L’univers est hybride, son trait incisif : l’artiste tatoueur Loic Le Hécho développe une narration du corps inédite, entre compositions dynamiques et perspectives nouvelles liées aux rencontres humaines, graphiques et musicales.
Depuis maintenant trois ans, Loic Le Hécho (Instagram ici) ne cesse d’influencer la scène culturelle émergente francophone avec ses propositions graphiques hybrides dont lui seul a le secret. De Lauren Auder à Oklou, en passant par la création du collectif bruxellois Isengard, il nous propose une aventure artistique unique aux confins d’univers mêlant horreur et onirisme, douceur et percussion.
Manifesto XXI – Explique-moi comment ce process du passage du dessin au tatouage s’est déroulé dans ton cas ?
Loic Le Hécho : J’ai toujours dessiné dans les marges, de la maternelle jusqu’au lycée, où j’ai été bercé par la culture des Tumblr. J’ai commencé à partir de mes 15 ans à m’intéresser à la consommation d’images en général et à des esthétiques, via les réseaux sociaux de l’époque, puis j’ai créé mon propre Tumblr et donc petit à petit mes dessins ont commencé à en découler.
Depuis le départ j’ai toujours eu un œil rivé sur les tatouages sans forcément me l’avouer, le médium me parlait.
Loic Le Hécho
Mais le moment qui m’a mis « le pied à l’étrier », ça a été quand Lauren m’a demandé pour la première fois de lui faire un visuel pour un mix Rinse. Je me suis dit « ok mes dessins peuvent intéresser certaines personnes, je peux en faire quelque chose ». J’avais envie d’approfondir ce lien, d’essayer de multiplier les collaborations avec des artistes musicien·ne·s.
Partant de là, j’ai commencé à faire des visuels pour Lauren, Blue Angell. Puis une amie s’est fait tatouer un de mes dessins et pas mal de gens me demandaient quand j’allais m’y mettre, ce qui m’a fait revenir à cette idée première du tatouage. Alors j’ai commencé à apprendre sur le tas, avec une machine que j’avais achetée au rabais.
Tu dessinais quoi à cette époque ?
Au départ, il y a eu une grosse inspiration graffiti, sans en dessiner pour autant. Mon dessin a toujours été inspiré par la déambulation, les promenades urbaines, découvrir les endroits qui m’entourent, comme une espèce de nécessité de sortir et de faire ça en plein air.
Ensuite, sur les trois dernières années, j’ai commencé à rechercher au niveau du conte et de la fable, des esthétiques qui m’ont beaucoup plu. Cette imagerie était omniprésente. Donc j’ai commencé par développer tout cet univers onirique, avec des dialogues assez simples entre des personnages. C’était toujours très représentatif et très figuratif. Seulement, ça me contraignait dans la forme, donc je me suis éloigné de ce registre, tout en y gardant quelques petits éléments iconographiques. Il y a toujours des petits soleils et des lunes qui traînent par ci, par là. Néanmoins, j’essaie vraiment d’ouvrir mon dessin, de faire se rencontrer les formes qui deviennent des personnages, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus vraiment de représentation en particulier. Je me suis imposé beaucoup moins de contraintes pour essayer d’évoluer vers un dessin où tous mes langages formels et d’expression se rencontrent.
Penses-tu que ton dessin a pu être influencé par d’autres éléments ?
Au cours des dernières années, j’ai beaucoup voyagé, j’ai consommé énormément de musiques et d’images, avec une forte période techno durant mon adolescence, puis des délires SoundCloud qui, entre-temps, ont interféré et ont aussi influencé des esthétiques qui m’ont permis de me développer graphiquement et d’amener mon dessin vers de nouvelles perspectives…
On vit dans un monde où l’on passe un nombre d’heures infini à contempler et analyser du contenu. Ça laisse une marque dans l’esprit. Ensuite, au niveau de mon dessin au départ je suis parti d’un style très trash d’une ligne très tremblante. Que j’ai adapté, au-delà de l’idée du gribouillage, à l’imagerie du livre découverte-éveil pour enfants.
J’ai découvert que je pouvais élaborer tout un monde de formes qui était directement en dialogue avec le corps, ses formes et ses dynamiques, et qui venait ouvrir de nouvelles perspectives de composition plus en relief, parce qu’évidemment, le corps est en mouvement.
Loic Le Hécho
J’ai été hyper inspiré par tout le travail sur les avant-bras et les mains. Parce que ce sont des zones très élégantes, propices à certaines traversées de lignes par rapport aux mouvements de la main.
Puis il y a quand même eu une forte inspiration du tatouage classique comme le bon gros tribal ainsi que du tatouage méditerranéen. Des inspirations au niveau des animés, de l’architecture, des mouvements picturaux, de la culture skate des années 90/2000 ou encore du bijou. De fait, ce sont toutes nos sous-cultures et cultures dans lesquelles je baigne que je m’approprie à ma sauce.
Quand je tatoue des gens, il y a ce truc en fonction de chacun·e, des individualités, où je parviens à obtenir des formes qui vont au-delà de ce que j’aurais parfois juste dessiné moi-même.
Loic Le Hécho
Il y a une chose que je trouve très drôle dans tes tatouages, ce que tu appelles des « farces » : ces petits détails que tu adores rajouter à l’improviste directement sur la peau des gens. Peux-tu nous expliquer d’où te vient cette audace ?
(Rires) À la base il s’agissait de blagues qu’on faisait entre nous (voir Isengard Guilde plus bas, ndlr). Dans la musique, un peu partout, dès qu’on ajoutait des petits détails croustillants auxquels personne n’aurait pensé, c’était la farce tu vois. Ainsi, dès que j’adapte une farce c’est que j’ai une idée en particulier sur le moment, qui va en rappel des échanges que j’ai pu avoir avec la personne que je tatoue et qui me permet quand je sens qu’il y a un peu de confiance, de lâcher mon petit détail croustillant.
Le moment présent semble crucial dans ton travail, comment vois-tu les choses par rapport à ta pratique du tatouage ?
Outre sa dimension définitive, tout le processus du tatouage est strict et parfois impersonnel. C’est pourquoi, je privilégie la rencontre et l’improvisation à la différence d’autres tatoueur·se·s qui en envoyant leur flash book en pdf, participent malheureusement à rendre ce « rite » qu’est le tatouage un peu impersonnel.
Surtout, je ne suis pas du tout assez rangé dans ma vie et dans ma tête pour parvenir à avoir un flash book bien précis de ce que j’ai envie de faire et avoir le petit dessin que je vais venir placer sur ta cuisse ou ton bras : ça ne me parle pas du tout. Dès lors, dans mon cas, le faire sur le moment relève de l’ordre du social et ça me plaît vachement : bien qu’on ne se connaisse pas, buvons un thé et réfléchissons ensemble à composer quelque chose d’unique, afin de partager un temps privilégié aboutissant sur un tatouage qui aura été conçu sur mesure.
Tu fais également partie d’un collectif bruxellois : Isengard Guilde. D’où vient ce groupe ?
Pendant un an, j’ai été livreur à scooter de sushis à Toulouse, et je continuais à fréquenter mes potes pour faire du graffiti. Et c’est assez marrant parce que j’ai rencontré certaines personnes ne serait-ce qu’en arpentant la ville de long en large, en découvrant des choses qui me plaisaient parce que je voyais tout ce qu’il se passait la nuit et le jour. Puis on s’est juste rejoints plus ou moins sur Bruxelles à l’ERG, l’école d’art que j’ai fini par intégrer, pour former un collectif.
Pourquoi avez-vous eu envie de créer un collectif à ce moment-là à Bruxelles ?
Il y avait cette envie commune avec LIanto d’avoir notre propre événement et système de pensée par rapport à l’organisation événementielle et à la représentation graphique. D’avoir quelque chose de personnel mais aussi un attachement au niveau du collectif, de créer une émulsion.
On a commencé par rentrer dans l’école pour réfléchir plus profondément, parce qu’au départ c’était basé sur une esthétique plutôt médiévale axée sur Le Seigneur des Anneaux (cf. « Isengard »). Pour, en définitive, devenir un groupe plus large avec des graphistes qui nous plaisaient beaucoup et qui faisaient partie de nos ami·e·s, qui ont été notre influence de départ. Ensuite, on a tout naturellement créé notre propre identité.
Tu as des noms à citer d’artistes qui ont participé à cette évolution ?
Bien sûr ! LIanto, Rogergoon, Buga, Vinessett, Kurama, Mathilde Block, Fiona Omnes, Paul Peyrolle, Jules Rousselet, Gustave Boucard et Dviance. La team est à présent un peu différente mais tous·tes les contributeur·rice·s sont là.
Enfin voilà, on a créé toute cette atmosphère autour de musicien·ne·s et d’artistes plastique et graphistes. C’est une entité assez solide. On avait envie depuis le départ d’avoir un groupe qui n’avait pas forcément besoin d’insister sur des guests pour s’exprimer…Qui permet d’être autonome, indépendamment des invitations et autres plans budgétaires… (rires)
Vous avez commencé par faire quoi avec ce groupe ?
Ça a commencé par un délire à l’école parce que la majeure partie y était. Sauf quelques-un·e·s, au départ, on était trois puis ça s’est agrandi, on a pris les gens qui venaient. Il y a eu des grosses migrations de Toulouse vers Bruxelles. Pas mal de nos ami·e·s nous ont rejoints aussi dans la demande de plus grands espaces d’expression.
On a commencé par une expo à l’école. Ça a été notre coup d’essai. Puis on a organisé nos propres soirées, il n’y en a pas eu tant que ça, trois ou quatre. Et j’espère, d’autres à venir.
Il s’agissait d’un moyen de faire quelque chose ensemble et juste de parvenir à créer cette énergie, dans un âge où tu n’as pas forcément moyen d’être seul·e et de parvenir à lancer des projets en autonomie.
Loïc Le Hécho
Trouves-tu que votre collectif a bien été reçu dans le milieu ?
C’est assez cool car on est parvenu·e·s à rencontrer tous·tes les gens actif·ve·s sur la scène bruxelloise, que ce soit la brasserie Atlas avec Remi Calmont et Golce ou du côté des flamands avec Slagwerk. On a reçu des avis positifs assez rapidement et même au-delà de ces collectifs, on a eu un public réceptif. Ils aimaient nos visuels et notre atmosphère de soirée, qui peut-être dérogeait à ce qu’on pouvait trouver, avec un côté plus « bonne franquette » (rires) venant de notre culture du sud.
Paradoxalement, Isengard n’est pas vraiment la touch de Bruxelles, mais plutôt celle des gamin·e·s du sud qui sont venu·e·s imposer leurs univers ?
Dans une certaine mesure oui. On a aussi beaucoup appris de la culture bruxelloise, que ce soit dans la fête comme dans le quotidien ou dans l’art, c’était super enrichissant d’arriver et de découvrir une scène avec une identité forte et indépendante.
Revenons à toi. Comment se sont faites les connexions avec les autres villes de France ? Je pense notamment à Marseille, où se trouve Angie qui elle aussi explore un style hybride avec beaucoup de points communs au tien, en matière de tatouage et de dessin.
On a dû se connaître à travers les réseaux sociaux dans lesquels il y a beaucoup de connexions graphiques internet. Et puis ce sont des espèces de connectiques qui se font au travers d’amitiés, des artistes qui se reconnaissent et se saluent, puis se rencontrent.
Pourrait-on dire que tu évolues dans un milieu plutôt bienveillant, c’est-à-dire d’entraide, et qui reconnaît le travail de chacun·e ?
Voilà, moi je n’ai pas la sensation d’être en compétition avec qui que ce soit, en quoi que ce soit. J’ai pas envie de me la jouer hype, on essaie tous·tes de faire notre truc. Il n’y a pas d’animosité en vérité. Moi je crois qu’il faut se supporter les un·e·s les autres et essayer de promouvoir une scène en émergence.
Justement, pour rester dans le thème, je sais que tu as pu faire des collaborations avec d’autres artistes sur des supports avec lesquels tu n’as pas l’habitude de travailler. Peux- tu nous en parler ?
Oui, notamment avec Cam, un ami à moi qui a une machine à broder vectorielle, une sorte de grosse brodeuse. Il a ce projet qui s’appelle peoplemadethis, pour lequel il travaille en collaboration avec des gens et développe régulièrement du textile. Là aussi, il a ce parti pris de travailler en majeure partie avec des gens qu’il aime ou dont il apprécie le travail. Ce qui nous a amenés à travailler plusieurs fois ensemble.
Des nouveaux·lles artistes à conseiller ?
Dans les dernier·e·s qui m’ont beaucoup parlé, il y a eu Chimhwasa, un artiste coréen qui développe des univers colorés particuliers avec des lignes très fines. Avec parfois des sortes de dragons rouges sur les épaules, super détaillés, que je trouve assez dingues. Sinon, j’aime beaucoup aussi les compositions hyper minimales et spatialisées de Giorgos Kazakis de Berlin, qu’il compose en free hand. Sur Paris, Silemario et Lomélu dont j’aime beaucoup le travail. Et une artiste sur Bruxelles, qui s’appelle Consommable Tattoos. Aussi, Martin 2bis.
Suivre Loic Le Hécho sur Instagram
Image en Une : © Francisco Looping