Ayant dû renoncer à projeter La Zone d’Intérêt de Jonathan Glazer en février dernier, le collectif Tsedek l’emportera finalement sur la censure le 19 mai prochain dans le cadre du Decolonial Film Festival. Membre du comité de programmation, Manifesto XXI en profite pour en apprendre plus sur les films fétiches de ces militants dont le ciné-club dérange.
Né de la rencontre entre une dizaine de ciné-clubs et d’associations parisiennes, le Decolonial Film Festival lancera sa première édition le 14 mai prochain. Contre-soirée organisée sur les dates du Festival de Cannes, l’événement se donne pour ambition de disrupter « l’entre-soi » d’un milieu qu’il décrit comme « élitiste, sexiste et raciste » afin de valoriser les récits diasporiques à l’écran. Si Manifesto XXI projetera deux films de Marlon Riggs le 22 mai à 21h au cinéma Saint-André-Des Arts, on croisera aussi le cinéma de de Med Hondo, Mati Diop ou encore Seumboy Vrainom :€ et Annemarie Jacir. Au total, le festival projettera plus de trente films en association avec une dizaine de cinémas situés entre Paris, Ivry et Saint-Denis.
Membre du comité de programmation du festival, le collectif juif décolonial Tsedek en profitera pour battre la censure dont il avait été victime en février dernier lorsqu’il avait voulu projeter La Zone d’Intérêt de Jonathan Glazer. À l’époque, ces polémiques nous avaient déjà donné envie de rencontrer ces militants à qui on empêchait de projeter des films. Une censure peu commune, et si violente qu’elle avait poussé Sam Leter – co-fondateur du ciné-club – à quitter son poste chez Dulac par la suite.
Acteur visible de la mobilisation contre les massacres et l’occupation en Palestine, Tsedek – du mot hébreu qui signifie justice – ne s’est pas fait que des ami•es ces derniers mois… Le signe d’un activisme peut être clivant mais efficace. Toujours visible en manif, leur banderole servait encore de « ligne de démarcation décoloniale », selon les termes d’un utilisateur de Twitter/X, quand des militants pro-israéliens cagoulés étaient venus s’en prendre aux soutiens du comité SciencesPo-Palestine il y a quelques semaines.
Curieux d’en apprendre plus sur leurs références cinématographiques, Thémis Belkhadra et son appareil photo sont allés à la rencontré de six membres de Tsedek qui trouvent dans le cinéma à la fois des souvenirs oubliés, des vérités cachées et des points de vue pour mieux appréhender la réalité.
SAM (CO-FONDATEUR DU CINE-CLUB TSEDEK, MEMBRE DU DFF)
Les Marx Brothers
Les Marx Brothers ont toujours incarné une forme de modèle pour moi : ils appartiennent à cette génération de Juifs européens qui ont émigré aux États-Unis pour fuir les pogroms, et à qui l’on doit en partie l’épanouissement d’Hollywood. Ma mère, qui est issue d’une famille ukrainienne, est le fruit de la même Histoire d’exil. C’est peut-être cliché mais je trouve ça fascinant : des Européens qui fantasmaient leur vie aux Etats-Unis et ont fini par façonner l’idée que l’on se fait du rêve américain. J’y vois un parallèle avec la façon dont sont traitées des artistes comme Aya Nakamura ou Camélia Jordana aujourd’hui en France – à qui l’on dit qu’elles ne peuvent pas représenter ce pays alors que la culture française est aussi définie par les contributions artistiques des diasporas.
Qu’est-ce qui te plaît dans l’univers des Marx ?
J’ai toujours adoré l’ironie et le décalage de l’humour slapstick. C’est un truc typique de l’humour juif américain que tu retrouves chez Seinfeld ou Larry David… Comme une envie de tourner à la dérision tout ce qui pourrait être dramatique. C’est un mécanisme de survie que les Juifs ont développé pour faire face à l’antisémitisme et soulager leurs traumatismes. L’humour a permis de dédramatiser une souffrance réelle, une forme d’expression comparable à celle des afro-américains avec le blues et le jazz. Ayant débuté sur les scènes de Broadway, les Marx ont développé un humour burlesque assez proche du cirque et du style de Charlie Chaplin que l’on a retrouvé plus tard chez Jacques Tati. On rigole, et c’est plutôt thérapeutique mais ça permet aussi de contourner la censure. Dans Duck Soup, par exemple, ils parvenaient à critiquer subtilement Mussolini alors que celui-ci était toujours au pouvoir. Tout ça me renvoie au concept de résilience et me fait penser à ce qu’on essaie de faire au ciné-club : mêler nos identités à nos combats politiques, et s’affranchir de la censure.
Retrouves-tu le même rapport à l’absurde dans le cinéma palestinien ?
Absolument. Elia Suleiman, que l’on compare d’ailleurs parfois à Jacques Tati, est très inscrit dans cet esprit. Il y a une sensibilité chez lui qui lui permet de faire sentir la gravité de l’occupation tout en restant accessible dans son approche formelle. Lorsqu’il est visuel, l’humour est un langage universel qui permet de communiquer une réalité difficile à concevoir. C’est le cinéma qui me parle le plus et celui que j’aurais aimé réaliser.
Qu’est-ce qui différencie selon toi la culture juive diasporique de la culture israélienne ?
Je ne connais pas bien le cinéma israélien en vrai… c’est un cinéma national qui ne me représente pas en tant que Juif diasporique. Là où les Marx se moquent de la guerre mondiale avec Duck Soup, la société ultra-militarisée en Israël ne permet pas cette même distanciation comique. Émigrer en Israël, c’est refuser la diaspora. L’idée du Juif diasporique va à l’encontre de l’argument que les Juifs ne seraient en sécurité qu’en Israël.
Selon moi, le nationalisme est ce qui démarque les Juifs sionistes des Juifs antiracistes. Chez Tsedek, on prône la libre-circulation et l’égalité des droits. À partir du moment où tu t’attaches à une nation, tu cultives des barrières, des distinctions, des hiérarchies… L’expérience de diaspora, au contraire, induit naturellement un rapport bienveillant aux autres et un point de vue antiraciste qui permet de voir au-delà de la nation et des frontières.
SEPHORA, 29 ANS (ARTISTE, CINÉASTE)
Izkor: Slaves of Memory de Eylan Sivan
Izkor est un film documentaire que j’ai vu avant ma première visite en Israël, alors que je commençais à m’intéresser à la Palestine et à l’histoire du conflit. En s’intéressant au système éducatif israélien, il m’a fait prendre conscience de l’endoctrinement que l’entreprise sioniste fait subir à sa propre population. Il a été tourné en 1992, entre les mois d’avril et de mai : un temps fort de la tradition juive – et surtout de la culture israélienne – puisqu’il est marqué par la fête de Pessah, la Journée du souvenir de la Shoah, la proclamation de l’État d’Israël et l’hommage aux morts de la guerre de Kippour. Le film montre ainsi comment le sionisme puise dans la mémoire juive pour articuler son discours nationaliste.
C’est fascinant. Le réalisateur suit les enfants d’une famille scolarisés à différents niveaux (école, collège, lycée) et observe les thématiques abordées en cours au cours de cette période. C’est alors que tu vois l’endoctrinement en exercice : tous•tes ces descendant•es d’Ashkénazes, de Mizrahim et de Séfarades que l’on essaie de fondre dans un même moule… Tout ce que montre le film, je l’avais pressenti mais il m’a mis la réalité sous les yeux. Celle d’une société avec des communautés bien séparées les unes des autres, et dans laquelle la suprématie blanche s’exprime depuis toujours. Plus tu viens du sud, et plus tu seras discriminé.e. Le documentaire Mizrahim, les oubliés de la terre promise aborde aussi ce sujet.
Quel rôle peut jouer le cinéma dans l’action militante selon toi ?
Je crois qu’il permet de s’ouvrir à un sujet politique de façon ludique et humaine. C’est un mode d’action en lui-même, de par ce qu’il peut rendre visible et susciter comme réaction. Lorsque l’on projette un film au ciné-club Tsedek, on en parle toujours après. Ce qui est important, c’est cette discussion que le film permet d’ouvrir entre les spectateurs : il ouvre un débat que l’on n’aurait pas forcément eu, ou peut-être pas de cette façon… Avec l’atmosphère tendue du moment, ça fait du bien de sentir qu’une communauté est là, vivante, et qu’elle s’agrandit. On sent qu’on marche sur des oeufs, mais on se sent compris•es. Ça donne de l’énergie, et de l’espoir malgré tout.
GABRIEL, 23 ANS (ÉTUDIANT EN LETTRES)
Valse avec Bachir d’Ari Folman
Valse avec Bachir est un documentaire d’animation dans lequel Ari Folman raconte son black-out après la guerre du Liban et part en quête de ses souvenirs perdus. En rencontrant ses anciens compagnons de front, il retrouve la mémoire et le massacre de Sabra et Chatila apparaît comme le nœud de son traumatisme. On comprend dans ce film que l’armée israélienne formait un cercle autour du camp, permettant aux milices phalangistes de massacrer des milliers de Palestinien•nes à l’intérieur. Dans les bonus du DVD, il y a une interview du politologue libanais Joseph Bahout qui explique comment l’armée n’a pas seulement laissé faire le massacre, mais pourrait l’avoir instigué en poussant la famille de Bachir Gemayel à venger son assassinat.
Un prof nous a montré ce film quand j’étais encore au lycée lors d’un cours sur le Quatrième mur de Chalendon qui aborde aussi la guerre du Liban (1975-1990). Ce retour au réel déchirant à la fin du film m’avait marqué à l’époque, mais je n’avais pas toutes les clés pour comprendre ce qu’il raconte. Je l’ai revu la semaine dernière et, ce qui m’a frappé, c’est de réaliser que la Nakba ne s’est jamais arrêtée. : l’épuration ethnique de la Palestine est un continuum qui dure depuis 1948, et dont le génocide actuel est l’un des pics d’intensité les plus violents.
Qu’as-tu ressenti en le revisionnant ?
Depuis le 7 octobre, j’ai l’impression que les Palestiniens vivent un Sabra et Chatila tous les jours. On voit bien qu’Israël s’est radicalisé dans son suprémacisme ; et ce qui horrifiait dans les années 80 semble laisser indifférent aujourd’hui… Les Gazaoui•es se font massacrer et on considère ça tout à fait normal ! Arrêts sur Images a publié un truc là-dessus : les JTs leur ont consacré moins de 5 minutes entre le 4 et le 16 février. Le suprémacisme monte partout, et massacrer des civils n’est plus seulement accepté : on cherche à le justifier. Ce genre de film permet de mettre des sujets sur la table. D’autres, comme Yallah Gaza par exemple, permettent d’envisager l’après-apartheid pour retrouver la cohabitation qu’il y avait entre chrétiens, musulmans et juifs arabes avant l’arrivée du sionisme.
Qu’entends-tu par « juif arabe » ?
On a tendance à appeler « séfarades » tous les Juifs du sud, mais il ne s’agit que de ceux qui ont fui l’Espagne après l’Inquisition et ont vécu avec les Arabes à Cordoue. D’autres Juifs ont vécu pendant des siècles au Maghreb, au Moyen-Orient, et se sont impliqués dans la vie culturelle et politique de cette région. Je pense à ceux qui ont résisté en Algérie par exemple : ils se considéraient Arabes et Algériens ! Il faut rappeler qu’il n’existe pas un, mais des peuples juifs. La diaspora nous a permis, notamment dans le monde arabe et sous l’empire ottoman, de faire corps avec d’autres cultures pour multiplier les formes de judéité. C’est important d’en parler parce que c‘est aussi ça que l’on souhaite retrouver.
Quel impact a eu ton engagement sur ta vie personnelle ?
Niveau perso, c’est compliqué… Comme beaucoup de personnes chez Tsedek, les rapports familiaux sont tendus car deux camps se sont créés. Ça vote Zemmour dans certains coins de ma famille, on est donc sur un sionisme très dur… très Netanyahu ! J’entends une rhétorique de défense : « on n’a pas le choix, c’est notre vie qui est en jeu ». Comme si la survie d’Israël était le seul moyen de faire perdurer la culture juive… Cela ne devrait pas aller de soi ! Puis ce discours d’invisibilisation des Palestiniens : « On s’en fout, c’est malheureux mais c’est comme ça ». Quand tes proches commencent à légitimer un génocide, n’ont aucune compassion pour celles et ceux qui sont bombardé•es, attaqué•es au phosphore blanc et humilié•es quotidiennement… C’est compliqué. On est nombreux•ses dans ce cas là, et lorsque l’on est invité•es aux réunions de famille on sait qu’il y a des sujets à ne pas aborder pour éviter les cris, ou que tout le monde ne se braque.
CHARLES, 25 ANS (UNIVERSITÉ)
Intervention Divine d’Elia Suleiman
J’ai découvert ce film un peu par hasard au ciné-club de l’université Saint-Joseph à Beyrouth. C’est l’histoire d’un mec de Jérusalem-Est et d’une fille de Ramallah qui tombent amoureux mais ne peuvent se rencontrer qu’au checkpoint. Le cinéma de Suleiman cherche à pointer l’absurdité de l’occupation israélienne et son impact psychique sur les Palestiniens. Il y joue le personnage principal et ne décoche pas un mot pendant une heure et demie ! Entre la non-linéarité de la narration et les silences qui s’éternisent, tu es obligé de questionner ce que tu vois face à un film de Suleiman. Est-ce de la fiction ou du réel ? J’ai vu beaucoup de films sur l’occupation, et celui-ci est l’un de ceux qui m’a le plus marqué.
Quel impact a-t-il eu sur toi ?
Ça a été une expérience paradoxalement très politique pour un film qui n’est pas si dur. C’est burlesque, tu te marres… mais tu en ressors avec une vraie soif de militantisme ! Faut savoir qu’une partie de ma famille vit là bas, en Palestine occupée. J’ai grandi dans un environnement avec des injonctions de l’ordre de : « t’es un traître – un faux juif – si tu n’es pas sioniste ». Assez tôt dans ma vie, j’ai compris que mes convictions politiques l’emportaient sur le reste et me suis affranchi
Après la projection, un professeur avait tenu une conversation dans laquelle il critiquait les pires manières de parler du conflit. Ma mère m’avait montré un film de ce genre (Les Citronniers) dans lequel un Israélien invoque un trouble à la sécurité pour raser tous les citronniers de son voisin palestinien. C’est une petite histoire de vivre-ensemble dans laquelle on parle de paix communautaire et de rapports apaisés, mais jamais de justice. Le prof a saisi tous ces films au vol et détruit le biais moral à la con que je pouvais avoir : celui qui nous fait dire « peace » tout en fermant les yeux sur l’injustice.
Suleiman a écrit un texte qui m’a beaucoup marqué : un échange dans lequel il introduit le concept de pensée nomadique. Il évoque son rapport à l’art, et explique qu’il se sent à la fois chez lui partout et nulle part. Cette idée le renvoie à la vie des Juifs en Europe. Il se demande alors si, en colonisant la Palestine, ceux-ci ne lui auraient pas transmis leur judéité et leur pensée nomadique. C’est un texte qui m’a beaucoup marqué parce qu’il ne s’agissait plus de concilier ma judéité avec ma lutte pour l’émancipation du peuple palestinien. J’ai compris que ma judéité pouvait m’aider à comprendre la lutte que mènent les Palestinien•nes contre l’oppression. De la même manière que l’exil et la Shoah ont joué un rôle dans ma façon de concevoir ma judéité, les Palestinien•nes ont eu la Nakba. Ces catastrophes devraient nous rapprocher.
Quelques années plus tard, tu organises le même genre de projections avec Tsedek. Comment est venue cette idée ?
Pour moi, il y a quelque chose d’émancipateur dans le cinéma, surtout lorsque tu prends l’angle décolonial. Le sionisme a toujours essayé de capturer la capacité des Palestiniens à parler d’eux-mêmes, c’est pour ça qu’Edward Saïd parlait du « droit à la narration de soi-même ». N’importe quelle séance de cinéma qui remet la parole du colonisé au centre et lui permet de se raconter devient un espace de lutte et d’émancipation. Les films ne font pas la révolution, mais ils peuvent l’inspirer.
Comment as-tu vécu la censure du ciné-club ?
La tentative de censurer notre projection de La Zone d’Intérêt m’a particulièrement touché. Que des institutions sionistes puissent privatiser à ce point la mémoire de la Shoah et nous empêcher de nous exprimer sur une Histoire qui est aussi la nôtre : ça a été la douche froide. Mais quand tu sens ce genre de tensions dans un contexte militant, je crois que tu vas dans le bon sens et on compte bien projeter ce film ! Le lien entre cette famille de Nazis qui vit au bord du camp et l’indifférence des gouvernementzs occidentaux face au génocide en cours à Gaza est évident : le réalisateur Jonathan Glazer l’a lui-même souligné. Ce qui dérange, c’est le fait que l’on soit légitimes à faire ce lien parce que nos familles ont vécu la Shoah : c’est tout le narratif sioniste qui s’effondre.
JUDITH, 49 ANS (critique et cinéaste, enseignante en école d’art)
Roee Rosen
Je vais avoir beaucoup de mal à n’en choisir qu’un, alors je me permets de citer l’ensemble des films de l’artiste Roee Rosen. Il y a une forme de violence dans son cinéma qui décrit très bien la schizophrénie qui se dégage de la société israélienne. Lorsque j’ai vu Les confessions de Roee Rosen au FIDMarseille (Festival International du Documentaire de Marseille), j’ai été immédiatement saisie par la force de ce cinéma qui met mal à l’aise et qui entretient un rapport à l’obscénité et à l’abject. C’est un cinéma transgressif qui force l’individu à sortir de lui-même et à se confronter aux paradoxes et aux travers de la société israélienne. Dust Channel, par exemple, est une comédie musicale surréaliste qui raconte la relation fétichiste d’un couple avec leur aspirateur Dyson. Leur obsession pour la propreté est présentée comme une réaction phobique vis-à-vis de tout ce qui viendrait contrecarrer une supposée pureté ethnique.
Plus récemment, avec Kafka For Kids, une série télé pour enfant, Roee Rosen reprend un symbole de la culture juive européenne pour critiquer le repli israélien sur une identité figée aux travers fascistes et racistes. Kafka, c’est l’identité du Juif minoritaire en Europe. Rosen le confronte au discours d’une juriste sur la façon dont l’État d’Israël traite les enfants palestiniens : les mineurs emprisonnés, l’injustice de l’appareil législatif, et cette logique interprétative , voire talmudique de la loi pour justifier l’oppression politique au lieu d’ouvrir un espace de pensée critique… J’aime aussi beaucoup son film Hilarious, un stand up dans lequel il explore les capacités de l’humour juif à rester un instrument de transgression.
Pourquoi son cinéma a-t-il retenu ton attention ?
Je me reconnais dans ses films car j’y retrouve des éléments culturels qui semblent permettre une critique du sionisme depuis des éléments de la culture juive. Ce sont des films politiques certes, mais qui n’imposent pas un discours donné. J’aime les films qui demandent au spectateur de déplacer son curseur intellectuel et le poussent à éprouver de nouvelles sensations. C’est la responsabilité du cinéaste selon moi : défier nos perceptions et nos points de vue. Je crois que cela est d’autant plus important dans le contexte israélo-palestinien.
Pourquoi as-tu voulu rejoindre Tsedek ?
Ça fait longtemps que je suis engagée sur la question palestinienne. Je suis allée pour la première fois en Palestine en 2011, puis j’y suis retourné à plusieurs reprises, j’y ai fait des films et ai rencontré des artistes et intellectuel.le.s palestinien.nes avec qui j’ai pu partager, une fois la confiance acquise, des visions politiques communes. Lorsque je me retrouve face à cet état colonial fondé sur l’inégalité, j’ai l’impression d’être dépossédée de ce que peut représenter le judaïsme, sa capacité à penser de manière critique. Je crois que le sionisme est devenu une menace pour les Juifs en vérité. Pour moi, l’histoire des Juifs exige de se tenir du côté de l’opprimé. C’est être nécessairement antiraciste, et donc associer le combat contre l’antisémitisme et celui contre l’islamophobie. A vrai dire, je vis ma judéité comme une identité diasporique incompatible avec le concept d’État-nation.
Dans quel espoir continues-tu de militer aujourd’hui ?
L’espoir, ce serait déjà un cessez-le-feu ! Pour la suite, ma perspective est celle d’un seul Etat avec une égalité des droits et j’ai la conviction que, de chaque côté de la frontière, il existe des gens capables d’inventer un autre modèle que celui de l’État-nation. C’est une brèche dans le désastre, et probablement utopique au regard du génocide auquel nous assistons, mais j’ai envie de croire en cet espoir. C’est pour ça que j’ai parfois du mal avec la non-mixité choisie des collectifs juifs décoloniaux : cela rejoint mes doutes envers les identités pleines, et la réassignation identitaire que cela peut engendrer. En manif, je me fais violence pour rejoindre le bloc juif car je n’aime pas devoir m’identifier. Mais je crois que c’est une urgence et une stratégie politique sans doute nécessaire aujourd’hui. J’espère que nous pourrons la dépasser plus tard.
Decolonial Film Festival, du 14 au 25 mai en région parisienne
Image à la Une et dans l’article : © Thémis Belkhadra
Edition : Benjamin Delaveau
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