Par Lisha Pu
Danser, c’est se frayer un chemin dans la temporalité et une courbure dans l’espace. C’est quand le corps devient musicalité, quand la matière vibre.
Just Dance: Traque – NOWNESS from NOWNESS on Vimeo.
Les yeux rivés, la nuque dégagée et le souffle suspendu, un jeune homme lumineux attend seul dans une immense forêt. Concentré, il semble guetter des présences autour de lui, la menace fait rage. Tourné dans une superbe pellicule 16 mm et avec une attention particulière accordée au design et au mixage sonore, Traque est un court-métrage de Joffrey Monteiro-Noël et Vadim Alsayed qui nous plonge dès la scène d’ouverture dans une atmosphère prenante, pour mieux questionner le corps en devenir à travers la mise en espace de celui-ci.
Sans paroles, tout le film est jeu de corps, de mouvements et de sonorités. La musique de Maxence Dussère, tantôt lancinante, tantôt inquiétante, ajoute avec brio un certain trouble aux scènes. Le danseur, joué par Adrien Dantou – qui a notamment travaillé avec Benjamin Millepied et Raimund Hoghe –, incarne avec délicatesse une figure évanescente de la pureté, et se confronte, avec sensibilité et effroi, au groupe d’hommes qui représente une certaine idée de la masculinité et de la violence.
Cette traque dans la magnétique forêt est bien sûr la traque des chasseurs pour leur proie, mais c’est peut-être aussi celle du temps vis-à-vis de notre propre éclat et de notre propre jeunesse. L’occasion pour nous de citer l’immense Pina Bausch : « Dansez, dansez, sinon nous sommes perdus ». Rencontre avec le co-réalisateur du film, Joffrey Monteiro-Noël.
Manifesto XXI – Pour commencer, comment est né le projet de Traque ?
Joffrey Monteiro-Noël : J’ai co-réalisé ce film avec Vadim Alsayed, qui était également chef opérateur sur le film. C’est parti de deux choses, la première est une contrainte : on avait deux bobines de 16 mm, ce qui fait en tout vingt-deux minutes pour tourner. La deuxième est l’envie commune de travailler ensemble, car nous sommes tous les deux intéressés par le mouvement et la fixité au sein de l’action. On a donc réfléchi autour de la naissance du mouvement, tant à l’intérieur du cadre que de la caméra elle-même. Je ne le considère pas vraiment comme un film de danse à proprement parler, mais il était évident que le mouvement allait naître et qu’on allait travailler avec un danseur. On en a parlé à Adrien Dantou, et c’est comme ça que le projet est né.
Pourquoi avoir posé la contrainte des deux bobines de pellicule ?
Le 16 mm est cher à développer, et il se trouvait qu’à ce moment-là, on avait la possibilité d’avoir un développement gratuit de ces deux bobines. Au final, la contrainte du matériel s’est transformée en d’autres contraintes, et on s’est dit : « Le meilleur moyen de faire un film sur le mouvement et la fixité, c’est d’avoir un maximum de contraintes ». Donc sur le tournage, on n’avait pas d’éclairage, ni de travelling, etc. Maintenant, avec le numérique, on multiplie les prises, les axes et les points de vue, alors que là, il a fallu définir en amont. Par exemple, la chorégraphie dure deux minutes, et si on fait trois prises, on arrive à six, sept minutes de pellicule. Cette contrainte oblige à répéter, et à décider bien en amont du tournage ce que l’on veut exactement comme type de mouvement, et à quel moment, en fonction du décor.
Comment avez-vous rencontré le danseur Adrien Dantou ?
Vadim avait déjà travaillé avec Adrien, c’est donc grâce à des amis communs que l’on s’est ensuite rencontrés. À la base, avec Vadim, on avait un autre projet qui a évolué pendant la préparation.
Le film accorde une grande place à la musique et au son, peux-tu me parler de la collaboration avec Maxence Dussère ?
Maxence est monteur son, mixeur et compositeur sur ce film. J’avais déjà travaillé avec lui deux fois, il a mixé un de mes films et a fait la musique d’un autre court-métrage. Sur Traque, les idées de musique et de son sont arrivées après le tournage. Lié au décor et au rythme, j’avais très envie de travailler autour de l’orgue. Je trouvais que la forêt, le côté majestueux et cérémonial de ce lieu, appelait l’orgue dans quelque chose de contemplatif et de mystique ; cependant, on voulait utiliser l’orgue sans référence au côté religieux ou aux choses grandiloquentes. Maxence avait aussi envie de travailler avec cet instrument, on a donc essayé de voir comment on pouvait faire de la musique à partir de sons.
Le mouvement du danseur intervient parce qu’il est mis en mouvement par d’autres personnes qui viennent perturber son environnement. La musique est née de sons naturels : les mouvements se transforment en notes qui deviennent de la musique. Le format très court du film était une difficulté, car l’orgue est un instrument qui a besoin de temps, vu que l’écho de la note est long. Pour obtenir quelque chose de mélodieux sur une durée très courte, ramassée, dense, il y avait une petite astuce à trouver pour l’orgue. Outre le côté intemporel de l’instrument, c’est du vent, il y avait donc une sorte de lien à trouver pour que le vent se transforme en son.
Peux-tu me parler un peu de ton parcours et de tes prochains projets ?
Je viens du théâtre, et je pense que cela prend de plus en plus de place dans ce que je fais, ou en tout cas dans les films que j’ai envie de faire. Le mouvement et la fixité m’intéressent, comme les images arrêtées, les choses très photographiques où l’action semble suspendue, mais où le temps se déroule. Ce n’est pas de la photographie avec un instantané, mais un temps étiré. Je ne sais pas si cela vient du théâtre, mais ce qui me tient à cœur, c’est une mise en scène marquée, visible.
Sinon, je suis en train de terminer le montage d’Herbes Mauves, le prochain clip de Barbara Carlotti et Plaisir de France pour lequel je réalise, il sera prêt à la fin du mois. Parallèlement, je suis à l’écriture d’un court-métrage et à la co-écriture d’un long-métrage et d’une série qui est actuellement en développement, pour lequel on a eu l’aide au concept au CNC [ndlr : Centre national du cinéma et de l’image animée]. Et il y aura d’autres clips avec d’autres artistes en automne et en janvier prochain normalement.
C’est vraiment très beau et me fait penser aux fascistes qui traquent une femme dans une forêt pour la tuer. C’est dans le film « Le conformiste » de Bernado Bertoluci.(1970). Félicitations!