Mathilde Fernandez, who’s that girl? Compositrice, pianiste, chanteuse. Une voix, une personnalité, un fort charisme, un goût prononcé pour le baroque et le chant lyricisé. Une artiste kaléidoscopique entre théâtre, arts visuels et musique. Mais ne spoilons pas tout, et laissons-la se dévoiler elle-même.
Manifesto XXI – D’où te vient ce passionnel goût du baroque ?
Mathilde Fernandez : Le baroque, on me colle ça sur le dos depuis un certain temps, je profite de cette première question pour préciser qu’il ne s’agit pas du mouvement artistique qui date du XVIe siècle, mais plutôt de l’utilisation du mot « baroque » car il est synonyme de bizarre, d’exubérant, d’insolite ou de fantasque.
Le mot « baroque » me fait rire, il reflète pour moi le mélange des époques, des esthétiques, des paradigmes, le syncrétisme des religions et des croyances.
D’où me vient ce goût ? D’aussi loin que ça puisse venir, je pense que c’est comme ça. Je pense que ça vient du fait que je ne me suis jamais contentée d’un seul truc. Que le monde des arts est vaste, que je suis une bonne imitatrice. Sans blague, j’ai produit un album de rap agressif pour faire un cadeau de Noël original à mon meilleur pote il y a quelques années. J’ai toujours tout imité, les voix, les styles, je m’imprègne assez facilement.
Le jour où j’ai commencé à faire ma propre musique, ça ressemblait à plein de trucs sans ressembler à rien. J’ai bien aimé ça, je ne choisis pas ce que je fais, ça sort comme ça et voilà. Je ne sais pas s’il y a une histoire de goût, de choix là-dedans, mais plutôt une trajectoire.
Ce n’est pas très courant, les chanteuses aux envolées lyriques dans la scène émergente – on est plutôt à l’époque du wannabe singer où n’importe qui prend un micro et s’improvise chanteur –, quel est ton parcours à toi, comment en es-tu venue à mêler chant lyrique et « French pop » ?
Comme je le disais juste avant, le chant, même la voix, c’est une histoire d’imitation. J’ai toujours chanté sous ma douche ou au karaoké, mais un jour, j’ai voulu comprendre comment ça se passait pour réussir à faire « La Reine de la Nuit » de Mozart. Je me suis donné ce challenge-là, il fallait que j’y arrive. Une obsession. Comme les mecs qui décident un jour d’aller à la salle de sport pour devenir des caisses.
Aujourd’hui, je suis toujours en apprentissage. J’ai choisi d’apprendre à chanter de cette manière-là, d’y explorer les hauts et les bas. Il y a quelques années, j’ai aussi appris à transformer ma voix pour chanter comme Asha Bhosle, une vénérable chanteuse de Bollywood.
Je ne me considère pas comme une chanteuse lyrique pour autant, du moins pas encore, j’ai tellement de respect pour ces professions. J’utilise ce que je connais comme types de techniques pour sculpter mon propre style.
Si je devais organiser une soirée et trouver une artiste émergente cohérente à faire jouer en co-prog avec toi, je choisirais Fishbach, es-tu d’accord avec moi ? Oui, non, pourquoi ? Autres suggestions ?
Yes, Fishbach c’est une super artiste, nous partageons l’amour de Mylène (Farmer), nous sommes des héritières. Je l’ai déjà invitée à participer à une soirée récemment, en co-plateau avec Sarah Maison qui est une artiste sublime. Je viens de découvrir Irène Drésel, plus électro, et Anna von Hausswolff, plus goth, sinon j’aime aussi beaucoup Perez, voilà des artistes qui spontanément me viennent à l’esprit.
Est-ce que tu composes aussi tes intrus ou travailles-tu avec une/d’autres personne(s) sur cet aspect ?
Je fais tout, oui.
Peux-tu me parler un peu de ton premier EP Live à Las Vegas ? Comment est-il né ? Comment a-t-il été composé, enregistré ? D’où t’est venu ce thème de l’Amérique et de la désillusion ?
Las Vegas est un mini-opéra, une ascension puis une chute. Ce personnage incarne un rêve contemporain brisé qui existe dans nos consciences collectives. « Amérique » et « Égérie » ont été composées quasiment en même temps ; « Mon Dieu » deux bonnes années plus tard.
J’ai pas mal de morceaux, et pour ce premier EP j’en ai sélectionné quatre qui me semblaient bien s’enchaîner, en proposant plusieurs aspects de mon travail. La thématique globale permet de tisser des liens entre les choses. Je viens du milieu du spectacle, et donner un début et une fin est un réflexe. J’aime mieux faire des tableaux que des détails…
(écoute libre et téléchargement sur http://mathildefernandez.com/)
Comme un nombre toujours grandissant de musiciens de ta génération (notamment passablement désespérés par le conservatisme des institutions musicales), tu as également fait les Beaux-Arts après le bac : comment visuel et musique interagissent-ils dans ta créativité ?
C’est complémentaire ; dans mon cas, l’image est le deuxième pendant. Si j’ai envie de raconter des histoires, il faut qu’on les entende, qu’on les voit et qu’elles s’animent. Lorsque je compose, j’ai des images en tête, et c’est d’ailleurs souvent ce qui motive l’écriture des chansons.
Je co-réalise mes clips et m’occupe de la direction artistique des photos. Avant de faire de la musique à 100%, aux Beaux-Arts, et même avant, j’ai fait pas mal de photo, de vidéo, de la peinture, de la mise en scène, du son, de la performance…
Aujourd’hui, cette expérience est mise au service de ce projet musical, et c’est ce qui le rend à mes yeux toujours aussi excitant. Je suis par ailleurs directrice artistique d’autres projets que les miens.
Tu as aussi fait du théâtre ; est-ce qu’il te semble essentiel qu’un musicien se crée un personnage scénique (et éventuellement virtuel, médiatique) pour accrocher l’attention des gens aujourd’hui ?
Je crois que la sincérité est la clé, plus encore que l’air du temps ; plus on est honnête avec soi-même et plus on l’est avec son public. Il faut aussi, en plus de ça, savoir être généreux et cibler ce que l’on veut. Il y a plein d’outils de communication aujourd’hui, et chaque plateforme te permet de rester en contact avec le monde entier. Je ne vais pas faire un pseudo cours d’Instagram, mais effectivement plus ton univers est clair, plus le public est à même de le comprendre, et donc de l’apprécier ou pas…
Es-tu une partisane de l’art « total », qui mobilise à la fois le plus de techniques artistiques et sens possibles au sein d’une même proposition, d’un même projet ?
Oui, complètement.