Depuis son premier EP Who carry’s on sorti en 2018, la jeune anglaise Lauren Auder nous a plongé.e.s dans l’univers de sa pop baroque, empreinte de sa voix profonde et de son lyrisme si singulier. Elle est de retour avec un deuxième EP two caves in, où sa grâce fiévreuse captive, intrigue et émeut.
Entre innocence, maturité et sensibilité, les cinq titres de l’EP sont une déambulation réflective sur les angoisses adolescentes au passage à l’âge adulte. Les arrangements orchestraux et la poésie éthérée de Lauren Auder apaisent nos conceptions sur la vulnérabilité et font flamboyer toutes nos émotions.
MANIFESTO XXI : Quelle est la signification du titre de ton nouvel EP two caves in ? C’est une référence à l’allégorie de la caverne de Platon ?
Lauren Auder : Oui entre autres il y a ça. En soi, l’EP traite vraiment d’un passage à l’âge adulte ou même à une réalisation profonde de sortir de l’âge de l’innocence et de se rendre compte de certaines vérités. Donc bien sûr, la métaphore de la caverne est logique et bien sûr, je pense que c’est ça la plus grande référence. D’une façon plus simple, je pense que j’essaie de voir mes projets comme un espace physique. Du coup, c’est comme la deuxième grotte de mon travail, après mon premier EP. J’envisage beaucoup ces choses comme des espaces physiques et donc comme des cavernes. two caves in c’est un titre que j’ai trouvé même avant de faire de la musique pour cet EP. C’était juste comme une ligne directrice de comment je voulais que ça se présente, de comment ça sonne. Je ne sais pas si ça colle parfaitement, mais c’est quelque part juste une route pour arriver à la fin de ce projet.
Cet EP a gagné en maturité par rapport au précédent. C’est l’histoire du passage à l’âge adulte avec tous les sentiments ambivalents qui y sont liés ?
Tous les textes ont été écrits quand j’avais 19 ans, donc ça fait deux ans maintenant que j’ai écrit quasiment tous les textes du projet. Je pense que c’était une période pour moi où j’étais vraiment en train de vivre ce passage à l’âge adulte. Je n’avais même pas encore sorti le premier EP et j’étais sur le point de le faire. Je venais de déménager à Londres et de vivre seule pour la première fois… Et je venais même de me rendre compte de comment mes interactions avec autrui fonctionnaient réellement dans la vraie vie.
Pour ce travail, ça me semblait extrêmement important de faire une espèce de roman initiatique, de refléter toutes les expériences du passé et de réussir à faire la paix quelque part avec ça pour pouvoir avancer « en toute légèreté ».
Comment tes expériences de vie ont façonné cet EP ? De quoi est-ce que tu t’es inspiré ?
Je pense qu’il y a certains morceaux de l’EP qui parlent de situations assez précises et assez personnelles. Je pense au premier morceau de l’EP particulièrement, « june 14th« , qui raconte une déception amoureuse. Mais je pense que la plupart du projet parle vraiment de quelque chose d’universel, auquel j’aimerais que chacun puisse rattacher sa propre expérience et ses sentiments. Ce sont des choses tellement naturelles et inévitables qu’on vit tous et plus ou moins tard mais je pense à peu près au même moment. Du coup, bien que ça soit éclairé par les potentiels événements singuliers de ma vie, ce n’était pas réellement le but de les mettre forcément en valeur. C’était plutôt de les utiliser pour pouvoir formuler émotionnellement comment j’ai vécu ces choses, pour en créer une peinture et qu’on puisse y projeter nos propres expériences et j’espère que ça fonctionne !
Dans l’EP, tes chansons sont entremêlées d’histoire très personnelles, tu as une sincérité très pure et tu transmets des sentiments très honnêtes, c’est ton intention de départ pour ta musique ?
Oui je pense. Quand j’ai commencé réellement ce projet, c’était réellement six mois/un an avant la sortie du premier EP. À ce moment-là, il y avait vraiment plus que maintenant une volonté de se détacher de ce qui était humain et personnel dans la musique. Je pense que c’était une réelle avancée technologique qui le permettait etc., et c’était quelque chose auquel, bien que ça m’intéressait, je voulais me placer en opposition.
Dès le départ, c’était hyper intentionnel de faire quelque chose d’extrêmement ouvert. Je pense que c’est quelque chose qui vieillira bien et qui sera toujours important.
Quand je pense à tous mes artistes préférés, c’est toujours des artistes qui puisent dans leurs expériences extrêmement singulières et personnelles et arrivent à en faire des choses plus universelles. Dans ma méthodologie d’écriture, c’est juste qu’en tant que fan de musique, je regarde les gens qui m’ont inspiré, qui m’ont touché et je vois ce qui a fonctionné. Je pense aux artistes de folk qui m’influencent le plus, pas tant au niveau sonore, mais plutôt textuel et émotionnel. C’est de là que je tire beaucoup.
L’écriture et la composition semblent très liés sur two caves in…
Le premier EP a été composé entièrement musicalement, sans paroles. Ensuite, celui-ci a été composé quasiment en même temps du début à la fin, et je pense même que j’ai composé les morceaux dans l’ordre qu’ils apparaissent dans l’EP. Je pense que c’était quelque chose de vraiment très horizontal. Mais ça dépend… Maintenant je travaille sur l’album et pour ce projet c’est totalement le contraire : tous les textes ont été écrits même avant de toucher une note. Je pense que ça varie de projet en projet et de ce qui me semble être logique dans la circonstance actuelle.
Tu as aussi joué en ouverture de Christine and the Queens notamment. Qu’est-ce que ça t’a apporté ?
Ça s’entend sur ce projet que j’ai joué en live, et tout simplement que j’ai été mise face au fait que ma musique va être jouée pour d’autres et en présence d’autres personnes. Le premier projet a totalement été composé par Dviance et moi, mais dans des chambres et sans avoir jamais joué en live du tout. Alors, bien que l’intention ait toujours été de faire quelque chose que je veuille partager, c’est sûr que c’était très intime et que ça ne dépassait pas forcément cet espace ultra personnel. Là, d’avoir joué en live, d’avoir été en présence d’autrui avec cette musique, ça m’a semblé naturel de faire quelque chose avec plus de dynamisme, quelque chose de plus ouvert et chaleureux dans les sonorités aussi. Et donc je pense très clairement que ça m’a influencé dans comment j’ai composé et comment j’ai écrit.
Sur ta bio Spotify on lit « the fruit of my labour, a labour of love », pourquoi ces mots pour décrire ton travail ?
Je pense qu’on m’a demandé d’écrire quelque chose et que j’ai écrit ça. [rire] Mais en soi oui, ce projet ça fait deux ans que j’y travaille quoi. C’est vraiment mon enfant quelque part et je pense que tout simplement, il y a un but de créer un truc d’important et d’y mettre autant de travail que possible. Mais, peut-être à défaut, je pense être perfectionniste sur beaucoup de choses et c’est pour ça que ça m’a pris aussi longtemps de faire quelque chose. J’espère passer un peu au-dessus de ça et faire un album qui ne sera peut-être pas parfait… mais ne pas me taper la tête contre un mur pendant deux ans pour pouvoir sortir quelque chose plus rapidement. Cet EP, c’est quelque chose qui me tient à cœur et surtout cette forme de projet. Même s’ils ne sont pas forcément très actuels, je tiens beaucoup à des formats comme celui-là.
Tu parles d’histoires d’amour, ici c’est de l’amour de soi, de l’acceptation de soi dont tu parles c’est ça ?
Oui notamment, et je pense que c’est même plus que ça. Je pense que c’est à travers les histoires de romance qu’arrivent les questionnements ensuite … en tout cas dans l’histoire de ce projet.
Je pense que c’est à travers certaines déceptions que l’on réalise qu’on ne peut pas projeter ses expectations, ses envies et ses désirs sur autrui ou alors pas entièrement. Ça pousse à des réflexions plus personnelles pour pouvoir trouver une acceptation de soi et réaliser qu’on ne peut pas être là pour autrui sans être là pour soi.
Tu en parles dans « meek » notamment…
Oui, je pense que « meek » et « laurels » en parlent de la façon la plus concise et qu’il y a des phrases clés qui résument un peu tout ce que j’ai voulu représenter sur le projet.
Je crois que le morceau que j’ai préféré est « laurels », il est à la fois très obscur mais aussi lumineux. Tu peux m’en parler ?
Je voulais un titre au milieu de l’EP qui soit un peu en repos quelque part entre des morceaux très orchestrés et très riches en termes d’arrangements. Je voulais faire quelque chose de plus textural qui permette un instant de réflexion plus calme, pour respirer un peu. Dans les textes, c’est très concis comparé aux autres. Il y a moins d’embellissement, c’est assez direct et c’est ça que je voulais représenter : un moment clé de l’EP qui semble être un peu plus qu’un interlude, mais qui amène quand même une certaine concision.
Quelles ont été tes inspirations pour créer l’esthétisme baroque et flamboyant de ce nouveau projet ?
Il y avait une grande influence sur le projet de la poésie de William Blake, qui a écrit le recueil de poèmes Chants d’innocence et d’expérience. Ça a eu une très grande influence sur les thématiques et les métaphores utilisées sur tout le long du « truc » [rire]. Ses peintures sont extrêmement inspirées de mythologie et de scènes bibliques, avec des couleurs très chaudes et je pense que tout ça a vraiment inspiré comment j’ai pu présenter la chose.
Pour les visuels de la pochette de l’EP : tu reprends quasiment la même pose que le précédent, un plan rapproché de ton visage, mais cette fois-ci les yeux ouverts, maquillé…
Exact c’est ça. C’est justement la différence dont je parlais. Comment ça a influencé de jouer en live, de partir en tournée… c’est tout simplement ça. Et pareil avec l’allégorie de la caverne, c’est toute une progression cohérente dans ce sens-là.
Pourquoi ces teintes de sépia ? C’est souvent associé comme étant la couleur du temps qui fuit chez les romantiques comme Hugo ou Baudelaire.
C’est ça aussi, bien sûr. J’ai essayé de réfléchir à toutes les petites décisions que je prends.
Ça fait tout un objet pensé dans son entièreté...
C’est le but parce que c’est comme ça que j’ai toujours apprécié les œuvres. Mes œuvres préférées sont réfléchies du début à la fin donc j’essaie de le faire aussi. Et je pense que même sans forcément se pencher sur toutes ces choses en tant qu’auditeur, tu le sens. Même s’il y a quatre couches de références intertextuelles qui, en soi, ne sont pas très importantes à comprendre, le fait qu’il y ait eu ce désir de le faire, ça se sent dans la musique, il y a une profondeur.