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Molecule, challenger la création sonore par l’environnement

Molecule, challenger la création sonore par l’environnement

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Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? C’est la question qu’on aurait envie de poser au producteur électronique Molecule, qui après s’être exilé sur un bateau en pleine mer, a décidé pour son nouvel album d’installer cette fois-ci son studio au Groenland. Plus d’un mois de découverte, d’exploration, de field recording et de composition pour parvenir à cet opus immersif qu’est -22.7°C. Aucune note n’a été retouchée après le séjour, et même les silences qui lient les morceaux ont été enregistrés sur place. Rencontre avec un artisan du sonore au goût prononcé pour le challenge et l’expérimentation.

La création de ce nouvel album a une genèse particulière, il a été entièrement composé au Groenland, pourquoi cette démarche ?

En 2013 je suis parti faire un album au beau milieu de l’océan Atlantique, c’était un vieux rêve d’enfant, je suis resté cinq semaines en mer pour composer. Quand j’ai remis le pied à terre, la première chose qui m’est venue en tête c’était de repartir. J’ai eu beaucoup de plaisir à retrouver la terre ferme, mes proches, mais en même il y avait déjà une forme de nostalgie d’être dans une espèce de bulle de création, au coeur d’un univers complètement nouveau pour moi. Ce sont des moments très forts, très denses. 

Sur ce bateau j’étais dans un univers très bruyant, très sonore, du coup j’avais envie de prendre le contrepied et de partir travailler sur le thème du silence. J’ai pensé tout de suite à un désert blanc.

Ensuite quatre années se sont écoulées entre ce désir-là et mon départ l’année dernière au Groenland ; la sortie de l’album, la tournée, puis la mise en place de ce projet.

C’est le genre de projet dans lequel on ne peut pas se lancer tout seul et qui demande une certaine préparation, comment tout ça s’est mis en place ?

Il y a différentes sortes de partenaires. Il y a d’abord Vincent Bonnemazou, le vidéaste qui m’a accompagné. Ça s’est passé très simplement, par un échange de texto. Ensuite il y a plein de paramètres logistiques : quel matériel emmener, comment aller là-bas… Et puis bien sûr la question financière, et la question de timing, donc tout ça s’est négocié avec divers interlocuteurs. La dimension audiovisuelle était très importante également sur ce projet, donc chose nouvelle pour moi, je suis parti avec un producteur. Cette fois-ci j’étais beaucoup plus encadré que pour le précédent album.

Avec quel équipement musical es-tu parti ?

Pas mal de machines, c’est vrai que j’aime reconstituer entièrement un studio dans les endroits où je vais. J’emmène ma guitare, ma basse, plein de pédales, plusieurs synthétiseurs analogiques, des boîtes à rythmes, un ordinateur. Des micros aussi, et là-dessus j’ai pas mal travaillé avec des gens de chez Sennheiser cette fois-ci, notamment sur la création d’un kit binaural. En gros ce sont des petits micros-cravates qu’on met dans notre conduit auditif pour enregistrer ce que nos oreilles entendent, donc ça permet après de restituer une immersion très forte. J’ai emmené environ 150 kilos de matériel en tout, ce qui a entrainé des sacrés frais de surplus à l’aéroport !

Est-ce que l’adversité et la contrainte sont des contextes nécessaire à la création pour toi ?

C’est effectivement une manière de déclencher ma créativité, je pense que les contraintes sont souvent source d’inspiration. Par le passé j’ai fait des albums de manière plus conventionnelle en studio, mais sur ces derniers albums il y avait la volonté de se confronter aux éléments, à la nature.

Je cherche des endroits avec des conditions extrêmes et une nature forte, dominante, contrairement à ma vie citadine parisienne où la nature est entièrement dominée.

Je vais dans des lieux où elle s’exprime pleinement, et je l’écoute, je l’enregistre, puis j’essaie de mettre ça en musique.

Après dans le processus et le dogme que je m’impose de tout composer sur place et de ne rajouter aucune note après, il y a l’idée de ramener un témoignage d’un moment précis, avec toutes les imperfections que ça peut comprendre. Je pense qu’il y a une forme de vérité là-dedans, et pour moi ça n’aurait aucun sens de partir, d’avoir des idées, puis de revenir au chaud tranquille à la maison avec tout le temps que je veux pour finir mes morceaux. C’est comme une mission d’être un mois comme ça focalisé, ça donne un cadre précis, qui me convient.

Parmi les découvertes et les rencontres que tu as faites sur place, qu’est-ce qui t’as le plus marqué ? Et qu’est-ce qui a été le plus difficile dans ce séjour ? 

Le plus marquant c’est de vivre dans cette communauté inuite et de découvrir une autre façon de voir le monde. Ça a provoqué des chamboulements chez moi dans le rapport au temps, à la nature. À côté de ça c’est aussi un peuple qui souffre, pris en étau entre ses traditions ancestrales et la modernité qui leur est presque imposée ces dernières décennies. Il y a des profonds changements qui s’opèrent et ils sont un peu déboussolés. Il y a des problèmes d’alcoolisme, un taux de suicide très important… ce sont aussi des gens qui se cherchent beaucoup. C’est une facette plus sombre qui marque aussi, et se retrouve dans l’album également.

Contrairement à mon précédent disque où il y avait une ambiance très chaleureuse avec les marins, mais un processus de création douloureux, avec beaucoup de doutes et de questionnements, là à l’opposé la vie quotidienne était plus pesante, plus isolée, avec notamment la barrière de la langue, mais par contre la création musicale s’est faite de manière très fluide. Le seul doute que j’ai eu a été de ne pas en avoir.

Comment tu procédais pour composer, tu commençais plusieurs morceaux à la fois ?

Quand j’arrive, la première semaine c’est surtout prendre mes marques, enregistrer des sons, je dérushe toutes les prises, je découvre l’environnement, puis ensuite je commence à mettre des notes, vraiment de manière spontanée. Je peux commencer quelque chose, puis si je rebondis sur une idée, tout de suite je passe à autre chose. Donc en une journée je peux poser l’esquisse de trois, quatre, voire cinq morceaux, alors que d’autres jours rien du tout, je retravaille sur d’autres choses.

Cette phase de composition, de travail de studio, elle dure environ trois ou quatre semaines, tous les jours, la nuit… En même temps je continue à enregistrer des sons, à découvrir l’environnement.

La dernière semaine c’est la finalisation. Là j’ai fait trente morceau à peu près, j’en ai finalisé une vingtaine, et j’en ai gardé dix pour l’album. Le choix, le nom et l’ordre des morceaux s’est décidé à Paris. Il y a d’ailleurs une particularité, c’est un album sans blancs entre les morceaux, j’ai simplement utilisé des silences enregistrés sur place là-bas pour faire office de transitions.

Est-ce que tu a développé une sorte de méthodologie de composition ou c’est plutôt spontané, aléatoire ? 

Il n’y a pas de règles, ça fait aussi partie de la volonté de cette expérience, de se sortir de ses habitudes de studio. Quand on arrive au bout de quatre jours de voyage dans cette petite maison en bois complètement isolée dans ce village au Groenland, on rebranche tout, et on n’a plus du tout le même rapport à ses machines, à ses instruments.

Je porte une attention particulière à l’harmonie, à la dissonance des timbres. Je trouve que la musique électronique est très riche dans ce domaine. J’ai une manière de travailler la musique plutôt verticale, par couches, que mélodique.

J’aime bien aussi l’idée de me faire un peu dépasser, de perdre le contrôle, c’est l’intérêt que j’ai aussi dans ces vieilles machines, il y en a que je ne maitrise pas vraiment, qui ont des comportements inhabituels. Tout mon travail cherche essentiellement à provoquer l’erreur, où en tout cas ce moment où il se passe quelque chose que je n’ai pas forcément souhaité.

Je travaille beaucoup avec des pédales, donc je vais faire passer un synthé dans une pédale granulaire, qui va passer dans un arpeggiateur analogique, qui passe dans une reverb, dans un delay, dans une modulation… ainsi de suite donc cinq, six, sept, dix pédales, et puis on change un truc, et ça fait en ricochet changer toute le process du son.

J’aime bien cette notion de cuisine, de mettre des épices, c’est un peu comme ça que je recherche le timbre. J’utilise des enregistrements sonores très concrets mais que je sculpte tellement qu’on ne les reconnait pas forcément à la fin, et j’accorde mes machines à ça dans la recherche du timbre, des fréquences, de la note juste.

Cet album va donner vie à un nouveau live ?

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Oui, lancement le 8 mars à l’Elysée Montmartre, je suis en pleine répétition actuellement. Sur scène j’aurai donc une partie des machines que j’avais au Groenland, et il y a aussi une scénographie particulière, des projections à partir d’images tournées là-bas, des interactions entre vidéo, son et lumière.

Il y aura une part d’improvisation par rapport à l’album ?

Exactement, l’idée c’est de réinterpréter les morceaux de l’album et de s’échapper sur des improvisations à certains moments.

Quelles étaient tes influences et ton environnement sonore avant de partir, pendant la construction du projet ?

Quand je pars je m’emmène aucun disque, aucune musique, j’ai juste mes classiques avec moi pour les petits coups de mou. Je viens d’un univers plutôt rock, plus rétro, des années 70, les Pink Floyd, les Stones, The Cure… puis la vague trip-hop, Tricky, Massive Attack, premier Daft Punk, et d’autres choses plus récentes que je découvre à droite à gauche, j’écoute vraiment de tout.

Tu essaies de rester attentif à la scène émergente et actuelle ou pas spécialement ?

Non, je suis assez déconnecté. 

C’est par volonté, pour ne pas risquer d’être trop éponge, ou par caractère ?

C’est plutôt par indigestion du nombre de choses qui sortent. J’écoute de la musique tout le temps, mais je ne suis pas à la recherche. J’aime bien me faire prendre de manière complètement spontanée par la musique plutôt qu’aller la chercher, donc je vais un peu à l’encontre du travail de dj. J’écoute les amis aussi, le dernier album de Chloé, Yan Wagner… J’ai découvert Petit Fantôme, Grand Blanc, Bagarre… je vois certaines choses passer, mais c’est presque dans mon style que je suis le moins connaisseur.

Est-ce qu’il y a un morceau de l’album en particulier qui a plus de signification pour toi, qui évoque des souvenirs plus intenses de ce voyage, que tu souhaiterais particulièrement que l’auditeur écoute attentivement ?

Je dirai que non parce que déjà je suis un peu de la vieille école, très attaché à la notion d’album, format qui se perd un peu maintenant. C’est une histoire, il y a des morceaux avec lesquels j’ai aujourd’hui plus d’affinités que d’autres, mais je sais que demain ce sera sans doute l’inverse. J’ai envie de laisser l’auditeur vierge de tout conseil par rapport à ça, en fonction de ses propres affinités. Chaque morceau a son histoire, ses thèmes, ses sons, c’est pour ça qu’il est assez varié aussi, il y a des choses angoissantes, apaisantes, des choses aiguisées, dures, d’autres plus rondes… ça correspond à des états que j’ai vécu tout au long de ce séjour polaire.

Il y a une forme d’austérité qui se dégage de l’ensemble de cette album.

Oui, il y a quelque chose de physique aussi, je pense que le rapport au souffle, à la respiration était très présent là-bas, parce qu’on est très vite essoufflé, chaque déplacement est assez physique. Il y a un côté menaçant en filigrane tout au long de l’album aussi, c’est un univers majestueux, magnifique, et en même temps on se sent un peu observé. Il y a une notion d’épreuve.

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