L’Aconservatoire, squat culturel solidaire menacé d’expulsion à Noisy-le-Sec

En juillet 2021, un collectif d’artistes pluridisciplinaires à majorité queers et racisé·e·s investissent l’ancien conservatoire de Noisy-le-Sec pour en faire un lieu de vie culturelle et sociale. Aujourd’hui, après un jugement le 25 novembre dernier et un premier avis d’expulsion, iels sont sommé·es de quitter les lieux avant le 9 avril prochain. Un énième événement qui témoigne du peu de considération des politiques pour les pratiques artistiques et culturelles sortant des sentiers battus. 

L’Aconservatoire est un endroit à part. Dans une maison d’architecte des années 50 de plusieurs étages organisé autour d’un jardin, une dizaine d’artistes occupent le bâtiment de l’ancien conservatoire de Noisy-le-Sec et y organisent des événements culturels : des expositions, des concerts, des performances, des instants de partage. Le collectif est constitué en association, L’Archipel Multiculturel Indépendant et Solidaire (AMIS). Tous les jeudis, iels se rendent à Rungis à 5 heures du matin afin de collecter les légumes invendus et de les distribuer aux habitant·es de la ville. « Plus de cinquante personnes reçoivent des paniers de fruits et légumes frais chaque semaine, parfois même du bio » m’explique Bazil, l’un des résident·es. Pourtant, plus d’un an et demi après leur installation, les occupant·es sont menacé·es d’expulsion et se trouvent en conflit avec la mairie. Comment en est-on arrivé là ?

Un site culturel convoité 

Lorsque les artistes arrivent dans les lieux en juillet 2021, iels préviennent directement le maire encarté PCF, Olivier Sarrabeyrouse. Car ce n’est pas la première fois qu’iels ont affaire à lui : avant l’Aconservatoire, l’équipe – d’une vingtaine de personnes alors – avait déjà occupé une ancienne usine de strass et paillettes pendant six mois à Noisy. Ce lieu s’appelait le S*. 

« À l’époque, nous avions déjà reçu la visite des équipes de la mairie avec qui nous avions dialogué à ce moment-là. Le courant est bien passé, ils ont aimé ce que nous faisions » raconte Hugo, résident de l’Aconservatoire. Alors quand iels se sont installé·es dans ce nouvel espace, Olivier Sarrabeyrouse explique : « Je n’étais pas réfractaire à ce qu’ils soient là mais nous n’avions pas les moyens juridiques et financiers de sécuriser le lieu et de légaliser leur présence ». Il y a une seconde ombre au tableau : le contentieux entre la mairie de Noisy et Mouloud Achour et Ladj Ly. 

Que viennent faire ces deux personnes dans l’histoire ? En 2018, Mouloud Achour et Ladj Ly signent un bail afin d’exploiter l’Aconservatoire pour un loyer de 500 euros par mois. « On veut faire de l’ancien conservatoire un lieu culturel, de création et d’apprentissage » expliquait Ladj Ly en 2019 dans les colonnes du Parisien. Le projet inclut un restaurant gastronomique porté par le chef Jean Imbert, une école de cinéma et une résidence artistique. Finalement, le projet ne verra jamais le jour car jugé peu sérieux par les autorités compétentes. Ce que les résident·e·s de l’Aconservatoire ignorent au moment où iels s’installent, c’est que ce contentieux est réglé depuis 2021, lorsque le tribunal administratif de Montreuil annule la délibération du Conseil municipal votée en 2018. Olivier Sarrabeyrouse explique quant à lui par la suite que la procédure de négociation entre les avocats de MouloudAchour, Ladj Ly et la mairie a duré jusqu’en 2022. C’est selon lui, une des raisons pour laquelle la présence du collectif n’a pas pu être régularisée plus tôt.

Des dialogues informels au silence

Tout au long de leur occupation des dernières années, l’équipe de l’Aconservatoire rencontre souvent les équipes de la mairie lors de rendez-vous informels dans des cafés. Lors de ces entretiens, on leur demande d’envoyer par mail des dossiers où iels expliquent leurs pratiques artistiques et émettent des propositions pour faire vivre les lieux. Iels s’exécutent, mais ne reçoivent cependant jamais de réponse.

En octobre 2021, le collectif propose à la mairie de signer un PV de conciliation exécutoire, ce qui correspond légalement à un accord de départ entre les deux parties. « Dans l’idée, nous savions que nous devrions partir à un moment ou un autre. Mais il était clair qu’aucune des deux parties ne souhaitait engager de procédure. La mairie est une mairie de gauche qui nous a toujours dit : “on vous aime bien, ce n’est pas notre manière de faire que d’engager des procédures et d’expulser des gens par la force, alors mettons-nous d’accord”. » Iels réitèrent leur proposition en avril 2022, qui n’est pas acceptée, avant de recevoir la visite d’un huissier trois mois plus tard, en juillet. « À ce moment-là, iels avaient engagé la procédure d’expulsion. Nous avons reçu une convocation au tribunal pour notre expulsion et nous avons fait une demande de report. Entre-temps, nous avons eu un rendez-vous informel avec le maire et son adjoint. Nous avons reparlé du PV de conciliation exécutoire. » Hugo reprend : « Iels nous ont répondu que les rendez-vous informels ne pouvaient pas mener bien loin. Iels nous ont alors demandé de renvoyer un mail à la mairie en racontant notre histoire depuis le début et en donnant notre proposition pour le bâtiment. » Ce que les artistes font, mais leur mail reste à nouveau sans réponse. 

Côté mairie, Olivier Sarrabeyrouse explique : « Le lieu ne peut pas recevoir de public et nous n’avons pas eu les moyens de le remettre aux normes, même si j’aurais aimé pouvoir travailler avec elleux. Nous leur avons proposé à l’oral de quitter les lieux en septembre 2022, ce qu’ils n’ont pas accepté. » Le maire de Noisy explique également que son chef de cabinet ne lui a jamais parlé d’un PV de conciliation exécutoire et qu’il n’a pris connaissance de cette proposition qu’en avril 2022, lorsqu’il leur a demandé de quitter les lieux, reflétant un certain manque de communication interne. Le 25 novembre 2022, les occupant·es de l’Aconservatoire sont jugé·es et  obtiennent le délibéré en février 2023. Iels sont expulsables à la fin de la trêve hivernale, c’est-à-dire à partir du 9 avril prochain. Puis, on leur annonce qu’iels doivent payer une amende de 10 000 euros, une somme correspondante aux 500 euros de loyer par mois depuis leur installation. « Nous avons fait appel de la décision, mais ça ne l’annule pas pour autant. Nous sommes censé·es démontrer la précarité de notre situation, ce que nous avons déjà fait en première instance mais qui ne semble pas suffisant puisque pour le juge, des délais seraient accordés uniquement dans les cas où les personnes seraient en recherche d’emploi ou dans des situations extrêmement difficiles » expose Bazil.

Pour les juges, l’art n’est pas un travail

Aux yeux de la justice, une « situation très précaire » désigne les personnes qui n’auraient pas de papiers, mais qui chercheraient activement un CDI ou un CDD, pour « s’insérer ». Les artistes de l’Aconservatoire, elleux, souhaitent simplement vivre de leur art dignement. Bazil explique : « Pour les juges, l’art n’est pas du travail. Quand tu es dans un squat, dans leur tête, tu es ultra précaire, tu essaies de trouver du boulot et de t’insérer, mais tu ne le peux pas. Alors que nous, la base de notre travail en tant qu’artiste, c’est justement de faire vivre des lieux d’une manière culturelle et sociale.» En plus d’organiser des événements artistiques, de faire de la distribution et d’être un lieu d’accueil pour les artistes, iels proposent des hébergements d’urgence pour des personnes qui se retrouvent subitement à la rue , ou qui sont en situation irrégulière. Ces artistes travaillent, produisent mais sont aussi engagé·es pour les Noiséens. Et pourtant, Hugo raconte que le collectif est qualifié de « bande de clochard·es qui vit dans ce bâtiment emblématique de Noisy » par certain·es élu··s politiques de l’opposition de la mairie de Noisy. 

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De son côté, Olivier Sarrabeyrouse justifie l’expulsion en déplorant le manque de moyens financiers de la mairie pour sécuriser le bâtiment : « J’aurais aimé qu’on puisse travailler ensemble, mais en tant que nouveau maire, j’ai été confronté à une forme de contradiction entre mes intentions et les moyens politiques dont je dispose pour mener à bien les actions souhaitées. Si ça n’avait tenu qu’à moi, nous aurions pu établir une convention d’occupation précaire. » Cette situation fait écho de manière intéressante aux questions de place des artistes sur un territoire. Iels réhabilitent parfois les lieux à moindre frais, s’installent et les font vivre alors qu’iels sont elleux-mêmes dans une situation de précarité extrême. 

Que deviendra le bâtiment lorsque le collectif de l’Aconservatoire de Noisy sera parti ? La mairie imagine un tiers-lieu ou une maison des associations. Le lieu ne pouvant pas accueillir de public pour l’instant, l’association En toutes lettres pourrait y stocker son matériel. Hugo s’interroge :  « Est-il préférable d’expulser 10 personnes sans proposer aucune solution de relogement, malgré la soi-disant empathie, pour transformer un lieu vivant en un lieu de stockage sans vie ? » Cette décision et les arguments de la mairie semblent d’autant plus injustes qu’une loi anti-squat particulièrement dure est justement en cours d’examen à l’Assemblée. 


Si vous souhaitez soutenir les habitant·es de l’Aconservatoire, vous pouvez signer leur pétition contre l’expulsion.

Crédit photo : © exposition co-curatée par Konstantinos Kyriakopoulos et Hugo Laporte

Relecture et édition : Sarah Diep, Apolline Bazin et Caroline Fauvel

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