Avec François Ruffin, la France a peut-être trouvé son Michael Moore… Journaliste à Fakir, journal picard indépendant de gauche, cet « admirateur » de Bernard Arnault (ndlr : célèbre patron du groupe LVMH et deuxième fortune française) va tenter de « renouer le dialogue » entre celui-ci et les chômeurs oubliés de la croissance du groupe.
La farce, l’ironie sont les tons qui vont dominer pendant tout le documentaire mais qu’on ne s’y laisse pas prendre : c’est bel et bien à une dénonciation en bonne et due forme du capitalisme sauvage à laquelle on assiste dans ce film. Et plus particulièrement une dénonciation de la politique menée ces dernières années par LVMH au sein de ses diverses filiales.
Plutôt que de se lancer direct dans les grands concepts de la lutte des classes, François Ruffin a choisi de s’intéresser aux gens. Avec sa caméra rapprochée, il nous emmène tout d’abord voir toute une galerie de « personnages » : Marie-Hélène, ancienne syndicaliste CGT à Poix-du-Nord (anciennes usines de la maison Dior), les anciens de la Samaritaine, un inspecteur des impôts belge…
Tous les anciens salariés ont bien compris « qu’ils n’avaient pas le look » de la maison LVMH et sont très remontés contre Bernard Arnault, responsable de la perte de leurs emplois. Mais François Ruffin a une proposition pour eux : acheter une action LVMH pour participer à l’assemblée des actionnaires et pouvoir interpeller Arnault en direct ! Et voilà donc la petite troupe qui débarque à l’assemblée au milieu des riches vieillards avec leurs coupes de champagne, avant de se faire expulser manu militari par les services de sécurité.
La joyeuse troupe de Fakir ne s’avoue pas vaincue pour autant. Surtout qu’ils ont un cas bien plus grave que les précédents qui se présente à eux : la famille Klur, chômeurs depuis la délocalisation en Pologne de l’usine Kenzo (propriété du groupe LVMH) n’a plus que 400 euros par mois pour vivre, et est sur le point de perdre sa maison faute de pouvoir rembourser ses dettes. Pour les sortir de la galère et rendre enfin la monnaie de sa pièce à Bernard Arnault, François Ruffin et sa bande vont monter une arnaque digne des plus grands faussaires…
Nous vous laissons le plaisir de découvrir par vous-mêmes la suite de cette histoire car Merci Patron ! est un film qui mérite d’être vu par tous.
Au-delà de la dénonciation nécessaire et salutaire des énormes dégâts provoqués par le capitalisme sauce LVMH, on est surtout marqués par l’espoir et la bonne humeur qui se dégagent du film. Oui, les grands patrons n’ont ni limites, ni scrupules mais face à eux, les « petits » ne sont pas démunis et ont encore les moyens de ridiculiser les puissants. Comme le dit très justement le responsable sécurité de LVMH à un moment du film, « Ce sont les minorités agissantes qui font tout… »
De plus, ce genre de discours dénonciateurs se fait rare étant donné que les médias sont de plus en plus aux mains des Bernard Arnault de ce monde, lui-même propriétaire du Parisien et de Aujourd’hui en France. Il est d’ailleurs curieux de constater que Merci Patron ! est le seul film produit « Mille et une productions » à s’être vu refuser un financement par le CNC : simple hasard ou volonté d’éviter la sortie du film ?
Enfin, ce documentaire questionne profondément quiconque s’intéressant à la mode et au luxe « Made in France ». C’est typiquement cette pratique d’un capitalisme prédateur qui va tuer le luxe. Les idéaux de travail bien fait, de passion pour l’artisanat n’ont rien à faire dans la logique de délocalisation et de massification qui se poursuit encore dans l’industrie. Car après la Pologne, où iront les usines Kenzo ? En Grèce peut-être, nouvel eldorado européen d’une main-d’œuvre déshéritée ? Il y aura toujours un ailleurs où produire pour moins cher.
Mais où sont les gains en termes de créativité, si ce n’est dans l’explosion de l’actionnariat et des dividendes distribués ? Certes, la maison Dior n’a jamais été aussi productive et prolifique que sous la houlette de LMVH : mais la créativité a-t-elle un coût réel ? A-t-elle besoin de la finance ? N’est-ce pas plutôt le contraire ? Le « Made in France » d’un certain luxe présente un revers de la médaille bien moins reluisant que ce qu’on pourrait croire. Les Journées Particulières du groupe sont une vitrine extraordinaire pour les quelques élus encore protégés par leur savoir-faire, et fièrement exhibés. Tout le cynisme d’un label apparaît au grand jour, grâce au grotesque de la mise en scène.
Merci Patron ! c’est en quelque sorte le pendant grinçant et populaire, du très lisse Dior et moi sorti en juillet 2015. Quelques petites mains de l’atelier historique de la maison à Paris contre la masse de laissés-pour-compte qui pointent à Pôle Emploi.
Apolline Bazin & Salvade Castera