Romancier et musicien, Noël Matteï nous présente son roman, Les Amours anormales, accompagné d’une playlist des titres évoqués au fil de l’histoire et d’un trailer, nous invitant à plonger dans les méandres de son récit…
Manifesto XXI – Pourrais-tu nous présenter ton parcours musical et littéraire ?
Noël : Je suis romancier, musicien, auteur, chanteur. J’ai passé environ douze ans dans un groupe qui s’appelait Madinkà. On a eu de belles scènes, on a fait pas mal de premières parties, Indochine et New Model Army notamment. Durant ces années j’ai écrit un premier roman. Quand on a décidé d’arrêter, j’ai sorti un premier EP en solo en 2013, puis un autre en 2015, et je suis en ce moment en train de préparer un album. J’essaie de faire des ponts d’univers entre les différents supports. J’ai également écrit des textes pour d’autres musiciens comme Dominik Nicolas (l’ancien guitariste d’Indochine) pour son album La beauté de l’idée. Nos univers ont beaucoup de points communs.
Manifesto XXI – Écris-tu un livre comme tu composes de la musique ?
Sur l’envie oui. Chez moi l’envie de créer est toujours déclenchée par en sentiment plus que par l’envie d’un thème. Ce sentiment-là est en général déclenché par un facteur humain, par quelque chose de fort (de l’amour ou de l’amitié) que je ressens pour une personne. J’ai besoin de la force des autres quand je crée.
Manifesto XXI – Comment résumer l’histoire sans dévoiler l’intégralité des relations entre les personnages ? Ça m’a paru très difficile quand j’ai essayé de le faire…
Oui, je me suis aperçu de la difficulté. En musique, tu peux dire tout ce que tu veux, tu ne te dis pas que ça va enlever une part de plaisir à la personne qui va écouter. Avec un roman, si tu racontes la fin ça casse tout ! Pour le trailer, réalisé aux côtés de Matthieu Roche, ça a aussi été difficile. Je l’ai laissé faire parce que vraiment j’ai eu du mal ! Je me suis aperçu qu’il fallait réussir à parler des thèmes, du processus de création, sans parler de l’histoire.
Manifesto XXI – Justement, venons-en au style littéraire du roman, à l’énonciation. C’est un roman à la première personne. Le narrateur et personnage principal (Carol) s’adresse à un personnage (Thomas) tout au long du livre. C’est à travers ce qu’il lui raconte, dans sa tête, que l’on découvre l’histoire. Du coup, c’est très biaisé, tout est subjectif. On a tendance, même inconsciemment, à prendre le parti du narrateur, comme quand un ami nous raconte sa rupture, qu’il déteste l’autre et que, sans connaître cette autre personne, on va la détester aussi. Pour autant, s’identifie-t-on forcément au narrateur ?
Tu as raison de dire que c’est biaisé, je comprends ta sensation, j’ai eu la même en écrivant mais je crois que ça reflète la réalité, tout est toujours biaisé. C’est-à-dire que même quand tu vis quelque chose à deux, tu auras deux versions différentes, toujours. Tu aurais pu avoir le regard de l’autre personnage, tu aurais eu une histoire complètement différente. Comme tu l’as dit, c’est lui qui raconte l’histoire, qui écrit. Il n’y a pas d’auteur au-dessus de lui, je n’existais pas. Je me laissais emporter par lui et essayais de ressentir ce que lui ressentait. Plus tu écris plus tu t’aperçois que tu lui injectes des sentiments que tu as toi et petit à petit il existe tellement, les autres personnages aussi, que tu as l’impression que c’est lui qui t’emmène dans l’écriture. Les scènes sont nées, pour la plupart, de là où le personnage m’emmenait par rapport au chapitre précédent. Je pense qu’il m’a même manipulé moi parfois. Il m’a fait peur…
Manifesto XXI – J’ai effectivement deviné que le récit n’était pas autobiographique, mais alors quel est ton lien avec le personnage principal ? Comment l’as-tu créé ?
Ce sont tous les thèmes que j’aime : la religion punitive, l’amour, la morale, etc. Il y a aussi bien ce que j’aime que mes phobies. Par exemple la force de la relation que les personnages ont, dans la façon dont elle naît, c’est quelque chose qui me ressemble, une quête que je peux avoir dans la vie. Je n’aime pas les choses fades et les gens qui sont interchangeables. Mais il y a aussi toutes mes phobies, notamment à la fin du roman. Concernant la psychologie des personnages du roman, ils sont un mélange de différentes personnes autour de moi, et de moi. Tu m’évoques le processus de création : ce que j’aime c’est autant le maîtriser que m’y perdre et surtout laisser les personnages m’emmener là où ils veulent. C’est assez schizophrénique, parfois en relisant je me demande comment j’ai pu décrire certaines scènes aussi horribles. En plus j’écris beaucoup la nuit, donc parfois c’était un peu flippant !
Manifesto XXI – C’est drôle justement je voulais te demander si tu écrivais le jour ou la nuit ! Nous avions proposé un article évoquant le fait que la nuit était propice au laisser-aller de soi, à la liberté sans l’entrave des conventions, sans interdictions… Qu’en penses-tu, toi qui justement dans ton roman abordes des sujets délicats sur l’amour, les pulsions, les tabous finalement…
Je préfère écrire la nuit pour son silence. Regarder les lumières, la ville, le ciel, c’est très inspirant pour moi. Je vais souvent en Corse (j’en suis originaire) et quand je suis là-bas, le bruit des vagues, déchaînées parfois, c’est magique… Les sens sont en éveil, sur-développés, plus qu’en journée. Ils sont plus pointus. C’est pareil pour l’enregistrement des albums, j’adore enregistrer les voix, la nuit, avec une seule personne (le binôme est très important pour moi, j’aime avoir une personne avec qui j’ai vraiment une entente forte). Je lirai l’article avec plaisir ! Les thèmes défiant les gardiens de la morale reviennent de manière récurrente dans mon travail, même si bien sûr certains passages du roman sont condamnables !
Manifesto XXI – Dirais-tu alors que, quelque part, ton roman et ton œuvre en général, sont engagés ?
Si on entend politiquement engagé, je ne pense pas l’être. Par contre, engagé socialement, oui, complètement, et je n’hésite pas à donner mon avis, notamment sur les supposés gardiens de la morale qui prétendent montrer le droit chemin en terme de sexualité alors qu’ils sont acteurs des pires déviances, qu’ils établissent et condamnent des tabous qui n’en sont pas alors que eux touchent à des tabous qui en sont réellement, des choses sacrées. Les thèmes de la sexualité, de l’amour, reviennent sans cesse dans ma création. Il faut continuer à lutter contre l’intolérance et ces interdictions que l’on veut nous imposer, surtout quand tu vois ce qui s’est encore passé récemment. Comment peut-on réduire l’être humain à deux sexes opposés et dire que l’amour ne doit se passer qu’entre ces gens-là ? Et par rapport à cela, oui, mon roman est engagé, mais ça ne devrait même pas être appelé engagé puisque pour moi c’est naturel. Ce n’est même pas un combat pour l’homosexualité ou la bisexualité ou ce que tu veux, c’est un combat pour l’amour. Encore aujourd’hui, entendre des termes comme « contre-nature » je trouve ça aberrant ! Comme s’il y avait des gens hors nature faisant un bras de fer au gens qui sont dedans, c’est tellement stupide ! Tu vois je m’énerve assez vite (rires).
Manifesto XXI – Dans le roman, le personnage principal et narrateur précise plusieurs fois qu’il ressent un amour très fort, mais qu’il n’éprouve pas forcément de désir sexuel. Quel lien fais-tu entre l’amour et le sexe ?
C’est une question qui me fait plaisir, mais honnêtement pour y répondre… Je pense à la notion de beauté. Le sexe peut être plaisant, distrayant, mais l’amour est surpuissant par rapport au sexe. Le sexe a forcément une notion physique, une attirance, même sur le moment. On peut être attiré par quelqu’un qui nous plaît dans l’instant sexuel. L’histoire de mes personnages est abordée sous le prisme de la sapiosexualité. C’est l’intelligence qui crée le désir physique. Ils ne peuvent pas être attirés par un physique pur. C’est le lien qui les unit dans le livre. Même leur bisexualité n’est pas clairement énoncée.
Manifesto XXI – « Je pense schéma classique. Je connais ça, l’eau polluée des longs fleuves tranquilles ». Non seulement le personnage évoque ses « amours anormales » mais il semble même y avoir un rejet des relations conventionnelles, traditionnelles. En général, penses-tu que l’on recherche des amours passionnels pour en ressortir enrichi, pour se stimuler intellectuellement ? Finalement, ne préfère-t-on pas l’eau potable des longs fleuves agités à « l’eau polluée des longs fleuves tranquilles » ? Est-ce vivable bien que l’on se sente plus vivant ?
Si on sort du roman, moi personnellement je préfère l’eau potable des longs fleuves agités, plutôt que l’eau polluée des longs fleuves tranquilles (rires). Mais ça dépend de ce que les gens ont besoin pour leur stabilité. Est-ce que c’est vivable à long terme, je ne sais pas, mais effectivement, c’est vivant. C’est douloureux, oui. Quand on est à la fin de sa vie, je pense que c’est beau d’avoir vécu le genre de relation qui bouge tout à l’intérieur, tout comme c’est magnifique d’avoir vécu trente ans avec la même personne que l’on aime vraiment, profondément. Maintenant si c’est un confort, se dire qu’on n’est pas seul aux côtés de quelqu’un qui meuble nos journées sans trop nous faire emmerder, je trouve ça triste. Je crois qu’il n’y a pas de règles, le principal c’est d’être bien, d’accéder à l’état de bien-être en phase avec soi-même, sans être dans le déni.
Manifesto XXI – Comment as-tu choisi les musiques de la playlist qui apparaissent à différents endroits du roman ?
Il y a en avait que je voulais absolument mettre et d’autres me sont venues en relisant le texte. Tous les textes des morceaux sont reliés à l’histoire au moment où ils se trouvent.
Manifesto XXI – Faire un roman en trois dimensions (écriture, playlist et trailer), ça permet d’attirer le public vers la lecture du livre ? On ne peut pas dire qu’on soit une génération qui lise beaucoup de livres…
C’est surtout que je fais plusieurs choses, pas seulement écrire des romans, donc je conçois un ensemble, pas seulement l’écriture mais des images me viennent, des musiques… Ça prend forme avec le roman lui-même.
Manifesto XXI – J’ai vu que tu avais remercié tes lecteurs pour leurs retours sur le livre dont ils t’ont fait part, lesquels t’ont le plus surpris, fait plaisir ?
Quelqu’un m’a dit que concernant la relation de Thomas et Carol, elle était super surprise que la relation soit autre mais du coup plus forte que ce qu’elle imaginait au départ.