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Nelson Beer. Artiste 360°, performance & pop augmentée

Nelson Beer. Artiste 360°, performance & pop augmentée

Riche d’un parcours étonnant au croisement des disciplines et des territoires, Nelson Beer est incontestablement un personnage atypique. Né suisse de parents enseignants, passé par la Californie, des études de musique à Londres, et aujourd’hui fraichement de retour à Paris, sa pop urbaine aussi catchy qu’ingénieuse nous a immédiatement tapé dans l’oreille. En concert samedi 8 décembre 2018 aux Transmusicales.

Une synergie pluridisciplinaire

Curieux et inspiré, Nelson cumule des pratiques à l’association étonnante ; pianiste de Conservatoire, il est aussi fou de skate, raison qui le poussera à s’évader à 17 ans pour une année d’échange en Californie, qui s’achèvera sur une blessure, remettant en question ses projets de carrière.

Le piano et le skate sont des pratiques similaires finalement, tout est dans la coordination de mouvements, l’agilité.

Si l’apprentissage et la tradition le forgent un certain temps, malgré une scolarité chaotique, c’est toutefois l’innovation et la création qui vont susciter son intérêt à l’adolescence plus que la compétitivité classique. C’est ainsi qu’il abandonne le piano pour se tourner vers le rock, inspiré à l’instar de beaucoup de jeunes de son âge par les méandres de l’alcool et les romans de Charles Bukowski. Il renouera par la suite avec les études musicales le temps d’une licence à Londres.

Dans un premier temps, le rapport de Nelson à la création musicale passe par l’improvisation au piano. Par la suite, il découvre Garage Band, Logic, puis s’initie peu à peu à la production. Parmi ses rôle-modèles catalyseurs : Nicolas Jaar.

Pour moi il y a avait ce truc de la pauvreté du médium, avec juste un ordi il générait des sons incroyables.

Il se tourne ensuite vers Ableton, découvre la culture club à Paris au début des années 2010 et se met à produire de la techno.

‘Ce que j’aime aujourd’hui dans la musique, c’est qu’il n’y a plus vraiment de règles. On peut voir Kanye West dans Runaway composer un beat tout seul chez lui avec juste une petite MPC, ou Jeff Mills qui fait son live entier juste avec une 808 devant des milliers de personnes dans un énorme club’.

Malgré une famille sensibilisée et investie dans le domaine des arts contemporains, Nelson pense que c’est plutôt par le biais du skateboard qu’il s’y est intéressé. Beaucoup de ses amis de Genève font les Beaux-Arts. Par la suite, il travaille deux ans dans une galerie. Il y apprend à interpréter les oeuvres-d’arts, à en parler. La narration, un concept qu’il va garder en tête, puisqu’après ses trois ans d’études musicales à Londres, il entre dans un master basé sur la formulation de contre-narrations politiques, sociales, historiques. Autant d’expériences qui le font méditer sur le storytelling, mais aussi la manière de se représenter la société. Il se retrouve ainsi à se plonger dans les oeuvres d’auteurs comme Benjamin H. Bratton et Peter Sloterdijk, et à méditer sur l’organisation de la société moderne post-capitaliste, entre paradigme vertical ou sphérique.

© Andrea Montano

Genèse d’un geek-performer à la croisée des esthétiques

J’ai fait des rencontres qui m’ont donné confiance en moi.

Fan d’Aphex Twin, Daft Punk ou autres puristes divers pour qui seule la musique compte, les idoles de Nelson ne sont pas du genre à s’étaler publiquement en tant que personnes. Ayant étudié le théâtre en parallèle du piano pendant son enfance, et après être passé par une phase où l’opacité l’inspire plus que l’exposition, il entreprend d’exploiter ce bagage.

Le projet que je suis en train de monter est un mélange entre ce côté geek, producteur, et l’aspect performeur.
Comme Arca par exemple.

Quand on lui demande si l’usage de sa voix lui est venu naturellement, Nelson répond qu’elle reste le meilleur médium pour générer de l’identification, exposer son âme, et un outil supplémentaire dont il ne verrait pas l’intérêt de se passer.

‘Je ne me suis jamais identifié à Nicolas Jaar ou à Daft Punk, à leur musique oui, mais pas à eux en tant que personnes. Avoir un micro et être sur scène ce n’est pas rien, c’est un peu comme le statut de prêtre dans une église, tu peux vraiment dire quelque chose. Pour moi la musique est un forum, et si les gens adhèrent à ce que tu dis, tu crées une collectivité. Ce ne serait pas exploiter la musique à 100% que de ne faire que l’un des deux, instrumental ou voix’.

Dans le rapport à la scène et à la performance, Nelson en revient à l’analogie avec ses premiers amours :

Dans le skate il y a un truc physique, tu te jettes, tu lances ton corps, moi j’aime lancer mon corps dans les espaces, dans les endroits, je suis encore assez jeune, j’ai envie de pouvoir utiliser mon corps comme un outil tant que je le peux.

À l’instar de bon nombre d’artistes, Nelson n’a jamais bien réussi à se fondre dans un groupe social défini, à stabiliser son esthétique, la délimitation visiblement l’angoisse. En musique, sa réflexion s’oriente autour de la multiplicité des formats. Et pour ce projet-là, son exploration se concentre sur le format pop.

On est tous multiples, et c’est une force que je veux exploiter au sein de ce projet, dans le format, le genre dans tous les sens du terme. J’aime cette idée que l’identité que tu as on te la donne, on n’a jamais vraiment d’identité soi-même.

© Alice Guittard
En arrière-plan : une pièce d’Olivier Mosset – Cité Radieuse, Marseille

Si la pop est bien souvent honnie des grandes noms et institutions sérieuses de la musique, Nelson l’envisage lui comme une porte d’entrée.

‘Par exemple, je suis entré dans l’univers de Jaar par ‘Space Is Only Noise’, qui était un genre de tube. C’est par ce biais que je me suis intéressé à tout le reste de son travail, des choses très différentes, plus expérimentales, ça m’a donné la curiosité d’aller voir ce qu’il faisait. La pop c’est pareil, c’est une grande porte d’entrée, c’est joli, ça donne envie d’y aller, et après tu découvres d’autres chemins, que tu empruntes ou pas. J’aime bien l’idée d’avoir une ligne directrice pop, mais plein de choses qui se passent en parallèle, y compris par l’image, les interviews… distiller des références de manière ludique’.

Pour composer, Nelson aime varier les méthodes. Comme il accumule beaucoup de samples, il s’en sert souvent de point de départ pour improviser autour, avant de finalement les retirer. Inspiré par le surréalisme, il exploite aussi le hasard. L’essentiel est produit sur ordinateur à l’aide d’un clavier midi, auquel il ajoute sa voix, et parfois de la guitare.

Le climax est une idée masculine, moi je préfère l’idée de la répétition. La chanson pop par excellence est très masculine puisqu’elle a ce climax, alors que le plaisir féminin lui n’est pas nécessairement géré par un climax. C’est ça que j’aime avec la techno aussi, c’est sphérique, féminin, répétitif. J’ai d’ailleurs composé une chanson qui est un refrain continuel.

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Sur scène, Nelson rêve d’un live à occurence unique, en perpétuel changement, mais il a conscience des barrières pragmatiques auxquelles cette utopie peut se confronter.

Don de soi et questionnement du genre

Visuellement, ce qui intéresse Nelson c’est avant tout l’exposition du naturel, tout en questionnant la sexualité de l’homme, l’image du chanteur masculin, du performeur. Il envisage cette exposition comme un challenge pour lui, au même titre par exemple que son engagement dans le veganisme.

‘Je suis quelqu’un de plutôt timide, introverti, qui n’a pas confiance en soi, ce n’est pas inné pour moi de m’exposer comme ça. Je n’ai jamais été quelqu’un qui fait attention, mais ma blessure a remis ça en question, et maintenant je retrouve cette forme de don du corps et d’énergie violente par le biais de l’image et de la scène. Comme pour le veganisme, j’aime cette idée de radicalité dans le quotidien, nécessaire dans toutes les formes d’expressions révolutionnaires. Ce sont des petites choses, des détails, des élans d’effort qui font toute la différence’.

La lecture et la réflexion théorique occupent visiblement une place importante dans la vie du musicien, et influencent pleinement sa création.

‘Penser à soi c’est beaucoup plus simple. C’est faire énormément d’efforts que de penser aux autres. Le capitalisme c’est soulageant parfois. C’est peut-être ma grande contradiction, je suis fasciné par ce qu’il incarne, l’argent, le succès… ça te donne une place dans la société qui est incroyable. Si tu es quelqu’un qui ne pense pas assez à toi, tu te donnes une place secondaire. Parfois sans doute on ne se donne pas assez de place secondaire, on veut toujours être le premier, devant. C’est une contradiction énorme dans mon travail, j’ai envie d’être secondaire mais je me mets quand même sur le devant. Je me fais souvent l’avocat du diable, je sais que ce projet ne plaira pas à tout le monde, mais ça peut être porteur. Exposer sa vulnérabilité, ses contradictions, c’est porteur. Les gens qui donnent tout, qui dédient leur vie à rendre les gens plus heureux, ça me fascine.’

Pourquoi ce titre à l’un de tes morceaux les plus tubesques présents sur le web, ‘I Am A Woman’, basé sur une structure très répétitive, un mécanisme de transe et de roulement typique des musiques électroniques ?

‘C’est une chanson que j’ai écrite en pensant surtout à ma mère, qui est un héros pour moi, quelqu’un qui donne énormément et ne demande jamais. C’est assez féminin d’être un héros finalement, je ne sais pas pourquoi les héros sont toujours représentés par des hommes.’

‘L’année dernière j’ai bossé sur les atmosphères, et j’ai notamment lu trois volumes de Peter Sloterdijk qui s’appellent ‘Sphères’. Il y dit notamment que c’est très féminin la sphère. Cette idée de contenance, d’embrasser les choses. ‘I Am A Woman’ pour moi c’est ça, une forme d’empathie, réussir à se mettre dans les choses, être plus diffus, plus lent.’

Sur quoi vas-tu te focaliser en 2019 pour développer ton projet ?

Le live, les clips, la mise en scène, une sortie sur une compilation de La Souterraine, et un premier EP début 2019. Cet EP sera encore une version un peu timide de moi. Je suis très admiratif du monde de l’humour, ces gens qui prennent beaucoup sur eux pour raconter des histoires drôles, un peu gênantes. C’est le métier emphatique par excellence, un des jobs les plus difficiles. Je pense à Blanche Gardin par exemple qui prend beaucoup sur elle pour présenter des situations embarrassantes. Je pense que cet EP ce sera ça, le prélude à l’embarrassement.’

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