Fin août, nous nous sommes rendus au festival Pop-Kultur à Berlin. Avec sa programmation foisonnante et pluridisciplinaire, cet événement à taille humaine redonne goût au format festival. Quel est le secret de cette organisation ?
Dans la cour de la Kulturbrauerei, la nuit mercredi 30 août aux alentours de 22h, un tonnerre de cloches retentit. La nuit est fraîche mais Krista Papista n’en a cure et saute partout vétue d’un bikini fait de cloches et de chaînes. En transe, l’artiste chypriote scande les noms de « Livia, Elena, Maricar, Mary Rose, Sierra, Arian, Asmita » un hommage à des victimes de féminicide. C’est le titre d’une chanson de son dernier album, Fucklore, dont elle présente une performance exclusive ce premier soir du festival Pop-Kultur. Pendant trois jours, l’événement berlinois porté par le puissant Musicboard de la ville a ainsi joyeusement mélangé d’autres performances inédites, des concerts d’artistes reconnues comme Anika et des émergent·es, des discussions ; bref des moments pointus et des propositions grand public réunis sans aucune hiérarchie.
Ramifications pop
« Nous sommes comme un champ de champignons » résume Christian Morin, programmateur de Pop-Kultur quand je lui demande de résumer la vision de la pop présentée par le festival cette année. Ça tombe bien les champis sont l’emblème de cette édition ! Je n’aurais pas vraiment de réponse à ma question, hors de question de définir la force mutante de la pop et de se limiter à un genre musical stricto sensu pour Mr Morin. C’est en partie pour cela qu’il compose la programmation du festival en trio avec Yesim Duman et Pamela Owusu-Brenyah, pour explorer plusieurs directions et réunir différentes communautés.
Un espace en particulier du festival incarne bien cela, la Çaystube où s’est produit Krista Papista, qui comme l’explique Yesim « n’est pas seulement un lieu physique ; il symbolise les valeurs inclusives du festival et prend différentes formes. » La petite scène a accueilli aussi bien le concert de l’australienne Banoffee qu’un grand karaoké qui a fait le bonheur des festivalier·es. La programmatrice, actrice des scènes queers, qui travaille à mettre en avant les perspectives post-migration développe : « L’aspect « queer » du programme de Pop-Kultur est en constante évolution. Il vise à créer un sentiment d’unité au sein de la communauté LGBTQ+ tout en reconnaissant les expériences et les défis uniques auxquels sont confrontés les individus queer de divers horizons. » La venue de la troupe britannique Drag Syndrom (dont les artistes sont atteints du syndrome de Down) incarne bien cette ambition. Le pouvoir critique du queer se retrouvait malicieusement dans la programmation en résonance au Championnat d’Europe de football 2024 : Pop-Kultur présentait « Colonastics » une performance interactive qui se moque de la culture du football en invitant chacun·e à faire les gestes rituels des supporters avec les artistes. « Les participants se sont beaucoup amusés et ont peut-être réfléchi aux rituels de la culture footballistique qui ne sont pas souvent remis en question. » conclut Yesim Duman.
Une mission d’action culturelle
Financé par la ville de Berlin, le Ministère de la culture allemand et l’Union Européenne, Pop-Kultur est porteur d’une mission culturelle pour l’intérêt général, ce qui confère une place à part dans le paysage des festivals de Berlin. Cet état d’esprit se retrouve dans son attention portée aux émergent·es et à des productions inédites, principalement via des résidences croisées avec d’autres villes (Detroit, Accra, Tel Aviv, Kampala cette année) et les commandes, une idée qu’on a emprunté au monde de l’art contemporain. Ainsi la britannique Anika a présenté un live inédit Lost Voices, tiré de son dernier album Change.
Côté prog, même si le festival ne laisse donc quasi aucun genre de côté, quelques genres et esthétiques se distinguent. L’hyperpop d’abord, avec le producteur américain Casey MQ qui a délivré un concert intimiste impeccable et la productrice suédoise Tami T, incroyablement touchante avec tous ses instruments recouverts de fourrure rose ou de paillettes. Elle a même osé le gode-instrument, attaché en direct avec une corde. Ensuite, le rock où on a pu retrouver les canadiens de Crack Cloud en grande forme ; mais surtout découvrir l’énergie explosive de cumgirl8 et Get Jealous. La légende raconte que les américaines de cumgirl8 se sont rencontrées sur un genre de chat roulette, et de là est né un girls band punk, furieusement queer (quoiqu’un peu chaotique). Beaucoup plus teenage, le trio de Get Jealous et son énergie leader Otto impressionnent. Dans un autre registre, la rappeuse sud-africaine superstar Sho Madjozi a enflammé la scène de Kesselhaus. Quelques françaises étaient également à l’affiche : Fishbach, Tigre bleu et Sam Quealy. Un petit échantillon de ce que Christian Morin appelle un « genre de french new wave ». Outre le son il s’agit pour lui d’un phrasé particulier : « D’une certaine manière, la façon de chanter dans la chanson française traditionnelle a toujours un impact dans les chansons d’aujourd’hui. »
Qualité d’accueil pour toustes
Toutes les salles de Kulturbrauerei semblent accessibles aux personnes à mobilité réduite, et je dois bien admettre que je réalise n’avoir jamais autant vu de personnes en fauteuil au premier rang. Un constat qui laisse songeur. Est-ce que c’est l’effet du voyage, de l’étranger qui rend plus attentif·ve ? L’équipe de sécurité et des bénévoles semblent en tout cas particulièrement bien formé·es à la prise en charge des agressions, y compris verbales. Lors du concert de l’artiste mui zyu (qui a sorti le très bel album Rotten bun for an egless century), un homme blanc beugle : « Honkong, Honkong food ». Imperturbable face à cette manifestation raciste, l’artiste poursuit son concert pendant qu’un vigile sort le pélo. Devant la salle, une membre du staff explique tant bien que mal au bonhomme le tort commis.
Cette réactivité, elle s’explique d’abord par la composition des équipes comme le raconte Florian Wachinger, chef de projet et coordinateur des sujets de sensibilisation : « En employant une équipe aux profils diversifiés pour la gestion et de sensibilisation des visiteurs, avec des expert·es dans leurs domaines, ainsi qu’une infrastructure accessible, nous nous efforçons de créer un environnement accueillant et sûr pour tous les visiteurs·ses. » Pour s’assurer que cette ligne soit bien respectée, le festival déploie ensuite un briefing écrit en amont du festival et organise une réunion préalable entre la direction de la sécurité et l’équipe de gestion des invités. Définitivement, là où le festival est devenu un peu trop synonyme de grosse teuf, Pop-Kultur remet la qualité de l’expérience et la découverte à l’honneur.
Image à la Une : Concert de Krista Papista © Camille Blake