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La Chica. « Je ne me suis jamais dit que ma culture était la bonne. »

La Chica. « Je ne me suis jamais dit que ma culture était la bonne. »

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Métissé, coloré, dense et chargé : le premier album de La Chica, Cambio, est à l’image de sa créatrice. Franco-vénézuélienne, l’artiste fait sonner l’espagnol comme nulle part ailleurs, sur des productions hybrides entre tradition venue tout droit d’Amérique latine et harmonies pop.

Le langage y est cynique, furieux et envoûtant, et par-delà la musique et les mots, il est d’une complexité qui interpelle et rafraîchit au milieu du paysage musical actuel. Avec assurance, La Chica assemble et construit des ponts entre ses identités, balance impétueusement son désir à la fois personnel et universel d’indépendance. Inutile de s’étaler plus longtemps sur cette sortie intrigante aux multiples couches : elle se déguste par morceaux, transcendant les vains adjectifs qu’on pourrait y apposer.

Manifesto XXI : Tu as sorti un album qui s’appelle Cambio. Quel est ce changement dont tu parles ?

La Chica : C’est un album qui traite de la transformation personnelle que j’ai pu expérimenter ces dernières années. J’ai vécu une réelle métamorphose en laissant de côté beaucoup de choses que j’avais construites et qui m’avaient amenée sur un mauvais chemin. Quand je me suis trouvée éveillée de cet endormissement dans lequel j’étais, ça a été très douloureux, il a fallu que je prenne une décision. Il y a eu un changement chargé d’embûches, pas facile à vivre mais extrêmement intéressant. Il y a une réelle transformation interne, qui est liée à ma vie personnelle, à mes différentes névroses, à mon relationnel, à mon travail, ma recherche artistique, et qui a résonné beaucoup avec la situation catastrophique au Vénézuela. Elle m’a beaucoup impactée, m’a énormément contrariée.

C’est un peu difficile d’exprimer ce qu’on ressent quand on est à distance, quand on voit le deuxième pays de son enfance tomber dans les abysses d’un blocage absurde. La dernière fois que j’y suis allée c’était il y a quatre ans, et ça commençait déjà à s’effriter. Je n’y suis plus retourné depuis. Il y a beaucoup de textes de cet album qui sont aussi une demande extérieure de changement pour le pays. C’est vraiment un changement global. Au niveau familial, ça a été très fort et triste. J’ai plusieurs amis qui sont morts de maladie à la con, de diabète, d’un truc qu’on peut soigner, mais les médicaments n’arrivaient plus. Ça a été tellement fort, et on ne s’en rend tellement pas compte quand on est ici. Naturellement il a fallu que j’exprime ces choses-là.

Ton univers est très pop et coloré, mais tu parles de choses très dures. C’est très contrasté, et peut sembler avoir des accents pessimistes comme dans « Ratas » où tu dis : « Je ne vais pas inventer de nouveaux discours sur le comportement humain ».

Je dis des trucs bien pires avant. (rires) L’espoir, il y en a toujours, j’arrive toujours à croire en l’humanité, c’est juste que je n’ai pas la prétention d’avoir des solutions, de pouvoir inventer quelque chose qui puisse changer les choses.

Tout ce que je sais c’est qu’à petite échelle, je peux envoyer de l’énergie et de l’amour, créer des connexions avec les choses qui m’entourent.

Je ne vais pas m’engager dans un discours politique parce qu’il y a beaucoup de choses qui m’échappent.

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Crédits : Francesc Pascual Torrens

Tu peux être politique sans le dire explicitement.

Oui il y a des choses qui parlent d’elles-mêmes. Déjà de base quand tu es métissée, tu nais avec cette schizophrénie culturelle. Pendant longtemps ça peut être une grosse contradiction, et c’est ce qui a pu causer de nombreux problèmes d’intégration avec cette non-gestion de la France des enfants d’immigrés qui ne retrouvent leur identité nulle part. Je ne suis pas fille de Maliens ou de Sénégalais qui ne parlent pas français, c’est beaucoup moins violent pour moi, et puis je suis blanche. Mais en revanche, intérieurement il se passe des choses.

À l’adolescence, on ne comprend pas qui on est, il n’y a pas de mot pour cette case qu’on essaye de se représenter. Ça a fait son chemin, pendant longtemps j’étais une weirdo, puis j’en ai fait une force. C’est une ouverture d’esprit importante qui m’a servi à m’adapter à n’importe quelle situation, où que ce soit dans le monde.

Je ne me suis jamais dit que ma culture était la bonne.

Comment tu te places avec cette culture métissée dans un pays aussi universaliste que la France ?

C’est une des particularités de la France. Il y a ce besoin d’étiquetage, d’avoir des points de repère pour pouvoir les comprendre. J’ai moi-même ce réflexe mais ça appartient particulièrement à la France. Au Mexique, ils s’en foutent complètement d’à quoi ça peut ressembler ce que je fais. Ils reçoivent la proposition, et si ça leur parle c’est cool. Il n’y a pas de questionnement sur les influences, d’où ça vient. Après j’aime qu’on me pose des questions sur le cheminement, parce que c’est intéressant, mais le rendu est effectivement tellement hybride. Je pense que ça va avancer, des artistes ont ouvert les routes, comme le dernier album de Rosalía, qui est quand même du folklore flamenco à la base, avec des palmas partout, mais modernisé. C’est de la pop, ça plait au plus grand nombre.

C’est important pour toi l’idée de pop et d’accessibilité ?

Oui. Dans un premier temps, je faisais de la musique pour moi, j’étais très renfermée. Je faisais des compositions sur des ressentis extrêmement cérébraux, internes. Et puis j’ai eu envie de m’ouvrir, et j’ai considéré qu’il fallait que je fasse quelque chose de plus accessible. Avant c’était beaucoup plus expérimental, c’était vraiment Palais de Tokyo. J’ai réalisé que si je continuais comme ça j’allais considérer la musique comme quelque chose d’élitiste, et en fait je n’ai jamais écouté de la musique pour l’élite. Je ne voyais pas pourquoi je m’auto-classifierais dans cette case-là. Donc j’ai essayé de penser les choses un peu plus simplement.

Comment tu as fait ce cheminement ?

J’ai commencé par une éducation classique dans le piano, avec du violon, au Conservatoire, sans réelle envie d’en faire quoi que ce soit. Quand la pression est arrivée, j’ai arrêté. Je suis revenue naturellement à la musique en jouant avec des groupes. J’ai tout réappris sur le terrain et j’ai joué dans tout ce qu’on me proposait. Ça a été extrêmement formateur parce qu’il n’y avait pas de limite. Je suis rentrée ensuite dans une case un peu plus variété, un peu plus chanson. Ça m’a permis de faire des énormes scènes, de jouer dans des conditions très très bonnes, devant beaucoup de monde. Ça m’a fait comprendre que la scène était le moyen d’expression le plus efficace et thérapeutique. J’ai toujours écrit des choses de mon côté mais il fallait assumer, et je ne l’ai pas fait avant d’avoir la maturité adéquate. Je crois que j’avais envie que mon propos soit clair, et je suis passée par plusieurs phases avant que ça n’arrive.

Tu avais envie de dire quoi ?

J’avais clairement des choses à sortir de façon très forte, très profondes. J’ai tendance à ne pas trop parler et j’avais besoin de crier un peu. Je ne représente pas de pays, ni la France ni la Vénézuela. J’ai envie de représenter l’amour, les galères, les imperfections, voir si ça peut entrer en résonance avec d’autres histoires, d’autres vies.

Il y a des espèces de mantras que je me suis écrit à moi-même dans les chansons, que je me répète, où je me dis que ça va aller, parce que c’est comme ça que ça rentre.

Au bout d’un moment ils feront leur chemin. Je me suis rendu compte après que ça avait un impact sur les gens.

Je fais de la musique pour partager ces émotions-là, parce qu’on est différents mais on expérimente les mêmes choses. On est extrêmement banals, tous, mais dans le bon sens du terme. Le jeu c’est d’essayer de trouver des jolies images, pour exprimer ça de manière un peu plus poétique.

C’est pour ça que la langue espagnole est importante pour moi parce qu’elle s’y prête. Les descriptions imagées en espagnol sont beaucoup plus faciles qu’en français, qui requiert une exigence plus rude. La langue française, quand elle sonne, c’est mortel, mais c’est très difficile. Avec l’espagnol, tu finis tes phrases par des « o » et des « a », ton son va être projeté loin, et tu as l’impression que tu vas toucher des gens beaucoup plus facilement. L’anglais a ça aussi. Le fait d’avoir une seule syllabe quasiment pour tous les mots, ça te permet de faire les constructions rythmiques que tu veux. En français on a des mots à rallonge.

J’ai un désir d’immédiateté, j’ai besoin que ça aille très très vite : ça me donne l’impression que l’essence reste là.

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Crédits : Guillaume Malheiro

Tu as une bonne capacité à rendre universel le particulier. C’est agréable d’entendre ce discours rassembleur au milieu de productions très individualistes.

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La chanson est à l’image de ce qui se passe artistiquement de nos jours. Tout est basé sur le selfie. C’est basé sur l’image, sur quelle représentation du moment on va réussir à véhiculer. On cherche désespérément à se démarquer tout en faisant tout le temps la même chose.

Je ne peux pas avoir de discours sur moi et les autres si je suis constamment en train de me regarder.

Ce qui me choque plus dans les trucs de maintenant, c’est que j’ai l’impression que ça manque d’âme. Ça ne perdurera jamais.

Ça a toujours existé, la question du produit, depuis que l’industrie de la musique existe. C’était déjà ça dans les années 1950, 1960, ça s’est empiré par la suite. Il y a une consommation tellement immédiate, les gens ne sont pas capables d’écouter un album en entier. Ils écoutent une track à moitié, ils vont direct au milieu pour voir comment ça se passe sur le refrain. Il n’y a pas de concentration.

Tu te places comment là-dedans ?

Aucune idée. Tu imagines, j’ai à peine sorti un album, je ne sais même pas comment ça va être pris. J’espère juste entrer en résonance avec des choses justes, authentiques. Je suis assez réaliste. J’ai conscience de la proposition que j’ai, assez dense, complexe, pas facile à digérer, où il faut plusieurs écoutes pour capter toutes les subtilités. Mais j’aime ça, ça me parle.

Au milieu de cette industrie musicale, tu présentes un féminisme aux accents plutôt guerriers dans ton album.

Je défends des valeurs qui sont la liberté et l’indépendance pour les femmes. Le problème avec le mot féminisme c’est qu’il a été déformé, utilisé à tort et à travers. Au départ c’est juste la volonté de rehausser le statut de la femme de manière à obtenir un rééquilibre social. J’ai du mal à faire partie de groupes, mais je vais toujours appuyer ce truc-là. Je vais le faire peut-être de manière plus subtile à travers la musique, avec un impact moins immédiat.

Je parle beaucoup de la nature sauvage des meufs. Il y a des choses qu’on a en nous, une puissance énergétique folle, et la possibilité d’enfanter. C’est devenu un truc normal mais ça requiert une force mentale : on a le pouvoir de créer. Ces pouvoirs magiques ont été cachés, brûlés, comme les sorcières. C’est une thématique intéressante parce que ça n’a jamais pu être éteint par les hommes, c’est toujours là.

J’ai juste envie de rappeler aux meufs qu’il faut rester éveillées, que ce sont des choix, des sacrifices.

C’est quelque chose qui t’a touchée personnellement dans ta carrière ?

Oui, dans ma carrière en étant musicienne. En étant chanteuse dans un milieu misogyne, qui considère que les femmes ont une date de péremption. Et puis dans mon expérience personnelle, dans mes relations, avec des hommes, avec des femmes. La difficulté de vivre avec l’autre est la même, homme ou femme, mais j’ai vécu des situations gênantes, un peu bâillonnée, ou même de violence physique. Je vois très bien dans quel état d’esprit on peut être quand on est une fille, quand on a été élevée pour bien se comporter avec les gens. Je sais comment on peut se faire avoir. Et en fait, non, tout simplement. Quel homme rentre chez lui en serrant ses clefs dans sa poche ? Aucun. On est obligées de faire avec parce que les hommes sont trop cons, basiques. Il faut apprendre à se protéger, à se défendre, à répondre à ça.

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