On l’a découvert dans J’ai tué ma mère en 2009 ; depuis, il a enchaîné plusieurs courts et longs-métrages au Canada puis en France : Les Amours imaginaires, Les Rencontres d’après minuit, L’Âge atomique, mais aussi Métamorphoses et Diamant noir. À l’occasion de la sortie de Belle Dormant d’Ado Arrieta, nous avons rencontré Niels Schneider à Paris à l’aube de 2017, dans un mois de janvier glacial. Nous nous sommes posés dans un bar dans le 3e arrondissement et avons parlé à cœur ouvert de son désir de cinéma, de l’importance des coïncidences et de l’élan d’une génération. Actuellement nommé aux Révélations Césars 2017, il prépare son premier court-métrage en tant que réalisateur, qui sera apparemment une histoire de fantômes.
Manifesto XXI – Peux-tu me parler un peu de ton parcours ? Comment as-tu atterri dans le cinéma, t’a-t-il toujours attiré ?
Toujours non, je me rappelle de la première pièce qui m’a donné envie d’être sur scène, c’était une pièce au lycée, une pièce de boulevard, Le Dindon de Feydeau. J’étais en secondaire 1 [ndlr : équivalent québécois de la quatrième en France], les deux rôles principaux étaient joués par un acteur qui a ensuite fait carrière au Québec et par François Arnaud, qui allait jouer plus tard avec Xavier Dolan dans J’ai tué ma mère (il joue son mec) et dans The Borgias. Je les ai trouvés extraordinaires. C’était ma première grande émotion en tant que spectateur. Mais je ne me sentais pas capable, j’étais hyper timide, extrêmement introverti ; en plus, enfant, j’étais bègue, j’étais incapable de faire ce qu’ils faisaient, de monter sur une scène, et de jouer.
Après, mon grand frère faisait beaucoup de théâtre. (pause) C’est juste après son décès que je me suis inscrit dans la troupe de l’école et que j’ai décroché le rôle dans la pièce Harold et Maude, ça été le déclencheur pour la suite. Au Québec, quand tu ne fais pas de Conservatoire, c’est compliqué, car c’est un peu le passage obligé. En même temps que je préparais mes auditions pour le Conservatoire, un directeur de casting m’a trouvé pour jouer dans Tout est parfait, un film de Yves Christian Fournier, j’ai été pris après quelques auditions. C’est quand Xavier Dolan est venu à l’avant-première du film qu’il m’a proposé J’ai tué ma mère, ça s’est fait de fil en aiguille ; puis après Les Amours imaginaires, j’ai déménagé en France.
C’est en France, à Paris, que tout s’est accéléré pour toi ?
Oui, parce qu’à Québec, je tournais assez peu, j’avais fait quelques projets : Tout est parfait, J’ai tué ma mère et Les Amours imaginaires. Après, je suis rentré dans une boîte de production de vidéoclips et de courts-métrages où je faisais de la production, j’avais dix-neuf ans. Oui, c’est après Les Amours imaginaires, quand je suis parti en France, que tout s’est accéléré. Là, j’ai commencé à faire un peu de télé, du théâtre, et du cinéma.
C’est le cinéma français qui t’a attiré vers le pays ?
Oui, complètement, ça me paraissait tellement grand, le cinéma français, ça me paraissait être une espèce d’eldorado inaccessible.
Inaccessible, et pourtant ?
En même temps… Comme au Québec, il y avait le meilleur et le pire, les plus grands génies étaient là, et en même temps, il y avait les plus grosses daubes.
Tu sembles beaucoup aimer travailler sur les premiers longs-métrages de jeunes cinéastes émergents comme Xavier Dolan, Arthur Harari…
Oui… et Héléna Klotz, Yann Gonzalez !
Oui, peux-tu me parler un peu de cela ? Te retrouves-tu dans leur désir de cinéma, de passer du court au long-métrage ?
C’est un peu un hasard, tu sais comment ça se passe… Tu n’as pas un catalogue où tu peux piocher là et là (rires), ça s’est fait comme ça ; mais parfois, il y a des sortes de coïncidences qui font que ton envie de cinéma t’attire vers certaines personnes plus que d’autres et qu’à l’arrivée, cela correspond exactement à cette envie.
Question d’affinité ?
Oui, c’est une question d’affinité finalement, parce que je pense que ça s’est vraiment passé comme ça. J’avais adoré travailler avec Xavier, surtout pour son énergie de premier film, et pas longtemps après, en France, j’ai rencontré Héléna Klotz, qui avait un regard frais, neuf, sur le cinéma, et une poésie qui me touchait beaucoup. Et puis via Héléna, j’ai finalement rencontré presque toute une génération.
Une génération de cinéastes émergents ?
Oui, une génération de cinéastes émergents : grâce à Héléna, j’ai rencontré Yann Gonzalez ; grâce à Yann, j’ai rencontré Shanti Masud, et grâce à Shanti j’ai fait Diamant noir. C’était un peu un effet domino.
Parlons un peu de Yann Gonzalez justement, comment as-tu appréhendé ton rôle dans Les Rencontres d’après minuit, film qui (pro)jette un regard vraiment singulier sur le monde ?
Yann aime beaucoup le premier degré, il n’est pas intéressé par l’ironie, il pense qu’aujourd’hui dans le cinéma il y a beaucoup trop d’ironie, de second degré, cette espèce d’ironie toujours un peu moqueuse. Lui avait envie d’assumer ce côté cheesy, sentimental.
Romantique aussi !
Oui, hyper romantique et sentimental, il revendique cela. C’est un romantisme très noir. J’ai abordé ce rôle comme quelqu’un qui était déjà à moitié mort, qui sent un appel de la mort, qui a des démons intérieurs qui le bouffent ; bien qu’il ait énormément d’amour en lui, il a une vitalité qui est en train de s’en aller peu à peu.
Et c’est sur ce tournage qu’il t’avait parlé du cinéaste Ado Arrieta ?
Il ne m’en a pas parlé pendant le tournage, c’est venu plus tard ; je ne sais pas si c’est une référence pour Les Rencontres d’après minuit, mais il m’a juste dit que c’était un cinéaste qui l’avait beaucoup marqué plus jeune, et en qui il se reconnaissait un petit peu.
Tandis que ton personnage dans Les Rencontres d’après minuit est morbide, empreint d’un romantisme noir, dans Belle Dormant tu joues un prince charmant hyper lumineux, qui danse…
Oui, dans Les Rencontres, il fait des rêves d’enfants morts, il est hanté par quelque chose d’extrêmement morbide. (pause) Oui, tu as raison : ce prince, c’est un peu les prémices du personnage dans Les Rencontres.
C’est un peu le visage/corps angélique et désenchanté, à la fois double et antinomique.
Oui, si on n’est pas optimiste. (rires)
Justement, tu as aussi joué le personnage Le Désenchanté dans le moyen-métrage de Shanti Masud, Métamorphoses.
Exactement !
Métamorphoses de Shanti Masud
C’est drôle parce qu’on a l’impression qu’il y a un fil conducteur qui suit peut-être de manière inconsciente ta filmographie, avec un personnage d’ange déchu…
Oui, tu as raison ! C’est drôle, je ne sais pas même si Shanti a écrit ce texte-là après avoir vu Les Rencontres d’après minuit. Peut-être que c’est une coïncidence ! Encore une ! (rires) Parce que j’ai tourné Métamorphoses six, sept mois après la sortie des Rencontres, mais c’est vraiment possible que le rôle dans Les Rencontres l’ait inspirée. Parce qu’elle l’a écrit pour les acteurs.
Comment s’est déroulé le tournage de Métamorphoses, qui mêle cinéma et arts plastiques ? Comment avez-vous travaillé avec les monologues, les déclamations et le maquillage ?
Il y avait beaucoup de maquillage et moi, je portais des lentilles. Ce qui était dur, c’est qu’il y avait toute une partie du texte que je devais dire à l’envers. Le texte était deux fois inversé, une fois au tournage, et une fois au montage ; par exemple, moi, je disais le texte en inversé : « Ancendoruge ancenruge deneiver rulfuge raiden nonidogeme oficige oficire », et quand tu le remettais à l’endroit, il avait du sens. Et du coup, ça, c’était super chiant à apprendre par cœur (rires). Je l’ai tellement bossé qu’un an et demi après, je m’en souviens encore parfaitement.
Le texte que tu as appris n’a aucun sens, c’est vraiment des sonorités purement littérales.
Oui, ça n’a aucun sens, sauf quand tu le retournes à l’envers.
J’imagine que cela a dû être un sacré travail de mémoire ?
Oui, en plus tu dois le faire avec l’émotion !
C’était un sacré défi pour toi ? (rires)
Oui, c’était un putain de défi (rires). Je trouve qu’elle va super loin dans le jeu, c’était aussi un laboratoire du jeu de comédien, avec Nicolas Maury qui hurle, hyper flippant, en vampire…
Tu aimerais prolonger ta collaboration avec elle ?
Oui, j’ai adoré son dernier film, Jeunesse ; je trouve qu’elle expérimente le cinéma comme peu de gens le font. Elle aime beaucoup les comédiens, elle a une esthétique très personnelle ; oui moi, je pense que c’est l’une des cinéastes les plus intéressantes en ce moment.
On espère qu’elle va bientôt sortir son premier long-métrage !
Oui, je l’espère aussi, c’est un peu la dernière de sa génération.
Oui, elle a réalisé beaucoup de courts-métrages, elle commence à se faire connaître depuis un certain temps.
Tu la connaissais ?
Oui, un soir je suis tombée sur Arte qui diffusait Pour la France, que j’ai immédiatement adoré. Puis j’ai vu Métamorphoses et Jeunesse. Je la suis aussi sur sa chaîne Viméo, où j’ai vu des extraits de ses précédents courts, comme That’s where we want to go, qui est un documentaire expérimental qu’elle a tourné pendant son road trip aux États-Unis. C’est hyper lyrique, hyper beau. Je l’attends au tournant.
Tu l’attends au tournant ? (rires)
Non, pas dans ce sens-là (rires), je suis super optimiste quand je vois de nouvelles têtes qui émergent dans le jeune cinéma français et qui tentent de nouvelles choses !
Tu l’attends, mais pas avec une brique et un fanal quoi ! (rires)
Non, plutôt avec un bouquet de fleurs, je pense (rires). Arthur Harari fait aussi partie de cette bande. Dans son film Diamant noir, tu campes un rôle plus « réaliste » que tes autres personnages ?
Oui, c’est ancré dans un réel, dans tous les cas.
Un réel social ?
Oui, bien que ce ne soit pas un film social, même s’il y a un rapport dominé/dominant très fort. Il est quand même intéressé par le naturalisme, je pense qu’il adore Pialat, mais ce n’est pas un film purement naturaliste, il est aussi parfois extrêmement stylisé, notamment la première scène. (pause) Parfois, dans sa direction d’acteur, dans mon jeu, il y a des moments où ça fait même expressionniste.
Il mélange différentes choses, il n’est pas limité à une seule étiquette…
Dans tous les cas, c’est le film qui est le plus ancré dans la « réalité » que j’ai fait, car même Les Amours imaginaires est hyper onirique.
Si tu devais ressusciter des cinéastes défunts, avec qui aimerais-tu travailler ?
J’adorerais travailler avec Cassavetes, parce que je ne comprends pas comment il fait. On a essayé de l’imiter tellement de fois, personne n’a réussi, il y a quelque chose qui m’échappe.
Pour le coup, on peut parfois ressentir l’influence de Cassavetes dans le cinéma de Dolan ; en plus, lui aussi a d’abord été comédien avant d’être cinéaste à son tour.
Je ne sais pas si Cassavetes a été une référence pour Xavier, peut-être, il ne m’en a jamais parlé… Non, je ne crois pas.
J’ai parfois l’impression dans le cinéma de Dolan que quelque chose tend vers l’épuisement du corps de l’acteur, épuiser l’acteur jusqu’au bout de ce qu’il peut donner ; après, Pialat l’a fait bien avant lui, et il y a aussi Kechiche, pour ne citer qu’eux.
Tu sens une espèce d’énergie tellement folle chez Cassavetes, déjà quand il est acteur, et puis dans ce qu’il demande à sa troupe, il y a une espèce de fureur… une fureur de vivre, ce sont des films qui me donnent envie d’être un meilleur être humain, d’être moins en colère, plus tolérant, ce sont les plus beaux films sur l’amour, je crois. J’ai l’impression qu’il a tout bouleversé, son cinéma est d’une modernité, aujourd’hui… ! Tu montres ça à des mômes de quinze ans, je suis sûr qu’ils adorent, c’est indémodable.
Et les cinéastes actuels, avec qui aimerais-tu collaborer, en France ou ailleurs ?
Il y a Shanti Masud. Sinon, il y a un autre film qui s’appelle Jeunesse de Julien Samani, que j’ai beaucoup aimé, j’aimerais bosser avec lui. Je ne sais pas, j’ai envie de faire des comédies… J’ai envie de tourner avec Justine Triet, j’ai beaucoup aimé Victoria. Mais moi, on ne m’a jamais proposé de comédie.
Peut-être qu’après ce soir, on va t’en proposer parce que tu en as émis l’envie ? (rires) Quand tu formules, tu attires les choses à toi. Sinon, qu’est-ce qui t’inspire dans la vie quotidienne ? Films, musiques, livres, un peu de tout, un peu de rien ?
Qu’est-ce qui m’inspire ? Plein de choses… les gens. Parfois, je regarde les gens, l’inspiration vient de tout ; parfois, tu entends une phrase de quelqu’un que tu croises dans la rue. Mes amis m’inspirent, les livres évidemment… Qu’est-ce que tu entends par « inspirer » ?
Qu’est-ce qui te stimule dans la vie ?
Cela vient de partout, je pense que ce qui est stimulant doit venir d’endroits inattendus aussi. À un moment, je suis allé dans un endroit proche d’un désert en Australie, je voulais aller là-bas pour m’isoler et j’étais dans une ville tellement chiante, il n’y avait rien, des mamies qui lisaient le journal… C’était le néant. Je me suis assis sur un banc, il ne pouvait pas y avoir d’endroit moins stimulant que ça, mais au final, ce n’était tellement pas stimulant, que ça l’est devenu ! C’était presque un concept !
La dernière question sera une question générale et ouverte : quel regard portes-tu sur ta génération, sur la jeunesse ?
Je trouve que ma génération est belle, je trouve que les gens sont en révolte par rapport au monde tel qu’il est aujourd’hui, ils sont en colère, ils sont prêts à changer les choses, ils sont optimistes… et leur optimisme me rend optimiste.