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Ko Shin Moon commence l’année au quart de ton avec un prix et un nouvel album

Ko Shin Moon commence l’année au quart de ton avec un prix et un nouvel album

Pour les défricheurs de musiques traditionnelles Nico Shin et Axel Moon, prestidigitateurs qui transforment leurs découvertes en voyage initiatique pour le dancefloor, la nouvelle année ne pouvait mieux commencer. Ko Shin Moon en 2020 c’est déjà un prix gagné, celui du Société Ricard Live Music, et la sortie d’un troisième album sur le label Akuphone : Leïla Nova.

La victoire de Ko Shin Moon lors du tremplin musical organisé par Société Ricard Live Music ne pouvait que confirmer l’intérêt français pour le multiculturalisme musical. Ce duo expérimentant depuis trois ans une modernisation électronique de traditions musicales situées entre l’Inde et le Maghreb confirment leur talent de compositeurs multi-instrumentistes sur leur troisième long format. À l’occasion de la sortie de Leïla Nova nous avons rencontré Axel Moon, ethnomusicologue de formation, pratiquant un éventail aussi varié d’instruments que les influences qui caractérisent leur musique.

© La Voix Sauvage

On bidouille, on mélange, on fait des collages pour évoquer des mélodies, des aires, des rythmes et on travaille autour de ça.

MANIFESTO XXI : 2020 semble vous sourire dès l’aube. Vous gagnez le Ricard Live Music et vous sortez un troisième album : Leïla Nova. Quelles autres surprises nous réservez-vous pour cette année ?

Axel Moon : Dans le contexte du Ricard Live on va enregistrer un EP qui devrait sortir en septembre. Nous ne sommes pas encore sûrs de la forme qu’il prendra mais ce sera très probablement avec des featurings. On est encore en discussion quant aux personnes avec qui nous souhaitons travailler mais dans l’idée nous aimerions collaborer avec d’autres chanteurs.

Pour votre deuxième long format, 78 fragments, Gallica vous invitait pour ses vingt ans à composer un album avec des archives audio libres de droits issues de la collection de la BNF. Comment est né Leïla Nova ?

Leïla Nova c’est plus le fruit de notre expérience du live. Sur nos deux premiers albums on a beaucoup travaillé avec des samples. Cela venait de notre attrait pour la recherche musicale et c’était vraiment notre source principale pour à la fois comprendre, apprendre et utiliser des éléments de nos influences, pour s’en rapprocher le plus possible esthétiquement, techniquement et musicalement. Quand on a commencé à faire du live, le premier album en particulier, puis par la suite 78 fragments, n’étaient pas vraiment jouables sur scène à moins de les jouer en tant que DJ et ce n’était pas des albums pensés pour avoir des bangers et autres morceaux faits pour le dancefloor. Ils ont été construits comme des albums d’écoute même s’il y a aussi énormément de parties électroniques et dansantes dans chaque morceau, mais ils ont plutôt été imaginés pour être écoutés du début à la fin sur vinyle et autres supports.

Comme nous ne pouvions pas jouer ces albums en live, on a développé une autre manière de composer en faisant tout un paquet de morceaux où on essayait d’expérimenter des choses à chaque concert avec de nouveaux titres. Leïla Nova est le fruit de ces expérimentations. Il s’écoute toujours comme un album mais cette fois-ci nous pouvons le jouer sur scène, avec des boîtes à rythmes, des synthés et nos parties vocales ou instrumentales. C’est le résultat de notre expérience scénique de l’année passée, avec la volonté de composer un album que l’on peut jouer sur scène et qui soit plus représentatif de notre duo.

Pourquoi ce titre, que signifie-t-il ?

Nous souhaitions faire un pont entre différentes aires culturelles. Leïla vient de l’arabe qui veut dire nuit. Ce terme est utilisé dans les rituels soufis marocains pour les nuits de transes. Nova est un mot latin qui évoque à la fois le côté nouveau mais aussi les étoiles dont les lumières apparaissent et disparaissent d’un seul coup. C’est un album qui évoque la nuit, le côté transe mais aussi la lumière.

© Raphaelle Macaron

Comment décidez-vous des titres de vos compositions, sachant que la plupart de vos auditeurs en France ne comprendront pas le sens des intitulés sans les googliser ?

Nous sommes des musiciens assez curieux et on aime mettre des petites références et clins d’oeil qui vont pousser l’auditeur à aller chercher ce que cela évoque, d’où ça vient. Comme nous même, qui avons été amenés à découvrir plein de choses par nos recherches à travers nos collections de vinyles, de cassettes ou par internet tout simplement. On aime pouvoir ouvrir sur d’autres univers à chaque fois. On a beaucoup écouté de styles musicaux différents et il est toujours agréable d’avoir ce jeu de piste entre le musicien et l’auditeur.

Quelle palette instrumentale avez-vous utilisé pour ce nouvel album ? Vous êtes multi-instrumentistes mais vous ne jouez pas de tous les instruments sur l’album, quel est le pourcentage d’instruments virtuels et d’instruments « réels » que vous jouez ?

Il y a beaucoup d’instruments, on a utilisé un bağlama électrique, un tambour afghan sur « Papilio Dance », doublé d’un rubab afghan et un suling indonésien mais pas à la manière indonésienne. On s’est également servi d’un sitar sur « Mishra Shivranjani ». On a aussi utilisé du oud électrique sur « Leïla Nova », mais aussi des percussions qu’on joue nous-mêmes et qu’on sample par la suite. Tout ce qui est parties électroniques c’est à la fois des synthés analogiques et des synthés de reproduction de sons qui sont accordables en quarts de tons pour s’accorder sur les maqâms orientaux. Il y a très peu de samples. Tout ce qui est boîtes à rythmes est digital mais l’album est assez partagé entre sons électroniques et organiques. En gros c’est du 50-50.

Votre album est composé d’une reprise, « Lambaya Püf De » de Baris Manco, et de deux réinterprétations, l’une du classique arménien « Nazani » ainsi que de « Mishra Shivranjani » et de son alap, prélude. Comment choisissez-vous les morceaux que vous réinterprétez ?

« Lamabaya Püf De » est initialement un morceau folk traditionnel turc qui a différents noms. Il a été joué par plein de musiciens mais Baris Manco l’a modernisé, popularisé à travers son interprétation et a écrit les paroles, mais l’air musical est un air traditionnel d’Anatolie qu’on retrouve sous le nom de « Kasik Havasi ». On adore ce morceau, on le joue beaucoup sur scène et de manières très différentes, à la fois avec un rythme proche de l’original mais aussi de manière beaucoup plus électronique tel qu’on l’a mis sur l’album. C’est un hommage à Baris Manco et à la musique turque.

« Mishra Shivranjani » c’est plus une composition à partir d’un râga. Un râga n’est pas vraiment une mélodie, pas vraiment une composition, mais il y a de tout ça dans un râga. C’est une approche, un canevas qu’on peut utiliser, à la fois une échelle mélodique et une manière de jouer. C’est un canevas autour duquel on peut improviser. Le thème qu’on a utilisé, on l’a composé à partir du râga « Mishra Shivranjani ». Pour « Nazani » on a juste repris des bribes d’un poème de Sayat-Nova, mais la composition on l’a faite en s’inspirant de musiques folk turco-arméniennes. La plupart des morceaux de cet album sont des compositions qui s’inspirent d’aires culturelles. Sur « Magna Mater » c’est un thème grec mais la mélodie centrale et les textes ne sont pas grecs et ne proviennent pas du thème original. On bidouille, on mélange, on fait des collages pour évoquer des mélodies, des aires, des rythmes et on travaille autour de ça. Ces musiques traditionnelles là sont toujours interprétées, réinterprétées et réadaptées par les musiciens, c’est ce qui fait qu’elles sont vivantes. Ces thèmes n’ont souvent pas d’auteurs propres, ils ne sont pas figés, mais sont le fruit d’un cheminement, de la vision du musicien au moment où il le joue.

On n’est pas fermé et à l’avenir on aimerait reprendre du répertoire d’Europe de l’ouest. Généralement, on réinterprète les morceaux qui nous touchent.

On se rend compte sur Youtube que des morceaux traditionnels ou même pop venus du monde oriental génèrent autant de vues que les pop-stars occidentales.

Pourquoi pas de featurings jusqu’à présent ?

C’est quelque chose qu’on aimerait développer. On trouvait intéressant au début du projet d’avoir cette idée de mobilité avec des samples, puis de développer le côté duo instrumental, et maintenant à l’avenir de travailler avec d’autres chanteurs et chanteuses, d’autres musiciens pour à la fois collaborer, s’enrichir mutuellement et intégrer de nouveaux répertoires. L’idée pour le prochain EP serait de travailler essentiellement avec des chanteuses de ces aires culturelles qui nous fascinent et nourrissent notre musique. On a également l’idée de s’associer avec des danseurs pour se lancer dans des projets vidéos.

L’un des morceaux de votre album s’intitule « Halay 2020 ». Le halay est une danse traditionnelle originaire d’Anatolie, mais qui se danse aussi dans la région du Caucase et celle de la Thrace. Pourquoi ce titre ? Est-ce que vous dansez le halay dessus ou est-ce que le public l’a déjà fait lors d’un concert ?

Nous avions une référence sur le premier album qui s’appelait « Dabke 91 ». L’idée était de reprendre un nom de danse du Levant et de l’associer à une date. On trouvait assez drôle le côté actuel en lui accolant 2020. Après, typiquement le morceau en lui-même, à part le thème qui est un thème turc joué dans des halays, son rythme n’est pas propre à cette danse là. Je n’ai jamais personnellement essayé de le danser. J’ai vu plein de danses de cette région mais je ne les ai jamais apprises.

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Ça nous est déjà arrivé plusieurs fois de jouer devant des spectateurs qui les dansent. On est toujours super contents quand un public de ces régions danse de manière traditionnelle sur notre musique, comme lors de concerts aux Pays-Bas devant des Syriens et des Libanais.

Y a t-il des artistes français qui vous inspirent ?

Je n’écoute pas beaucoup d’artistes français actuels. Il y a bien entendu beaucoup d’artistes français qui sont dans le même domaine que nous comme Acid Arab avec qui on est proches, Ammar 808 qui est un tunisien installé en Belgique et qui fait un super travail de réinterprétation, Al-Qasar dont on est aussi assez proches et qui sont intéressants du côté rock. Il y a Mauvais Œil et Taxi Kebab bien sûr. Ce ne sont pas des influences, ce sont des gens que l’on côtoie et on sent qu’il y a un intérêt commun, un partage et une micro scène qui fait qu’on est dans le même univers. Personnellement j’écoute beaucoup de choses assez anciennes et je ne suis pas trop la scène actuelle.

Comment expliquez-vous l’intérêt de plus en plus important pour les musiques orientales en France et son expansion vers un nouveau public ? Quand vous avez commencé Ko Shin Moon, aviez-vous conscience que vous maximisiez vos chances avec cette mode ?

Avant de commencer Ko Shin Moon, je rentrais d’Inde et je n’avais aucune idée de ce qu’il se passait sur la scène française. Je n’écoutais quasiment que de la musique indienne à l’époque. J’avais un peu perdu contact avec tous mes amis musiciens et je me suis dit que j’allais monter un projet dans lequel je pouvais jouer tout seul. Je jouais du sitar et je voulais m’avancer vers l’électronique pour pouvoir travailler en solo. Ma première approche était de pouvoir composer et mélanger ce que j’avais appris en Inde avec des éléments électroniques. J’ai proposé mon projet au label Akuphone au tout début, ensuite j’ai rencontré Nico, mais au départ c’est Akuphone qui m’a amené à écouter d’autres choses. Je n’étais pas conscient qu’il y avait une scène multiculturelle qui se développait. C’est assez drôle parce que la première fois que j’ai amené un morceau à Akuphone, on m’a parlé d’Acid Arab en me disant que ce que nous faisions était assez proche de leur musique mais que contrairement à eux nous jouions les instruments. Cela m’a amené à écouter et à chercher ce qui avait déjà été fait dans la fusion entre musiques traditionnelles et musiques électroniques. Nous n’étions pas conscients du fait que cela allait se développer de cette manière.

Je ne sais pas ce qui explique cela. Certaines personnes te diront que c’est lié à la part de la population immigrée en France, mais je pense que le phénomène majeur c’est l’ouverture avec internet et le travail des diggers qui sont allés chercher et qui ont diffusé des raretés comme les labels Sublime Frenquencies, Habibi Funk, Akuphone, Sahel Sounds, etc. Tout ce travail des labels et disquaires a permis une démocratisation de ces musiques là.

Avez-vous déjà donné des concerts dans l’aire géographique et culturelle qui vous inspire ? Comment cela a été reçu ?

On a joué au Maroc à Atlas Electronic, en Égypte et en Palestine et à chaque fois cela c’est super bien passé. En Égypte on a collaboré avec des musiciens locaux et ça nous a permis de découvrir un répertoire musical qu’on ne connaissait pas et qui est menacé de disparaitre : le zâr. Il y avait quelques problèmes de langage car ils parlaient très peu l’anglais et nous très peu l’arabe mais ça c’est très bien passé et la réaction des spectateurs était superbe. On a toujours cette question par rapport à la légitimité, est-ce que ce que l’on fait est bien fait ? Est-ce que c’est juste ? Est-ce qu’on ne porte pas préjudice ou est-ce que quelqu’un pourrait se sentir offensé par quelque chose ? Mais dans les lieux dans lesquels on a joué on n’a jamais ressenti ça et on a toujours eu des retours plutôt positifs. Généralement les gens sont assez contents que l’on s’intéressent à leurs traditions musicales, qu’il y ait un intérêt et que ces répertoires soient diffusés et vivent. Ces voyages nous enrichissent musicalement et nous permettent de développer à la fois notre approche et nos connaissances.

Musicalement vers où se dirige la nouvelle décennie ?

Je ne sais pas si c’est le microcosme dans lequel nous évoluons musicalement mais j’ai le sentiment qu’il y a clairement des rencontres musicales de plus en plus fortes entre des styles et des aires culturelles différentes. Avec internet, les auditeurs sont peut-être de plus en plus sensibles à des musiques qui ne viennent pas de chez eux. Je pense que ces fusions, ces rencontres entre différents styles vont être de plus en plus prédominants dans la musique. La section fourre-tout qu’on appelait « musique du monde » est le reflet de l’ignorance lié à une époque et du sentiment de dominance intellectuelle de l’occident sur le reste du monde, j’espère que cette case là va être amenée à devenir de plus en plus pointue et à avoir des références plus exactes. On se rend compte sur Youtube que des morceaux traditionnels ou même pop venus du monde oriental génèrent autant de vues que les pop-stars occidentales. Je pense que c’est un révélateur de changement d’hégémonie culturelle qui va se traduire par une ouverture musicale au monde.

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