Si les films de Julia Tarissan ont des airs de nanar volontaire avec des personnages perchés et charismatiques, ils n’en sont pas moins un parti pris esthétique fort. Le visuel plastiquement léché revendiqué par les majors d’Instagram, Julia Tarissan le connait bien, travaillant ponctuellement pour la pub. Mais c’est l’incongru, le criard et le brut qui l’animent et nous bousculent de l’intérieur. Dans cette identité radicale et assumée, le second degré prend aux tripes, le n’importe quoi transcende le poétique, le brut incarne la belle laideur universelle.
Manifesto XXI – Dans ta création tu privilégies la vidéo, pourquoi ?
Julia Tarissan : Faire du cinéma et de la vidéo c’était une évidence. Les autres supports ne me ressemblent pas et m’ennuient rapidement. La vidéo rassemble toutes les choses qui comptent pour moi : l’importance du cadre et des détails, la possibilité de créer des situations et des interactions en mouvement, et une petite place pour les vêtements.
Je suis une personne touche à tout très curieuse, et la vidéo est un peu le point culminant pour m’exprimer sur tous les tableaux en même temps.
Dans certaines de tes vidéos comme Angelo contre le parking, il y a une certaine dose d’humour et d’absurde. Est-ce que le second degré est important pour toi ?
Je pense que le second degré est ma devise dans la vie en général. Je suis quelqu’un qui ne se prend pas au sérieux et je déteste les choses trop pompeuses. J’ai aussi eu besoin d’aller loin dans l’absurde et l’incongru, avoir le sentiment d’assez bien travailler pour aborder des sujets plus sérieux et qui me tiennent plus à cœur.
Tu joues aux jeux vidéo ? Les duels, dans ce même court métrage, en ont un air…
Je ne me considère pas comme une grande joueuse de jeux vidéo modernes, je n’ai jamais eu de play à la maison avec mon GTA. Mais j’ai passé ma vie à jouer aux Sims et à Mario. Je pense que l’esthétique du jeu vidéo à un gros impact sur moi. J’adore la 3D et ça se ressent particulièrement dans Angelo contre le parking. C’est un jeune homme qui divague et se rêve une vraie aventure à la street fighter alors qu’il sort tranquillement du bureau. L’impact du jeu vidéo est plutôt dans le design, on le retrouve dans le dessin animé que je suis en train de faire avec mon ami Gabriel Dumas Delage.
Un-e cinéaste, un-e acteur ou actrice qui t’inspirent particulièrement pour tes courts métrages ?
Ma plus grande source d’inspiration c’est mon quotidien, le métro, le parc, la plage. Mon portable est rempli de notes d’action de gens que je vois dans la journée. C’est de là que je tire le meilleur de mes idées brutes.
Ensuite, je dirais forcement que des réalisateurs comme Wes Anderson ou David Cronenberg me font rêver. Que les cadrages de Dobermann et les décors The Bad Batch me donnent des envies de longueur !
Certains de tes courts métrages peuvent parfois se rapprocher du genre nanar volontaire, c’est voulu ? Tu es familière avec ce genre ?
Non ce n’est pas voulu, j’ai découvert ce genre après plusieurs de mes courts métrages. Un prof des Beaux-Arts de Cergy m’en avait parlé. Je pense me reconnaître dans certains traits de ce genre : la blague qui tombe toujours au mauvais moment, la sonnerie de portable un peu trop grossière. Mais je n’ai pas le sentiment de n’être que ça. J’ai l’impression que dans le nanar tout n’est qu’une grosse imposture, et que le cameraman va finir par sortir pour dire « ça suffit ». Je ne ressens pas ça dans mes créations, j’y vois plus de sérieux.
Mon portable est rempli de notes d’action de gens que je vois dans la journée. C’est de là que je tire le meilleur de mes idées brutes.
Comment abordes-tu la notion de laideur ?
Le concept de laideur n’existe pas à mon sens, chacun trouve la laideur dans des représentations très différentes. La laideur implique forcément la beauté, qui pour moi est très futile et indifférente à mes premiers critères. Je ne travaille pas avec un acteur que je trouve beau ou laid, je choisis un acteur avec qui j’ai un feeling, ou dont j’aime la façon de se mouvoir. Je pense immédiatement au réalisateur espagnol Eduardo Casanova. Il est pour moi très juste dans la représentation d’une laideur « universelle » dans un beau paquet doré pour Noël. Et il fait des films assez incroyables au passage.
Penses-tu que l’on vit dans un monde trop polissé niveau visuel ?
Oui. Je rigole en répondant à cette question. Je travaille parfois en tant que styliste sur des clips, des pubs… La pub en est l’exemple parfait. Des visages trop lisses, des ciels trop bleus, rien n’est réel. L’esthétique 2017, c’est du copié collé.
J’aime le vrai, le cru, les visages durs, des couleurs criardes que jamais personne ne porte.
Comment travailles-tu avec Juliet Casella ?
Juliet : « Travailler avec moi c’est une vraie partie de plaisir. Julia et moi on se connait tellement bien que nos cerveaux sont connectés comme des jumeaux. On pense à la même choses dans une situation X, et dans le travail c’est pareil. On a des goûts esthétiques très proches et c’est donc un travail du quotidien. On se voit pour déjeuner et passer la journée ensemble et des idées de travail jaillissent. Certaines sont prises au sérieux, d’autres pas ! »
Julia : Ça m’a semblé plus simple que Juliet y réponde, elle n’est jamais loin !
Est-ce que tu peux nous parler des Beaux-Arts de Cergy ?
À la sortie du lycée, je ne voulais pas faire d’école de cinéma, j’avais peur d’être bridée dans mes idées et mes envies. Du coup, j’ai choisi les Beaux-Arts de Cergy, Paris ça ne me tentait pas !
J’ai pu rencontrer des personnes comme Juliet, c’est un repère à gros tempéraments. Et j’ai eu la chance de faire tous les projets qui me donnaient envie, dont Kepler en détresse. C’est vraiment une école qui permet de se découvrir soi-même par ses propres expériences. L’école en elle-même n’impose aucun chemin à suivre et pour moi c’était la meilleure façon de faire grandir mon imaginaire et mes ambitions.