Manifesto XXI a rencontré Laetitia Dosch. Étincelle parmi les pépites, l’actrice franco-suisse a le talent pour piquer la vedette à une vraie journaliste dans La Bataille de Solférino, pour camper une prostituée au théâtre, dans une adaptation de La Maladie de la Mort de Marguerite Duras et surtout pour jouer une Jeune Femme, comme on en a pas vu d’aussi fraîche depuis un bail dans les rangs du 7ème art à la française, ce qui lui a valu une nomination aux Césars, dans la catégorie meilleur espoir féminin. Instant de grâce féroce entre les femmes à barbe, la pudeur et la prostitution.
J’ai entendu dans une interview à La Bande Originale, que vous aviez monté un cabaret de femmes à barbe. Vous pouvez m’en dire plus ?
C’était au tout début de l’école de théâtre, à l’époque on devait faire des parcours libres. J’avais lu Les monstres de Martin Monestier, un livre qui des gens différents. Il disait qu’à l’époque Napoléonienne cela faisait très peur les femmes à barbe, parce que la barbe était symbole de sagesse. C’est pour ça qu’elles étaient respectées, c’était des femmes très intelligentes. Je me suis alors interrogée : “Quelle voix a une femme à barbe, quelle note ça fait ?”. J’ai une voix grave, qui peut surprendre, je me suis dit que ça pouvait être cool qu’elle chante des chansons réalistes des années 1920. Je l’ai rejouée à l’Elysée Montmartre à l’occasion d’une fête Favela Chic.
La nudité tient une place importante dans vos rôles, au théâtre comme au cinéma. Comment apprend-t-on à être nu ?
Je n’ai pas l’impression que la nudité soit si importante. Au cinéma, c’est très court, ça dure dix secondes. C’est intéressant que vous disiez ça, parce que ça fait un centième des films. La nudité est très marquée, dès qu’on la montre un tout petit peu. Après, dans La Bataille de Solférino, ce qui nous a intéressé c’est d’avoir un nu décontracté qui ne soit pas érotique. Dans Jeune Femme, c’était plus pour choquer le personnage qui est en face, c’est drôle : quelqu’un qui ouvre la porte à un inconnu, qui est nu et qui fait comme si c’était normal. Pour La Maladie de la Mort c’est différent, c’est sa façon de gagner sa vie, d’être un objet. La nudité est un costume.
Que pensez-vous de la pudeur physique ?
J’ai travaillé avec des danseurs avant, avec Marco Berrettini une fois on était tout nus, avec Larry Bote aussi. Pour eux c’est normal d’être nus, ils travaillent vachement leur corps donc ils sont tous contents de le montrer. Sur La Maladie de la mort ce sont des anglais, ils sont très fins. Je suis un objet de désir et la narratrice, il y a des images de moi avec ce texte, ça c’est dur. On se voit huit heures par jour sur un écran géant, filmé en gros plan, ça développe des névroses. Ce n’est pas seulement la pudeur physique, c’est aussi une question de narcissisme, parce qu’on est renvoyé à son image huit heures par jour. Il y avait une chose très belle pendant les répétitions, souvent entre les prises, il y a quelqu’un qui vient vous mettre une robe de chambre. Ce genre d’attention et la délicatesse des gens vous rend pudique. Ça vous rend sensible du fait que ce n’est pas normal, d’être nu devant les gens.
La pudeur des sentiments ?
Le boulot d’actrice, c’est de rendre quelqu’un vivant, un personnage. Ce qui permet de parler de choses qu’on a vécu, vu, dont on a été sensible. Jouer un personnage c’est très pudique, parce qu’on est caché par quelqu’un, on joue un autre. C’est à la fois pudique et impudique, parce qu’on balance de gros dossiers personnels que personne ne voit mais que les gens sentent.
D’ailleurs, vos talents d’actrice vous aident au quotidien ?
On est tellement habitué à regarder les gens, à s’intéresser à d’autres façon de fonctionner, qu’on voit peut-être plus vite à qui on a à faire. Ca développe plus une écoute qu’un don pour le mensonge.
Le succès, ça vous change ?
On me fait plus confiance, je peux monter des projets plus ambitieux. Il y a pleins de trucs cool quand même : pouvoir rencontrer des gens qu’on admire, qui ne vous prennent pas pour une folle de leur parler. Il y a aussi les gens qui viennent à votre rencontre dans la rue ou dans le métro “J’ai beaucoup aimé”, “Ah moi j’ai pas du tout aimé”. Ça a des avantages. J’ai trouvé un appartement grâce à ça !
Au sujet de la prostitution, dans La Maladie de la Mort, Duras élevait les prostituées en “reines” plus qu’en victimes, qu’en pensez-vous dans le contexte actuel ? Prostitution qui, dans l’antiquité grecque, faisait partie de la vie de la cité.
Je me rend compte qu’en jouant je ne dois pas trouver ce qu’est une prostitué, je dois jouer la prostitué que je serais, si je l’étais. Je n’ai pas à avoir de vision globale de la prostitution mais trouver la prostitué que je serais. Si j’étais prostituée je saurais pourquoi et le fait de coucher avec un homme que je ne désire pas, le faire rentrer dans mon corps comme ça, ce serait un peu comme si je le tuais.
Comme s’il n’existait pas.
Oui, le faire disparaître, comme si on lui était supérieur. Dans la Maladie de la Mort les hommes ont ces pulsions aussi, de toujours vouloir étrangler, faire du mal. Des deux côtés, il y a quelque chose qui tue. Quand je fais semblant de faire l’amour avec l’homme, en pensant vraiment que je le fais, que c’est un client, je ne le désire pas et je le laisse entrer, j’ai l’impression que cela me donne de la force, comme si je le tuais : si j’étais prostitué, j’aurais des pulsions de meurtre envers les clients. Survivre constamment en se vengeant.
On accepte la condition ?
Je pense, comme un taf.
On est bien dedans.
Ah, je pense qu’on peut être bien dedans, avec des envies de meurtre. Je le vivrais ainsi : une vengeance sans fin de tous les hommes.
Article : Albane Chauvac