Banksy, l’empereur du street art, le roi incontesté du buzz dans le petit monde de l’art contemporain a encore frappé dans ce qui restera sans doute le meilleur coup de toute sa carrière : Dismaland, la fameuse parodie cynique de Disneyland, que l’on ne présente plus tant tous les médias y sont chacun allés de leurs petits couplets sur cette nouvelle performance de street art.
Banksy, l’artiste préféré des hipsters et de la pop culture sauce années 2010. Qui aujourd’hui n’est jamais tombé sur ses œuvres, que ce soit en photos, t-shirts, posters ou on ne sait quels autres produits de merchandising ? Tout comme Andy Warhol et Roy Lichtenstein avant lui, Banksy se décline à toutes les sauces et est autant approuvé par les ados que par les bobos lecteurs de Télérama.
Il n’en attire pas moins des détracteurs, toujours prompts à lui reprocher le côté facile et adolescent de sa rébellion : l’argent c’est mal, la paix c’est bien et les animaux vivraient tout de même bien mieux en dehors des zoos … Qu’on l’aime ou qu’on le déteste, il faut néanmoins lui reconnaître un certain culot : qui d’autre peut se targuer d’avoir infiltré des œuvres de street art à Gaza, ou d’avoir piraté la sortie d’un disque de Paris Hilton ? De plus, on ne peut nier l’impact énorme de son œuvre dans la popularisation et la reconnaissance du courant de l’art de rue.
Mais qu’en est-il donc de la toute nouvelle installation de Banksy ? Peut-on y voir une vraie œuvre d’art innovante et percutante ou une machine à buzz sans réel fond ni portée ?
L’argument massu en faveur de Dismaland est probablement son accessibilité et sa façon virtuose d’exploiter la pop culture. Le parc est installé dans une station balnéaire déserté du Somerset à la place d’un ancien parc aquatique Tropicana : Dismaland assure à la fois des retombées économiques et touristiques à une région sinistrée et exporte pour une fois le street art en dehors des grandes villes.
Banksy, l’enfant du peuple qui n’a jamais été en école d’art a assuré qu’une partie des entrées est réservée aux locaux et l’on ne peut que féliciter l’effort fait pour tenter de sortir l’art contemporain du cadre des élites. Pour seulement 4.20 euros, Dismaland est aussi une opportunité de découvrir des œuvres d’autres artistes contemporains moins connus du grand public comme Damien Hirst ou Jessica Harrison.
L’aspect ludique et fun de l’installation joue aussi pour beaucoup dans l’excitation autour : ce n’est pas juste une expo en plein air mais un vrai parc interactif, où l’on peut vraiment pêcher des canards mazoutés et diriger des mini-bateaux plein à ras bord de réfugiés. L’interactivité des œuvres d’art contemporain semble en passe de devenir le nouveau moyen d’attirer le public : un vent de fraicheur et d’innovation qui sera toujours bénéfique pour la visibilité des travaux et de l’artiste. Céleste Boursier-Mougenont semble l’avoir bien compris aussi et a invité les spectateurs à se muscler les bras en naviguant eux-mêmes à travers son sanctuaire aquatique Acquaalta au Palais de Tokyo.
Dismaland sera de plus un lieu inter-disciplinaire avec une belle programmation de concerts remplie par –entre autres- Massive Attack et les Pussy Riot ainsi que d’une soirée spéciale consacrée à la comédie. Banksy sait très bien s’entourer et n’hésite pas à exploiter jusqu’au bout les possibilités du lieu et toucher le maximum de publics et de formats artistiques.
Au-delà de l’aspect technique et formel du parc, on peut aussi apprécier la patte grinçante et cynique de Banksy sur le fond : l’industrie agro-alimentaire, l’immigration, le capitalisme, les médias … Tout le monde en prend un peu pour son grade dans « le parc le plus décevant de Grande-Bretagne ». Au vu de l’actualité pour le moins shitty de 2015, une bonne dose d’humour noir fait toujours du bien et nous donne le petit coup de pied aux fesses qui permet de rallumer les consciences.
Toutefois, Dismaland retombe tout de même dans les mêmes écueils que les précédentes œuvres de Banksy. Encore une fois, on retrouve les mêmes thèmes généraux avec les mêmes gimmicks typiques de la rébellion post-puberté : le capitalisme sauce Disney c’est inhumain, les paparazzis sont très méchants et les marées noires c’est quand même vraiment moche. Tout ça sent encore le cliché, le réchauffé et le déjà-vu et rien qui ne soit réellement dérangeant ou nouveau pour le type de public branché et éduqué qui se rue en masse pour obtenir ses billets pour le parc.
On reste encore à une réflexion basique sur les travers de la société moderne, qui certes va du coup rester accessible au plus grand nombre mais qui donne aussi l’impression de rester au fond assez gentillette et de ne pas avoir tapé là où ça aurait vraiment fait mal (même si les bateaux plein de migrants restent fort à propos au vu de l’actualité de ces derniers mois).
De plus, quand on contaste l’agitation et le buzz créés par l’ouverture, on peut se demander si Dismaland n’est pas en train de tomber dans les mêmes travers que le fameux parc dont il se moque : des queues de 30 kilomètres, des ados qui font des selfies devant les meilleures « attractions », des parents qui amènent leurs enfants alors que Banksy a bien explicitement précisé que les œuvres n’étaient pas adaptées pour eux … Tout le monde veut voir la nouvelle sensation des réseaux sociaux mais qui parmi les visiteurs a au final vraiment réfléchi au message que Banksy tente de faire passer ?
A vouloir être hyper-accessible, le risque est que ce parc tombe dans le tout-gadget et perde son objectif artistique originel.
Au final, on obtient une œuvre tentaculaire, populaire, multi-disciplinaire et très bien pensée tant au niveau technique que dans la façon d’appréhender la pop culture actuelle. On peut regretter que Banksy n’ait pas profité de cette incroyable plate-forme pour approfondir son message et vraiment déranger les spectateurs au lieu de rester dans les thèmes qui ont déjà fait sa renommée. Je suis pour ma part certaine, qu’il est capable d’être beaucoup plus trash et pertinent dans sa réflexion et j’attends son prochain projet avec impatience.
Banksy reste tout de même imbattable dans ce qu’il sait faire le mieux : attirer l’attention du grand public sur le street art et l’art contemporain en général et ce parc est une étape de plus vers un art dépoussiéré qui sait trouver les nouveaux spectateurs là où ils se trouvent et toucher leurs références.