Qui a dit que le cinéma LGBTQ+ n’était visible qu’à Paris ? Si le festival parisien Chéries-Chéris nous régale tous les ans avec une programmation audacieuse, c’est bien au festival Désir… Désirs, implanté à Tours, en Indre-et-Loire, que revient la palme de l’ancienneté. Retour sur l’histoire et le bilan de 30 années à célébrer le cinéma queer en France avant son lancement officiel le 18 janvier.
On connaît la Vallée de la Loire pour ses châteaux royaux (Chambord, Chenonceau…) et peut-être même les romanciers qui y vécurent, comme Balzac ou Rabelais. Pourtant, loin de l’image Ancien Régime de son patrimoine, la ville de Tours, située à 1 heure de Paris, abrite un haut lieu de la vie culturelle française : les cinémas Studio. À l’origine en 1963, ses membres étaient des catholiques convaincu·es, sensibles aux questions sociales, engagé·es dans des mouvements de gauche et d’éducation populaire : « Un grand nombre pensaient que le cinéma pouvait avoir un rôle essentiel dans cette émancipation et qu’il était un moyen de culture fondamental », explique Claude du Peyrat dans le livre Cinémas Studio de Tours, 50 ans d’aventure. C’est donc dans ce cinéma associatif, plus grand complexe art et essai indépendant d’Europe, qu’a lieu depuis 1993 Désir… Désirs, le premier festival de films LGBTQ+ créé en France.
Mais pourquoi à Tours ? Philippe Perol, créateur du festival avec Rémi Lange, explique : « À Tours, les associations homos étaient encore confidentielles [dans les années 90]. Pas question pour le maire, Jean Royer, toujours en campagne contre “l’apologie des déviations homosexuelles dans tout”, d’aider ce qu’il estimait être un fléau social. La création du festival en 1993 était un coming-out, une manière de rendre public ce qui nous empêchait de vivre, ce mélange de souffrance et de besoin de hurler “nous ne sommes pas des monstres”. » Ce besoin de montrer les vies LGBTQ+ trouva donc des oreilles réceptives aux Studios sans qui, des mots de Mickaël Achard, coordinateur du festival, Désir… Désirs « n’aurait pas pu voir le jour ».
Ce n’est donc pas sans poésie que, pour contrer « les stéréotypes mortifères », la thématique de cette 30ème édition est « La quête du bonheur ». La programmation est foisonnante et dépasse la simple semaine dédiée au cinéma du 18 au 24 janvier 2023 pour s’étendre jusqu’au 26 février hors-les-murs. Au programme, l’organisation du premier salon du livre queer de Tours, la pièce Carte Noire nommée Désir de Rébecca Chaillon au Théâtre Olympia CDNT ou encore l’exposition Tom de Pékin à l’Hôtel Gouin.
1993-2023 : quel chemin parcouru ?
Le contexte des droits et des représentations LGBTQ+ en France a bien changé depuis 1993 : arrivée des trithérapies en 1996, Pacs en 1999, Mariage pour tous en 2013… Si les discriminations et violences envers les personnes LGBTQ+ sont toujours d’actualité et que l’extrême droite devient de plus en plus puissante, Mickaël Achard se veut positif : « La réception du public s’est élargie au même titre que les thématiques liées aux questions LGBT+ et d’identité se sont démocratisées. Il y a trente ans, des abonné·es des Studio ont déchiré leurs cartes, ne supportant pas la création d’un festival sur les thématiques LGBTQI. Aujourd’hui il n’y a plus ce genre de réactions. » Il témoigne aussi d’un rajeunissement du public ces dernières années.
Et du point de vue du cinéma ? La création de Désir… Désirs en 1993 est concomitante avec l’émergence du « New Queer Cinema » symbolisée par des cinéastes comme Gus Van Sant, Gregg Araki, Rose Troche, Todd Haynes, etc. qui vont s’attacher « à transgresser les normes (esthétiques, sociales, de genre), à célébrer les minorités (sexuelles, mais pas que) et à dépasser les thématiques gays et lesbiennes traditionnelles pour aller voir notamment des désirs adolescents, des couples de même sexe ou des transidentités » selon l’historien et journaliste Didier Roth Bettoni. Si les identités LGBTQ+ sont trop souvent assimilées à des parcours de vie urbains, Mickaël Achard a à cœur de contrecarrer cette perception : « Comment faire quand on est LGBTQI+ et que l’on vit à la campagne ? [Il y a] des conditions sociales propres aux zones rurales (la situation des agriculteur·ices par exemple). Des films comme Los Fuertes, Le Secret de Brokeback Mountain ou encore Bruno Reidal [recommandé dans notre Top 2022] » sont autant de films qui traitent du sujet de la campagne et des identités queers. D’ailleurs, Désir… Désirs propose des évènements au-delà de la ville de Tours.
Le bonheur queer est une quête de chaque instant, un travail difficile et parfois accablant. Face aux méandres du monde contemporain et de ses angoisses, certains îlots de bonheur existent et résistent, façonnés dans l’adversité mais plus que jamais nécessaires. Désir… Désirs et les Studio en font partie. Ils ont permis à bien des personnes depuis trente ans de se ressourcer, se rencontrer et rêver… et ils continueront de le faire, on l’espère, pour encore au moins trente années de plus.
Festival Désir… Désirs (@festivaldesirdesirs) du 18 janvier au 24 janvier 2023 aux Cinémas Studio et hors-les-murs jusqu’au 26 février 2023. Plus d’infos
Image à la Une : Soy Niño de Lorena Zilleruelo (Chili, 2022)