À l’occasion de la carte blanche confiée à Flavien Berger durant le festival Days off, il est amené à proposer quatre événements :
Pourquoi as-tu choisi précisément ces trois labels ?
Flavien Berger – Il s’agit d’amis avant tout. Les disques du festival permanent, c’est un label qui a été monté par Gaspar Claus, qui m’a invité à le rejoindre. On a pu produire notamment la maison de Billy (Musique Chienne). C’était normal de mettre en avant un jeune label, dont je suis fier de faire partie.
Johnkôôl, c’est le label de mon pote Dj Kôôl (alias Quentin Caille du Collectif_sin~) et de Colin Johnco (membre des groupes Dr(Dr)One et Dem Leedz).
Enfin, Promesses ce sont à la fois un label et un duo de DJs composé de Samos & Härdee.
Pour ces trois jeunes labels qui ne font pas forcément la même musique, mais qui ont à peu près le même âge, cette carte blanche est une invitation à venir s’exprimer par le biais du dj set.
Justement, pourquoi as-tu décidé de créer un label ?
C’est Gaspar Claus qui a crée Les disques du festival permanent. Il m’a invité par volonté de connivence et pour travailler ensemble en direction artistique. Je pense qu’il souhaitait ouvrir l’horizon de la DA. L’idée de monter un label est assez contemporaine, mais lui réussit à maintenir un label cohérent. On n’a pas réellement produit de disque : en réalité la maison de Billy est un disque qui a été conçu avec des Suisses et que j’ai sorti en France. Pour l’instant, je n’ai fait que des sorties de disques qui existaient déjà. Non pas que je n’ambitionne pas de travailler à partir d’une matière brute ; mais je reste musicien avant tout, ce qui occupe la plus grande partie de mon temps. Ce qui m’intéresse dans le label, c’est de sortir des disques et de développer la musique dans le monde entier. De faire en sorte que le rayonnement d’un disque soit plus grand grâce au label, donc d’écouter et de parler musique.
Flavien Berger fait son cinéma au MK2 Quai de Loire, le 3 juillet.
Le festival te propose une soirée cinéma au cours de laquelle tu pourras décrire ton univers cinématographique au public. Tu as choisi, entre autres, de présenter Je t’aime, je t’aime d’Alain Resnais, sorti en 1968. C’est un long métrage sur le voyage dans le temps. Un clin d’œil à ton album, Contre-temps, dont la sortie est prévue en septembre prochain.
Peux-tu nous donner le top 3 de tes films préférés ?
Non. Enfin, c’est super dur. Parmi mes films préférés, il y a Happy Feet de George Miller (Mad Max), une comédie musicale avec des pingouins, sur de la musique noire américaine. Il y a Je t’aime, je t’aime, évidemment. Et aussi Tabou, de Miguel Gomes. Ce ne sont pas les trois qui sont au top de la liste, ce sont juste les trois qui font partie de la sélection de mes films préférés. C’est juste un troupeau.
La musique, à l’image, semble être quelque chose qui te travaille. Bien que les clips sortent logiquement après ta composition, cette dernière semble pensée pour l’image. Tu fonctionnes toujours ainsi ?
Je suis de moins en moins inspiré par des films lorsque je crée ma musique. C’était le cas pour Léviathan : je laissais naître des ambiances qui pouvaient accompagner des scènes imaginaires. Là, j’essaie plutôt de travailler une matière chantée avec une voix un peu plus forte. Les ambiances s’effacent au profit de textes un peu plus crus. On va moins s’ébahir devant des paysages imaginaires que creuser les sentiments.
Je conserve l’idée d’une musique cinématographique, car effectivement ça accompagne le travelling de la vie quotidienne ; mais je la cultive un peu moins que sur mes disques précédents.
À ce propos, peux-tu nous parler de ton processus créatif ? Des textes que tu instrumentes ? De la musique que tu narres ?
Tout est corollaire. Il n’y a pas une seule manière de travailler. La différence par rapport aux autres disques, c’est que je l’ai circonscrit. Je l’ai fait en 1 an et demi. Je l’ai écrit et composé avec du matériau qui ne venait pas de ma jeunesse. Tandis que les autres disques glanaient et récupéraient des matériaux qui avaient été faits 4 ans, 5 ans voire 7 ans auparavant, que j’avais repassés par une sorte de filtre esthétique de l’être que j’étais à cette époque-là. Contre-temps, pour sa part, est issu d’un workshop. Brutalisme est un morceau composé en octobre 2016. Ça, c’est nouveau. Un premier album, tu mets toute ta vie à le composer. Pour le deuxième, tu prends 1 an. J’ai voulu jouer le jeu. Et démystifier le second album en sortant un album à Noël, Contrebande. En vrai, le deuxième album c’est presque un rituel, comme un rendez-vous, comme des Jeux olympiques : c’est vraiment le moment où tu es attendu.
Pour produire un album de 13 morceaux, on opère ce que j’appelle une jachère. J’ai retiré plein de morceaux que j’insèrerais à d’autres endroits, à d’autres moments.
Hexagone #3 avec Flavien Berger, Moodoïd, Forever Pavot… à la Cité de la Musique, le 5 juillet.
Lors d’une précédente interview, tu as explicité le titre de ton premier album : « Le Léviathan, pour moi, c’est la musique. »
Contre-temps, est-ce l’à rebours d’un cataclysme qui a sévi avant l’avènement du monstre ?
Exactement. Contre-temps est un disque qui préexiste à Léviathan. Si on reste dans la logique du voyage dans le temps, et notamment du voyage dans le passé, Contre-temps précède Léviathan. Vendredi, on sort 999999999, qui est l’ante 88888888. Mais il n’y a pas plus de logique narrative que ça ; j’ai fait attention à ne pas me cantonner aux contraintes narratives et aux références à mon propre travail. C’est hyper cool de s’encadrer comme cela, mais il faut parfois réussir à s’en détacher. Le disque sonne comme je l’avais conçu ; mais je pensais me diriger vers un disque beaucoup plus technologique, beaucoup plus science-fictionnel voire fictionnel tout court. On est moins dans la démonstration de la réflexion technologique ou du voyage dans le temps, moins dans le vaisseau que ce que j’imaginais. Oui, Contre-temps est à rebours de Léviathan. Un morceau a d’ailleurs failli s’appeler À rebours. Finalement, je l’ai baptisé À reculons.
Ton travail m’évoque la théorie du Laocoon de Lessing : il explique que l’émotion véhiculée par un médium dépend du médium en tant que tel. Il tente de déterminer les limites respectives des arts plastiques et de la poésie : la poésie, c’est l’action ; l’art, c’est la beauté. L’art qui s’adresse aux yeux ne doit traduire, de l’action développée par le poème, que les détails qui, offerts à la vue, ne détruisent pas la beauté.
Le poète, selon Lessing, travaille pour l’imagination ; le sculpteur, pour l’œil.
Le sculpteur ne reproduit qu’une situation, qu’un instant, tandis que le poète développe l’action tout entière.
Ça me fait penser à ta musique. Le Léviathan, qui est un monstre mythologique, est d’abord un territoire vivant. Mais quand il se fait poème, il est nécessaire au Leviathan d’être décrit par une mise à l’existence. Un peu comme en électro, il y a tout un passage lent avec le drop, qui préexiste au drop, et qui lui est nécessaire. Paradoxalement, c’est la séquence la plus intense. Contre-temps est-il indispensable à l’avènement de Léviathan ?
Je n’y ai pas pensé. J’aurais peut-être pu faire ça. En même temps, dans l’album précédent, je ne parle jamais du Léviathan, si ce n’est à la fin. C’est une égide, sous laquelle les termes se recoupent. Léviathan provient du roller-coaster éponyme au Canada. C’est pas en nécessité l’impulse de Léviathan. Mais je pense qu’il y participe en tant que narration chronologique, oui.
Tu as en tête des gens avec lesquels tu aurais envie de travailler ?
J’aimerais bien bosser avec Grimes.
J’aimerais bien bosser avec Brigitte Fontaine.
J’aimerais bien bosser avec Boris Bergman, écrivain et parolier (Bashung) que j’ai découvert ce week-end à la villa Médicis (Rome).
J’aimerais bien bosser avec un ensemble de tambours coréens…
Je te propose un jeu. J’ai sélectionné quelques commentaires sur YouTube que je te soumets, et je retranscris ta réaction à chaud.
À fond ! Intéressant, je n’ai jamais fait ça.
Ah, je connais le type qui a écrit ça, il s’appelle Vlad…
Je suis producteur aussi, donc les modalités de production sont compliquées lorsque l’on est deux producteurs. Souvent, tu invites un chanteur, mais pas un deuxième producteur.
C’est sweet. C’est le genre de truc, tu peux mourir après avoir entendu ça. En même temps, ça peut être très ironique… Les commentaires YouTube, tu sais… Mais ça me touche énormément, même si c’est peut-être pour le fun.
Ouais c’est Nathan qui a écrit ça ? Ah, nan. Mais oui, quelqu’un me l’a dit aussi. Ce sont des supers accords et je pense que l’on va faire un mashup, un bootleg. On va prendre ma voix et la mettre sur l’instru’. Un mashup. Goldman-Berger, Goldman Sachs.
C’est dans ma chanson. J’ai pas pensé que quelqu’un pouvait dire ça en parlant de la chanson elle-même. J’espère que l’issue c’est qu’elle n’est pas en bad ! (Rires).
C’est quelqu’un de très ouvert qui dit ça. Et qui est très explorateur de ses sensations. Cool, c’est plutôt positif !
T’as pas de trucs méchants? (Rires).
Tu définis dans le syllabus du festival le Collectif_sin~ par ces termes : « Quand nous avons créé le Collectif_sin~, nous étions quatre étudiants fantasmant une aventure commune, une quête sensiblement romanesque s’auto-définissant au fil de nos projets basés principalement sur la relation entre son et image. Pour cette date un peu particulière, nous vous invitons à passer un après-midi à fermer les yeux. Une fois de plus, nous nous réunirons pour mettre en commun nos univers sonores et nos recherches, activer les machines et les esprits. »
Tu peux nous en dire un peu plus ? Et surtout quelle place tu vas occuper ?
Ça dépend des projets. Ce n’est pas facile de trouver sa place dans des collectifs, c’est un peu le jeu de la vie. Parfois on y est bien, parfois on y est pas car on décide de faire autre chose, parfois on a des initiatives, parfois on suit le troupeau. Moi, je suis plutôt le troupeau. Je propose des initiatives de manière parcimonieuse. On a tous plusieurs casquettes. Moi, en tant que musicien, je propose mes skills de composition, et j’essaie d’agrémenter les propositions des autres pour en faire quelque chose de cohérent. Avec la carte blanche du collectif Sin, je vais plutôt tenter de créer une ambiance de travail. Là où on cherchait à faire des pièces grandiloquentes partitionnées, avec des structures, des montées en intensité, ici je pense que l’on va jouer chacun notre tour, en faisant une présentation de ce qui nous traverse actuellement, par salves de 15 minutes chacune.
On a fait un concert battle à Pau. Il ne s’agissait pas de créer une compétition, mais plutôt de garder l’esprit scène ouverte. Pour s’écouter chacun son tour. Il y a des jeunes arrivants et des anciens dans le collectif. Pourtant, on est tous à égalité, en bleu de travail. J’essaie de trouver l’angle d’attaque, le thème et la couleur de ce qu’on va présenter. J’aimerais bien faire un concert assis, allongé, où le public plane. Voilà.
On proposera aussi, par exemple, des dream machine qui vont au-delà de la musique. Ces machines traduisent la musique en signes visuels, en vibrations. Par exemple, on va utiliser la dream machine aquatique : un son envoyé dans un bac d’eau qui fera vibrer l’eau et, grâce à la lumière, on pourra mettre en évidence les nuées de vibrations de l’eau. C’est notre musique qui sera traduite en image (la synesthésie).
Je me rappelle avoir vu un documentaire sur le son originel Om, qui est traduit visuellement par des taches que l’on retrouve sur les carapaces des tortues, ou sur le pelage des léopards.
C’est génial, c’est quoi le nom du documentaire ?
Je ne m’en rappelle plus (rires). Mais ça devait être un titre qui se rapproche de « le mantra Om, son originel de l’univers »…
Pour finir : arriverais-tu à décrire en un mot ton album? Si ce n’est pas de la science-fiction, alors qu’est-ce ?
De le sensation ! C’est le même nombre de syllabes !