Auteure, productrice, compositrice et interprète d’origine portugaise, Erika de Casier présente aujourd’hui Sensational, son second album, publié sur le label mythique 4AD. Poussant sa direction musicale à un niveau plus élevé, les compositions sont plus riches et variées que dans Essentials, son opus précédent. Moins monotone, son interprétation apparaît également plus précise et maîtrisée. Sensational se présente comme un microcosme dans lequel les instruments se mélangent aux bruits des vagues, aux chants des oiseaux, aux crépitement de la pluie.
Il suffit parfois d’un rien pour se différencier. La couleur de la voix, l’interprétation d’un texte, l’angle choisi pour aborder un thème, la qualité d’une mélodie, la sophistication d’une rythmique sont autant d’éléments qui, s’ils cohabitent parfaitement dans un même environnement, garantissent la singularité d’une oeuvre, sa pertinence. Cela, Erika de Casier l’a compris. Sa musique puise son inspiration dans l’âge d’or du r’n’b contemporain, elle est riche d’une fantaisie supplémentaire puisqu’elle emprunte aussi au genre du breakbeat, de la G-funk, du trip-hop, du jazz-fusion et même de la bossa-nova. Sa voix douce survole les productions avec une naïve légèreté, comme la narratrice d’un rêve velouté. Erika de Casier développe un univers musical de la juste-mesure, tout y apparait justement à sa place sans excès, sans insuffisance. Les jeux de séduction que décrit l’artiste sont abordés sous le prisme du questionnement simple, presque innocent, « do you mind if i go a little intimate with you? » dans « Intimate » par exemple. Du reste, elle décrit la relation avec les défis qu’elle présente au quotidien, sous le ton de la confidence, comme si nous autres auditeur·ices étions les pages d’un journal intime ballotté dans un sac à dos. Si Clairo, Oklou ou Billie Eilish sont à l’origine de la bed-room pop, Erika de Casier est très certainement à l’origine du r’n’b bedroom, ou celle qui l’illustre le mieux pour l’instant.
Sans restée coincée dans une tentative de reproduction de ce qui a été, Erika de Casier actualise, rend présent. Cette volonté de situer sa musique dans un temps présent se retrouve dans la cohabitation du monde organique réel avec le monde électronique instrumentale qui traduit l’idée que les sentiments ne sont pas sources d’emprisonnements mais d’ouverture sur le monde, de moteur lyrique. Les 13 titres que contient l’album ne cessent d’affirmer la posture de l’artiste qui n’évoque pas la relation sous l’angle d’un après-mortifère mais d’un pendant vivant. Ce microcosme naturel ancre la musique dans un réel sensible, il agit en qualité de toile de fond sur laquelle les différents personnages (Erika de Casier et ses amants) évoluent au grès du hasard des sentiments, dans un temps perpétuellement présent.
Cette déambulation sentimentale est à l’image de la pensée en mouvement de l’artiste qui continue d’aborder la relation sous le prisme du questionnement. Dans son opus précédent, Erika de Casier interrogeait les étapes de l’engouement amoureux, elle questionne maintenant l’image que se fait la société d’une femme célibataire qui serait seulement mu par son désir de tomber amoureuse, de s’épanouir dans une relation. La jeune artiste cherche à défaire ce préjugé et les multiples questions qu’elle pose sont adressées du point de vue d’une femme-actrice qui recherche avant tout à satisfaire son équilibre. Dans « Someone to Chill With » Erika de Casier assume ce point de vue : « Lately I’ve been schearching for love in a different way / I don’t want no strength attach (…) I’d rather take a look around and see what’s right for me » et de compléter sa vision des choses « I’m not looking for the one and only / don’t need anybody cause I got me ».
Erika de Casier travaille sur l’irrégularité de ses rythmiques, qui n’accompagnent pas la musique de manière continue, mais qui interviennent plutôt comme des éléments de ponctuations. Dans « No Butterflies, No Nothing » les éléments rythmiques et mélodiques soulignent temporairement le phrasé de la chanteuse, surgissant et disparaissent en un éclaire. On retrouve une utilisation similaire des percussions dans « All You Talk About », elles interviennent par micro-touches. Ce procédé révèle d’abord la richesse du monde intérieur de l’artiste peuplé de sentiments variés, parfois contradictoires. Les textes des chansons évoquent le passage de l’amour à la déception, « Call Me Anytime », de l’attente à la satisfaction, « Make My Day ». Par la composition, Erika de Casier souligne la lutte émotionnelle qui se joue en elle. Plus largement, ce procédé de composition suffit à rendre compte de l’impossibilité d’exprimer justement le réel tel que nous le percevons, la bataille permanente quand il s’agit de décrire l’ensemble de signaux que nous percevons et nommons le monde.
Crédits Photo : © Dennis Morton