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Éviter le saccage : comment la lutte contre les JO Paris 2024 s’organise

Éviter le saccage : comment la lutte contre les JO Paris 2024 s’organise

Mardi 24 janvier, s’ouvrait au Sénat l’examen de la Loi olympique II, qui entend notamment légaliser la vidéosurveillance algorithmique, « dans un cadre expérimental jusqu’en juin 2025 ». A l’heure où les pelleteuses retournent la Seine-Saint-Denis, le ministère de l’Intérieur a déjà annoncé la mobilisation de 35 000 forces de sécurité intérieure pendant le méga-événement. Gentrification, surveillance, sécurité : quel genre de monde nous annonce l’approche des JO Paris 2024 ?

Plus de 200 personnes étaient réunies ce samedi 14 janvier dernier à la Flèche d’or, autour de la soirée « JO sécuritaires : l’étau se resserre », co-organisée par La Quadrature du net et le collectif Saccages 2024. Des jeunes, des vieux, des moyens, habitant·es de la Seine-Saint-Denis et d’ailleurs, militant·es d’association et de collectifs, allié·es ou intéressé·es, chercheur·euses, élu·es locaux·ales, conseiller·es régional·es. Aux tables rondes (présentation de l’initative Technopolice par la Quadrature du net ; interventions de deux membres de Saccages 2024 ; de Matheus Viegas Ferrari, doctorant à l’université Paris 8 et à l’Université Fédérale de Bahia ; et de Marianna Kontos, doctorante à l’Université Paris Nanterre) ont succédé une discussion collective ainsi qu’une série d’ateliers contre-olympiques, puis un DJ set. « Les Jeux Olympiques, c’est le vieux monde qui ne veut pas mourir », déclare au micro un militant anti-JO , en clôture du débat.

Je vis dans le nord de la Seine-Saint-Denis, où l’essentiel des infrastructures olympiques manquantes sont en train d’être construites. Pas un jour ne passe sans que, sous nos yeux, la terre ne se remue en préparation du méga-événement. En plus des chantiers et de leurs effets imminents sur les conditions de vie des habitant·es du 93, les Jeux Olympiques de Paris 2024 se font le cheval de Troie d’un projet de gouvernement néolibéral, extractiviste et sécuritaire. Contre ce destin, la lutte est en cours depuis plusieurs années, en Île-de-France et ailleurs dans le monde.

Paris 2024, un présent dystopique

La cérémonie d’ouverture du méga-événement, dont le budget lunaire s’élève à 166 millions d’euros (sur un budget total passé de 6,2 à 8 milliards d’euros environ), semble contenir en elle-même tout l’arsenal d’un présent dystopique. D’après les annonces de Gérald Darmanin, la cérémonie devrait se dérouler hors stade (une première pour les Jeux Olympiques d’été), dans une immense mise en scène pyrotechnique, à bord d’installations et de bateaux circulant sur la Seine, le long d’un parcours de 6 km, entre le pont d’Austerlitz et le pont d’Iéna. 600 000 personnes seraient attendues le Jour J : 500 000 gratuitement, sous réserve de se munir d’un billet permettant de contrôler leur accès ; et 100 000 autres spectateurs, qui paieront leur place entre 90 et 25 000 euros. Ce jour là, et sur toute la durée des Jeux, 35 000 forces de sécurité intérieure (police et gendarmerie), accompagnées de 3 000 agents de sécurité privée, seront présents. 

Lorsqu’on sait que les éditions précédentes des Jeux Olympiques ont rejeté en moyenne entre 1,5 et 3,5 millions de tonnes de CO2, on s’interroge sur le coût écologique d’un tel spectacle. Mais ça n’est pas tout : si les différents acteurs s’accordent pour construire la majorité des infrastructures olympiques manquantes en Seine-Saint-Denis, la cérémonie place évidemment Paris sous les feux des projecteurs, afin de démontrer sa puissance et sa légitimité internationale. Pour Mathieu Viegas Ferrari, qui s’intéresse aux effets politiques des méga-événements, il s’agit pour l’ancienne première destination touristique mondiale de « faire ses preuves concernant sa capacité à gérer un dispositif de sécurité après les attentats de 2015-2016 »

Pour le chercheur, ces Jeux Olympiques vont produire un « effet cliquet », c’est-à-dire « justifier la mise en place de mesures drastiques, par un état qualifié d’exceptionnel, sur lesquelles il ne sera plus possible de revenir par la suite ». Ils sont un prétexte pour expérimenter et accélérer le déploiement de technologies de surveillance aujourd’hui illégales, en phase d’être légalisées (notamment par les Lois Olympiques I et II de 2018 et 2023, la Loi sécurité globale ou encore la Loi drones II, conçues en anticipation des Jeux). De tels effets ont déjà été observés lors d’éditions précédentes : par exemple, à Rio, en 2016, où Mathieu Viegas Ferrari était présent en tant que militant, les lois antiterroristes édictées pour l’événement ont ensuite servi d’instrument de répression contre les manifestants au gouvernement du président précédent.  

Vidéo de soutien des militant·es japonais de « Hangorin No Kai » envoyé à Saccages 2024 en décembre 2022, screenshot de la chaîne Youtube du collectif


L’effet cliquet concerne aussi la fabrique de la ville, puisque la définition des Jeux Olympiques comme une OIN (Opération d’intérêt national) permet ne pas tenir compte des documents réglementaires d’urbanisme, ni des processus de concertations obligatoires (qui n’ont déjà, en général, qu’une valeur consultative). La voie est libre, donc, pour la spéculation foncière sauvage. « On s’inscrit dans un déjà-là, où, avec la désindustrialisation, de grandes surfaces de terrain se libèrent et représentent de très bonnes occasions pour les promoteurs », explique Marianna Kontos. Si le contexte urbain de Rio diffère du contexte francilien, les chiffres n’en restent pas moins parlants : pour préparer le terrain, 119 favelas ont été rasées, ainsi que d’autres logements, à la suite de quoi 77 000 brésilien·nes se sont retrouvé·es sans toît. 80 personnes environ sont mortes de violences policières au cours des d’expulsions. Si l’on est capables de s’indigner contre la Coupe du monde au Qatar, faisons-le aussi lorsque la Solidéo (Société de livraison des ouvrages olympiques) exploite des travailleurs sans papier par exemple. 

Habitant·es de la Seine-Saint-Denis en lutte contre la bétonisation et la gentrification

A court terme et avant tout, les JO de Paris 2024 compromettent la vie des habitant·es du nord de la Seine-Saint-Denis — c’est-à-dire l’une des dernières zones de petite couronne où les populations précaires et issues de l’immigration sont encore majoritairement visibles, où les rencontres ont lieu dans la rue et où l’on peut se nourrir au marché pour dix euros par semaine. Les chantiers des projets olympiques, qui ont déjà commencé, correspondent chacun à des projets Grand Paris et Grand Paris Express : ils sont ainsi bras armé de la gentrification et de la bétonisation. Sur le plan de la répression, on imagine aussi très facilement qui sera visé en priorité, à l’annonce du « plan zéro délinquance » par Gérald Darmanin, destiné à « harceler et nettoyer de la délinquance », à travers 3500 opérations policières en Île-de-France.

Les premières victimes seront les habitant·es de la Seine-Saint-Denis et notamment toutes les personnes qui subissent déjà des violences policières, ou de la répression, quelle qu’elle soit.

Amel, membre de Saccages 2024 et habitante d’Aubervilliers

Le 11 décembre 2022, Saccages 2024 appelait à se réunir devant le siège du Comité d’Organisation des Jeux Olympiques sur la place du Front populaire à Aubervilliers, pour « faire sa fête au COJO » à l’occasion de la réunion organisée pour révision du budget des Jeux (dont la hausse a finalement été actée à +10%). Une centaine de personnes sont réunies : cantine solidaire, chorale, match de foot improvisé, tables rondes autour de la question sécuritaire, de l’anti-validisme dans le sport et des liens entre écologie et grands projets inutiles et imposés. 

Saccages 2024 est né en novembre 2020, suite à une journée d’action Contre la réintoxication du monde. D’abord, il a joué une fonction de coordination entre plusieurs collectifs d’habitant·es du 93 en lutte contre les projets olympiques : le Comité vigilance JO de Saint-Denis, qui collecte et diffuse des informations sur les Jeux depuis 2017 — Notre parc n’est pas à vendre, qui s’oppose à la construction du « cluster des médias », sur 7 hectares, dans le couloir écologique de l’Aire des Vents du Parc Georges Valbon à la Courneuve, puis à sa transformation en « éco-quartier » après 2024 — Pleyel avenir, qui refuse la construction d’un échangeur autoroutier, impliquant un trafic d’environ 20 000 véhicules par jour, aux abords immédiats des écoles maternelle et primaire du groupe scolaire Pleyel, comptant 700 enfants — ainsi que le collectif de Défense des jardins ouvriers d’Aubervilliers, dont les actions ont été plus particulièrement médiatisées. Des militant·es de Youth for Climate, des Brigades de solidarité populaire de Pantin et du collectif Non aux JO faisaient également partie du noyau fondateur. Le collectif s’est ensuite structuré comme un outil de veille autour des projets olympiques, de soutien des luttes contre-olympiques, et d’organisation d’événements anti-olympiques (rassemblements, soirées débats, projections de films au Malaqueen, « toxic tour » ou visites de sites impactés par les JO, organisation des Rencontres internationales anti-olympiques en mai 2022 à l’Université Paris-8, etc.) 

Au rassemblement, Amel*, membre du collectif et habitante d’Aubervilliers, déclare : « Les premières victimes seront les habitant.es de la Seine-Saint-Denis (…) et notamment toutes les personnes qui subissent déjà des violences policières, ou de la répression, quelle qu’elle soit. »

« Moi je vis en squat, et la pression du foncier se fait sentir très très fort sur nous : expulsions plus rapides, difficultés pour ouvrir. Il faut que tout soit propre pour l’arrivée des Jeux Olympiques. L’augmentation des loyers a déjà commencé à Saint-Denis et va continuer. C’est un déplacement de population, c’est clair et net. On ne va sans doute plus pouvoir habiter là où on habitait, ou bien plus de la même manière ou dans les mêmes conditions (…) Dans deux ans, ça ne sera plus du tout les mêmes villes (…) Quand on vit ça en tant qu’habitant·es de la Seine-Saint-Denis et qu’on nous explique que ça va être un super héritage, qu’on devrait être très content·es, honoré·es que ça nous arrive, on ressent du mépris », poursuit Amel.

Début 2021, à Saint-Ouen, 286 habitants du Foyer de Travailleurs Migrants de l’ADEF ont déjà été expulsés, malgré une lutte de plusieurs mois, sans perspective de retour dans le quartier, pour laisser place à la construction du futur village olympique. 

On s’oppose au chantier, qui ne prend pas en compte les usages qui existent déjà. Il y a des solidarités qui se nouent ici.

Léo, membre du collectif La Boulette, habitante de Saint-Denis

En plus du déplacement des populations minorisées toujours plus loin de la métropole, de la pollution de leurs espaces de vie et de la destruction des quelques portions d’espaces verts qui innervent encore la Seine-Saint-Denis, ce qui se joue, c’est aussi la privatisation massive des espaces publics, et donc, la menace des sociabilités et des solidarités de quartier. 

Par exemple, La Boulette s’est formée début 2022, autour de la pratique de la pétanque à la Maltournée — une vaste friche, située à Porte de Paris, au bord du Canal de Saint-Denis, où il y a de l’herbe, des arbres… « C’est un collectif issu d’une bande de potes de Saint-Denis, des personnes qui ont entre la vingtaine et la trentaine, moitié kabyles, moitié français, moitié meufs, moitié mecs », explique Léo, membre du collectif et dionysienne. « Il y a beaucoup de gens qui viennent à la Maltournée, qui vont promener leur chien, des personnes chinoises qui viennent pêcher, des gens qui viennent de toute la Seine-Saint-Denis… Il y a des personnes qui habitent là, dans des cabanes, des gens qui font des barbecues, des kabyles qui viennent boire des coups et jouer à la pétanque, et aussi des personnes blanches »

Il y a quelques mois, les membres du collectif apprennent que la Maltournée fait l’objet d’un projet de rénovation, réalisé en vue de glamouriser l’entrée de Saint-Denis pour l’événement mondial. « On s’oppose au chantier, qui ne prend pas en compte les usages qui existent déjà (…) ils disent qu’ils veulent mettre des pavés, une piste cyclable, faire un parc classique, réduire le terrain de pétanque. Ils veulent construire des résidences de standing sur une partie de la zone. Il y aura aussi un contrôle des usages avec caméras de vidéosurveillance ». Malgré leur participation à l’enquête publique concernant le chantier, celui-ci a commencé en décembre 2022. Le lieu est désormais inaccessible au public. Une fois par mois, La Boulette organise une cantine mobile pour visibiliser la situation. 

Si le projet prévoit de reconstruire un parc, le temps du chantier risque de détruire les usages et d’exclure les usager·es actuel·le·s de cet espace : « Il y a des solidarités qui se nouent ici. Par exemple, Julia est allée là-bas quand elle est arrivée à Saint-Denis, et quelqu’un·e lui a trouvé du travail. C’est un endroit qui est important pour nous, qui le fréquentons de manière régulière et quotidienne ».

Ces luttes locales sont très importantes. Non seulement parce qu’elles émanent directement des premier·es concerné·es par les transformations liées aux Jeux Olympiques, mais aussi parce qu’elles permettent de constater que la machine, qui semble inarrêtable, rencontre néanmoins des pierres d’achoppement. Même si on est très loin d’une hypothétique annulation totale des projets, ces mobilisations ont déjà permis quelques victoires : l’annulation de la construction du surf parc, prévue à Sevran ; l’annulation de la déclaration d’utilité public du Franchissement Urbain Pleyel (qui ne suspend pas pour autant des travaux) ; la révision du permis de construire de la Solideo (Société de livraison des ouvrages olympiques) à Aubervilliers (où les jardins ont été expulsés, rasés, aujourd’hui impénétrables, mais sur l’emplacement desquels le Solarium ne sera finalement pas bâti).

Sécuritarisme et légalisation de la vidéosurveillance algorithmique

Les Jeux de Paris ne menacent pas seulement de détruire le cadre de vie — voire la vie tout court — des séquano-dionysien·nes. Ce qui se prépare, c’est aussi la légalisation de dispositifs, aujourd’hui illégaux, qui permettront la surveillance généralisée de la population.

Retour à la soirée « JO sécuritaires : l’étau se resserre » du samedi 14 janvier, à la Flèche d’or. Le projet Technopolice réunit des personnes mobilisées contre les technologies de surveillances policières basées sur le Big Data et l’Intelligence Artificielle. Deux militant·e·s nous exposent la situation : L’Article 7 de la loi Olympiques II, dont l’examen sera ouvert au Sénat ce mardi 24 janvier 2023, comprend un article qui entend légaliser la vidéosurveillance algorithmique « dans un cadre expérimental jusqu’en juin 2025 » — expérimentation qui risque de se prolonger pour toujours selon Technopole. 

La vidéosurveillance algorithmique permettra de rattacher des individus à une identité sociale, d’identifier les personnes racisées, ou bien leur classe sociale, de repérer les publics jugés indésirables.

Une militante du projet Technopolice

Mais qu’est-ce que la vidéosurveillance algorithmique ?

Il s’agit de la détection, sur des rushes tirés des caméras de vidéosurveillance, de comportements et d’événements considérés comme suspects par des logiciels et algorithmes. Les images recueillies par les caméras sont ensuite envoyées dans des CSU (centres de supervision urbains), où les agents de sécurité sont informés et appelés à intervenir lorsqu’un tel comportement est reconnu par le logiciel. D’après Technopolice, si les menaces évoquées par Gérald Darmanin sont « les attaques terroristes, l’ultra droite, l’ultra gauche », des actions simples telles que courir, s’allonger, rester statique un moment au même endroit, de pénétrer dans un espace privé, ou commettre une simple infraction, pourront alerter le système. « La vidéosurveillance algorithmique permettra de rattacher des individus à une identité sociale, d’identifier les personnes racisées, ou bien leur classe sociale (…) de repérer les publics jugés indésirables », déclare ainsi une activiste de Technopolice. 

En France, plus de 800 000 caméras de vidéosurveillance sont déjà installées dans des lieux ouverts au public, parmi lesquelles plus de 70 000 se trouvent sur la voie publique. A l’occasion des JO, le Ministère de l’Intérieur annonce l’ajout de 500 nouvelles caméras de vidéosurveillance à Saint-Denis, 330 à Marseille (où se dérouleront certaines épreuves olympiques) et 1000 à Paris, en plus des 4171 déjà existantes. Sur l’ensemble du territoire, 15 000 nouvelles caméras devraient être installées en France pour les Jeux et la Coupe du monde de Rugby — qui semble avoir été désignée pour faire office de répétition générale en matière de dispositifs sécuritaires. Le budget sécurité pour les Jeux, initialement estimé à 182 millions d’euros, s’élève désormais à 295 millions. 

La vidéosurveillance est, en réalité, déjà expérimentée dans une cinquantaine de villes (dont Marseille). D’autres (comme Nice) préfèrent tester des dispositifs de reconnaissance faciale. Ailleurs, le terrain se prépare : un nouveau CSU a été construit à Saint-Denis en 2021, la ville d’Élancourt (qui accueillera les épreuves de VTT) a signé un contrat avec l’entreprise GENETIC, afin de tester de nouveaux types de vidéosurveillance. 

Voir Aussi

Plus généralement, « les JO sont aussi une vitrine pour que les industriels de la sécurité puissent montrer de quoi ils sont capables », déclare une militante. Technopolice a publié à ce sujet l’article « JO 2024 : la frénésie sécuritaire » sur le site du collectif : « [Les] industriels de la sécurité […] se sont regroupés dans un comité intitulé « GICAT » — « Groupement des industries françaises de défense et de sécurité terrestre et aéroterrestre » —, un lobby de pression sur les pouvoirs publics visant à faciliter le déploiement de leurs dispositifs de surveillance. Son délégué, Gérard Lacroix, n’a aucun problème à souligner que les JO seront un enjeu essentiel pour les entreprises françaises et qu’il compte bien faire comprendre aux parlementaires la nécessité de « faire évoluer certains textes » trop restrictifs. Comprendre : les textes qui protègent les libertés. »

Au-delà du pouvoir accru donné aux forces de l’ordre nationales (police, gendarmerie), les JO correspondent aussi à un moment de renfort et d’institutionnalisation de la sécurité privée.

Ysé, Saccages 2024

Le gouvernement estime que les forces de sécurité nationales mobilisées seront au nombre d’environ 35 000 : c’est peu, par rapport aux éditions précédentes des Jeux. Un scénario comparable à celui de l’édition londonienne, lors de laquelle les forces de l’armée sont intervenues, pourrait être à craindre. Pour pallier le manque d’agents disponibles, le gouvernement compte donc recourir à des agents de sécurité privés, qui ne sont pas assez nombreux à être formé·es ou disponibles aujourd’hui. Qu’à cela ne tienne : le gouvernement compte aussi adresser des appels personnalisés aux chômeur·euses et étudiant·es francilien·nes pour les inviter à s’engager dans des formations gratuites au métier. 

« Ce ne sont pas les technologies de surveillance qui servent aux JO, mais le contraire », conclut, plus tard, Mathieu Viegas Ferrari. En effet : l’enjeu est bel et bien de se servir des Jeux Olympiques pour rendre acceptable et quotidien cet arsenal sécuritaire liberticide aux yeux de la population. 

Démanteler la propagande olympique, faire annuler les JO ? 

Sur le site officiel de la prochaine édition des Jeux, on peut lire : « Paris 2024 c’est un projet qui vit bien au-delà des Jeux Olympiques et Paralympiques. Opportunité économique, écologique, sociale, c’est l’ensemble de la société qui profitera de l’héritage laissé par les Jeux (…) Éducation, santé, cohésion, le sport a le pouvoir de tout changer (…) Des Jeux durables et respectueux de l’environnement, pour inspirer les générations futures et laisser un héritage positif aux individus et à la société »

A la lumière des informations exposées par les militant·es de Saccage et de Technopolice, le discours sur les Jeux, répandu par l’État, le CIO (Comité international olympique), mais aussi par de nombreux·ses élu·es, collectivités locales, et institutions culturelles, relève d’une vaste opération de propagande, qu’il faut démanteler.

L’héritage des Jeux olympiques ne bénéficiera évidemment pas à toutes et tous, mais bien plutôt au grand capital, aux promoteurs immobiliers, aux industries sécuritaires, et au gouvernement. Croire que les Jeux Olympiques puissent apporter une quelconque amélioration à la santé des francilien·nes, ou faciliter leur accès au sport, est une aberration lorsqu’on sait que les infrastructures olympiques viennent polluer l’air de la Seine-Saint-Denis et qu’elles seront majoritairement privatisées à la suite des Jeux. Concernant l’impact écologique, Anne Hidalgo avait posé comme préalable à la candidature de Paris le respect d’un objectif d’émission maximal d’1,56 million de tonnes de Co2 : c’est la moitié des émissions réalisées par les éditions de Londres et de Rio, mais c’est déjà trop, et rien ne dit que la promesse sera tenue. Sur le volet éducation et cohésion : n’est-il pas plutôt temps de « remettre en cause la notion de compétitivité, inhérente au sport olympique » comme le dit Ysé, militant de Saccages 2024 ?

Pour conclure, il serait bon de rappeler quelques éléments biographiques de Pierre de Coubertin, le fondateur des Jeux en 1896. Ce dernier se définissait comme un « colonial fanatique ». En 1935, il déclarait au micro d’une émission radiophonique diffusée à Berlin en préparation de l’édition de l’année suivante : « La première caractéristique de l’olympisme est d’être une religion. En ciselant son corps par l’exercice, l’athlète antique honorait les dieux. L’athlète moderne fait de même : il exalte sa race, sa patrie et son drapeau ». On ne s’étonne pas, donc, de la sympathie qu’il manifestait à l’égard du régime hitlérien. 

L’édition parisienne de 2024 veut lui rendre hommage, et le CIO déclare que « nous devons à Pierre de Coubertin toute l’organisation des Jeux olympiques, qui ont bénéficié de son esprit méthodique, précis et de sa large compréhension des aspirations et des besoins de la jeunesse » En ce sens, les JO ne réaffirment-ils pas leur adhésion aux normes corporelles racistes et validistes qui sont à leurs fondements, malgré leur prétention ? 

En février 2022, dans leur appel pour des Rencontres internationales anti-olympiques, les membres de Saccages 2024 déclaraient ainsi : « Il faut l’admettre : Paris 2024 n’est pas exceptionnel, c’est un événement comme les autres. Opportunités pour certains, dévastation pour les gens ordinaires. Privatisation du profit, nationalisation de la dette. Paris 2024 peut différer en termes de portée et d’échelle des Jeux récents, mais les grandes forces que les Jeux Olympiques libèrent sont les mêmes. » 

Depuis 2013, chaque fois qu’une ville candidate a organisé un référendum sur sa candidature aux JO, la population a répondu par la négative. Les candidatures des villes s’amenuisent elles-mêmes au fil des ans, en raison des coûts économiques exorbitants liés aux Jeux : lorsque Paris est désignée, en 2017, elle est en fait la seule ville restant alors candidate. Ne serait-il donc pas temps de se mobiliser pour en finir une bonne fois pour toute avec ces méga-événements, qui accélèrent la destruction de nos espaces de vie, de nos libertés, et qui, sous couvert d’inclusivité, reconduisent l’exclusion des corps minorisés – en bref, qui nous donnent tout pour faire un monde que nous ne désirons pas ?

« Ces méga-événements ne sont pas réformables » concluait Natsuko, militante de Saccages 2024 à la Flèche d’Or. « Notre travail de militant·es n’est pas de tenter de les réformer : on demande la disparition des JO. »


*Le prénom a été modifié.

Image à la Une : action de Saccage le 6 février 2021, screenshot de la chaîne Youtube du collectif.

Edition : Apolline Bazin

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