basse, Émilie Rambaud au multipad électronique et éléments rythmiques acoustiques, et moi au chant, et guitare sur quelques morceaux.
Manifesto XXI – Tu composes tout seule ou en échangeant avec le groupe ?
Sandra : Je compose seule, tous les instruments, et ensuite on voit ensemble comment on réarrange les morceaux pour le live.
Manifesto XXI – Quelle était ton idée esthétique lorsque tu as décidé de monter ce projet ?
Sandra : Ce projet je m’y suis lancée de façon assez pulsionnelle, et je n’ai pas vraiment conceptualisé ce que je faisais. C’est en le fabriquant que j’ai commencé à intellectualiser un peu les choses, et à me rendre compte de la façon dont j’avais envie d’exprimer ce que je pensais, ressentais. Je suis par exemple influencée par le cinéma, notamment celui de Terrence Malick, ça fait partie des réflexions un peu spirituelles que je peux avoir, et des images aussi qui font partie de mon catalogue d’images intérieur. J’adore le cinéma de David Lynch aussi, de Wes Anderson… C’est vrai que j’ai souvent pas mal d’images en tête quand j’écris. Des images de La Rochelle aussi, là où j’ai grandi. Sinon musicalement, j’ai écouté plein de trucs, surtout de l’indie pop, des groupes de post-rock, post-punk… Et même si ça ne se ressentait pas au début, je pense que ça se ressent plus maintenant dans la musique que je fais. Il y a eu une recherche, au fur et à mesure des concerts aussi, le chemin esthétique s’est précisé.
Manifesto XXI – Et le courant coldwave, c’est aussi une influence pour toi ?
Sandra : J’adore The Cure, Joy Division, Section 25… Oui, ça fait partie de mes influences.
Manifesto XXI – Comment composes-tu ?
Sandra : Alors je compose chez moi, avec mon ordinateur. Souvent je commence par la basse, c’est l’essence du morceau pour moi et ça laisse la place de construire autour. Pour la suite, ça dépend… J’écris le texte en même temps que je compose la musique, très rarement avant ou à la fin, j’écris vraiment en même temps que je construis la musique. Une fois les démos finies, je les envoie aux filles, puis on arrange ensemble en répétition pour le live.
Manifesto XXI – Comment décrirais-tu ton style d’écriture ? Est-ce que tu as des thématiques récurrentes ?
Sandra : Ça part souvent d’un état, un sentiment… Je n’aime pas les morceaux fourre-tout, je pense que si tu as trois idées il faut faire trois morceaux. C’est pour ça que les textes peuvent être parfois assez répétitifs, il y a un côté obsessionnel. Mémoires vives parle de l’ennui, de la solitude à deux. Sur le sable est un état de mélancolie, une sorte d’abandon, de plénitude quand on arrête de se battre. La terre et l’acier est plutôt une quête spirituelle, une angoisse de vivre. Marc et Louise est sur une histoire d’amour chaotique. Fais-moi rire encore c’est un morceau un peu cul. Donc ça dépend…
Manifesto XXI – Est-ce que tu te dirais plus inspirée par ce qui te touche négativement que positivement dans la vie ?
Sandra : Je pense oui… Je trouve ça hyper dur de parler de choses positives, quand tu vis des choses cool, t’as pas forcément envie de les analyser, t’as juste envie d’être là « ok c’est cool je touche à rien ! ». Quand tu es dans un inconfort, ça te pousse à rechercher autre chose, donc à te poser des questions, etc., et c’est ce chemin-là que tu racontes dans une chanson. Les chansons ne donnent pas de solutions… jamais ! C’est juste que ça m’a aidée dans la vie, de voir des films, de lire des bouquins, d’entendre des chansons… et de ressentir cette forme d’empathie.
Manifesto XXI – Pour les textes, est-ce que tu as beaucoup d’inspirations extra-musicales, plus spécifiquement littéraires ?
Sandra : Je lis beaucoup moins que je n’écoute de musique ou regarde de films. Je lis d’ailleurs assez peu de poésie, même si je te disais tout à l’heure que j’en avais écrit. Après j’ai lu Antonin Artaud, Antoine de Saint-Exupéry, j’aime beaucoup, d’ailleurs il y a un des morceaux qu’on joue sur scène, Mission sur Arras, qui est inspiré d’un de ses livres, Pilote de Guerre. Mais ce n’est pas son style d’écriture qui m’a inspirée, c’est vraiment le propos.
Manifesto XXI – Tu t’inspires plutôt de textes venant de la sphère musicale ? Chanson, slam, rap… ?
Sandra : Je n’écoute pas du tout de slam, je commence à écouter du rap depuis peu. Georgio, un rappeur que j’ai rencontré lors du Chantier des Francos, m’a fait découvrir des jeunes rappeurs français, comme Virus (le morceau « des fins » notamment) que j’ai beaucoup aimé. Je commence à écouter un peu plus de hip-hop, mais ce ne sont pas forcément mes premières amours.
Manifesto XXI – Est-ce que la brèche assez originale qu’a ouvert Fauve dans le rapport voix/texte/musique a pu d’une quelconque manière t’inspirer ?
Sandra : Je faisais un peu de talk over dans mon ancien projet, il y avait des passages parlés, mais plutôt influencés par une variété française chanté/parlé comme le faisait Bashung, Daniel Darc, Gainsbourg ou les actrices qu’il faisait chanter… Aujourd’hui c’est plus scandé, rappé. Ça s’entend d’avantage en live que sur l’EP. Je me sens vraiment dans mon élément quand je parle, plus que lorsque je chante bizarrement.
Donc oui ils ont ouvert la voie et participé à décomplexer le mélange des genres.
À ce propos, hier j’ai fait une reprise de Céline Dion. J’aime bien faire des reprises pour m’amuser. Ce qui m’emmerde dans la musique parfois, c’est qu’il y a des artistes qu’on a le droit d’aimer et d’autres qu’on n’a pas le droit d’aimer, c’est tellement relou ! J’aimais beaucoup le texte de cette chanson, je l’avais souvent dans la tête, du coup j’ai fait une reprise.
Manifesto XXI – Comment ressens-tu justement à Paris cette opposition culture indé/culture mainstream, comment te places-tu par rapport à tout ça ?
Sandra : Ce qui est sorti jusqu’ici c’est vraiment de la musique composée chez moi, donc j’assume totalement ce que je fais, après des fois t’es obligée de te « battre » un peu, car les gens peuvent te dire « ça c’est pas très radiophonique… », faut n’en avoir rien à branler. Je veux dire, si j’avais voulu être riche, je n’aurais pas fait ce métier. Je ne vais pas faire de la musique pour essayer de faire un truc radiophonique, je n’ai pas envie de faire ma pute. Après oui, ma génération, et je ne suis pas la seule à le penser, on s’en fout totalement du bon goût en fait.
Sinon je pense que quand tu es musicien, tes amitiés, tes rencontres font que tu construis une famille musicale, au fur et à mesure des rencontres humaines, des scènes que tu partages avec d’autres gens, que t’as envie de revoir, etc., donc je me sens dans une famille musicale, ça c’est sûr, je me sens pas isolée dans ma grotte, j’ai la sensation de faire partie d’une mouvance plus large.
Manifesto XXI – La logique d’entraide surpasse donc à tes yeux celle de rivalité qu’on associe souvent à Paris ?
Sandra : Je ne suis pas du tout dans la compétition, si t’as un truc sincère à exprimer, tu l’exprimeras, et si ça doit intéresser des gens, ça intéressera des gens. Qu’importe les moyens, le temps que ça prend, si tu décides de le faire seul, de t’entourer… L’important c’est juste que ton message soit sincère, et que tu aies une raison intime de le faire.
Manifesto XXI – Donc tu te sens bien dans cette ville pour développer ton projet ?
Sandra : Il y a plein de concerts tout le temps, je sors beaucoup… Je suis comme un poisson dans l’eau ici. Je suis dans le cas de l’entraide ; on se prête du matos, on se demande des conseils… Je trouve ça cool.
Manifesto XXI – Pourquoi avoir souhaité travailler uniquement avec des musiciennes ?
Sandra : Au départ c’était une évidence, mais je ne savais pas vraiment pourquoi. J’ai compris plus tard que je voulais retrouver quelque chose de naturel, que je connaissais, où je suis vraiment moi-même… À un moment, pour le live, j’ai cherché un batteur, parce que je n’étais vraiment pas figée sur le fait de ne rester qu’entre nanas, je me disais que ça n’avait rien d’impératif, je trouve que ce n’est même pas un très bon exemple, philosophiquement… Après on en a discuté avec mon label, et comme on avait commencé avec un groupe de filles, sous le nom Louves, pour cette raison aussi, ils trouvaient qu’on risquait de perdre la cohérence, une partie de l’identité, de paumer les gens. Et au final je trouve ça cool d’être restées comme ça. Je ne sais pas si ça changerait quelque chose pour nous aujourd’hui d’avoir un musicien avec nous, probablement rien du tout en fait. Je pense que l’esprit de groupe et la déconne qu’il y a dans tous les groupes, c’est pas une question de sexe, c’est la vibe que t’as envie d’y mettre. Après oui on est un groupe de filles et je pense que sur scène ça provoque quelque chose. Je m’en étais rendu compte pendant les balances d’un concert, j’étais descendue dans la fosse pour écouter comment ça sonnait, j’ai vu les meufs et je me suis dit, putain, ça envoie, c’est cool ! Et le fait que ce soit des meufs, j’en ai pris conscience à ce moment-là, ça dégageait quelque chose de particulier.
Manifesto XXI – Et du côté de l’image, est-ce que tu as une vision précise de là où tu veux emmener le projet ?
Sandra : Oui, le côté « fait à la maison ». La plupart des instruments qu’on entend sur l’EP viennent de mes démos. J’ai aussi envie de continuer à sortir des trucs sur SoundCloud en dehors de ce que je sors de manière plus officielle avec mon label. C’est important pour moi de faire des choses juste pour le plaisir de les faire, par forcément dans un cadre. Je veux garder une liberté, une spontanéité. Après pour le futur, ce qui m’importe c’est d’avoir le moins de contraintes possible. Je ne veux pas m’enfermer dans un carcan, une esthétique, une tenue de scène, des visuels…
Manifesto XXI – Et tu ne trouves pas que cette soif de liberté s’oppose aux logiques marketing et médiatiques actuelles dans le monde de la musique ?
Ça dépend de comment tu veux mener ta barque et des personnes qui t’entourent dans ton projet. Je pense que dans l’art c’est important d’avoir des concepts. Je ne suis pas du tout réfractaire à ça, au contraire, ça fait partie de la création, et ça donne du sens. Tant que ça n’est pas quelque chose de subi. Si ça fait partie de l’œuvre au sens large, ça ne me pose aucun problème. Personnellement je n’ai jamais eu de DA jusqu’ici, seulement des discussions avec mon entourage professionnel.
Manifesto XI – Et est-ce que ça te fait peur pour l’avenir ?
Sandra : Pour moi l’avenir est un mystère total et c’est ce qui me plaît. Après je pense que plus tu deviens gros, plus tu peux t’imposer. Soit tu es en indé, tu es tout seul et tu fais tout ce que tu veux. Soit tu es un jeune groupe signé, et tu dois faire des compromis, et c’est normal car les gens qui te signent ont aussi envie d’avoir une vision, leur mot à dire. Mais je pense que quand tu as du succès, que tu génères de l’argent, tu peux plus « poser tes couilles sur la table ». Faut savoir avec qui tu bosses aussi, et ce que tu veux.
Manifesto XXI – Sur quoi travailles-tu en ce moment, et quelle est ta vision du projet à court/moyen terme ?
Sandra : Là je m’occupe un peu d’organiser les dates, car je n’ai pas de tourneur, donc je fais ça moi-même, et sinon je compose beaucoup à la maison, dans le projet d’un prochain EP ou d’un album. Je sais que ce sera probablement un peu différent de l’EP que je viens de sortir, et c’est normal. Je pense que si tu ne cherches plus, tu peux ranger tes pinceaux, ta guitare… c’est fini. Donc je suis vraiment ok avec le fait de faire évoluer ce que je fais. C’est important même. Je suis hyper contente des morceaux que j’ai sortis, et dans mon processus personnel, je me dois d’explorer autre chose. Elle est là la magie, c’est de s’étonner.
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Et en live prochainement :
7 juin – Carmen, Paris (9e)
13 juillet – Francofolies, La Rochelle (w/ Grand Blanc)