Les mises en scène de Cindy Sherman dans Untitled Film Stills (1977-1980) sont plutôt violentes. Je pense à certaines images, lorsqu’elle se met en scène dans un coin de la maison, ou toujours belle, parfaite, artificielle pour critiquer les stéréotypes des films des années 1950… Ça fait partie de l’expression d’une même violence. En effet, ce n’est pas Martha Rosler avec ses instruments de cuisine et ses couteaux, mais c’est une autre façon de dénoncer cette espace prison qu’est l’espace domestique. – Lucia Pesapane
À la Monnaie de Paris, l’exposition Women House s’étend sur deux longs étages pour encore deux semaines. Du rapport entre femmes et espace domestique au corps-architecture, le parcours se construit par de larges entrées thématiques à l’intérieur desquelles chaque œuvre apporte son regard critique, politique ou poétique. Le discours émerge des œuvres, la scénographie dirige le dialogue, le parcours laisse aux spectatrices et spectateurs attentifs la possibilité de faire évoluer leurs propres regards. La question centrale du rapport des femmes artistes à l’espace et à l’architecture se rapporte autant à sa condition sociale qu’à sa condition maternelle, de corps-maison. Cette exposition a la grande valeur d’élargir la réflexion sur les apports thématiques et formelles des artistes femmes suite à la seconde vague féministe des années 1960-1970 tout en s’inscrivant dans une démarche historiographique, créant les bases d’une nouvelle chronologie artistique, féminine et féministe.
Avec Women House, les commissaires d’expositions Camille Morineau et Lucia Pesapane continuent donc à nous toucher et réaffirment leur engagement auprès des femmes artistes. Pour celles et ceux qui attendaient une institution muséale ouvertement engagé dans la parité hommes-femmes, la direction de Camille Morineau à la Monnaie de Paris apporte un début de réponse.
Women House à la Monnaie de Paris jusqu’au 28 janvier 2018
À travers Women House, vous interrogez les regards d’artistes femmes sur l’espace domestique. Ce sujet en évoque cependant de nombreux autres tels que la maternité, la sexualité, le mariage, qui n’apparaissent pas dans les thématiques chapitres de votre exposition. Pourquoi s’être concentré sur le rapport au lieu lui-même ?
Lucia Pesapane : On ne pouvait faire qu’une seule exposition ! Donc on a choisi de se concentrer sur la thématique de l’espace et de l’architecture. À travers cette problématique, on aborde autant des questions d’échelles – entre les maisons de poupées et les œuvres monumentale – que le rapport au corps. Comment les artistes se confrontent aux différents types d’espace, aux différentes échelles, avec parfois même un point de vue d’architecte ? Beaucoup d’artistes de cette exposition sont d’ailleurs plongés dans ces questionnements : par exemple Niki de Saint Phalle avec ses propositions d’œuvres-architectures, et Carla Accardi a longtemps étudié les proportions des temples classiques.
Dans le catalogue de l’exposition, vous expliquez que le point de départ de cette exposition est la constatation que la thématique de la « femme-maison » semble être un thème commun à plusieurs artistes femmes, et en premier lieu Niki de Saint Phalle et Louise Bourgeois. Pourquoi ce thème se retrouve alors à la fin de la scénographie de l’exposition ?
Nous avons décidé de ne pas suivre un critère chronologique pour cette exposition pour ne pas trop limiter notre discours. On souhaitait également mélanger les générations d’artistes, et avoir un regard moins scolaire, pour réaliser des rapprochements entre les œuvres et les générations. Malgré tout, l’exposition commence avec la Nana-Maison II (1966-1987) de Niki de Saint Phalle dans la cour, et elle se termine à l’étage avec l’araignée de Louise Bourgeois, Spider (1995). Ce sont les deux artistes qui sont à l’origine de tout le discours sur la femme-maison, et Louise Bourgeois dès les années 1940. Donc, même si cette origine n’est pas forcément évidente dans le parcours, on leur rend hommage avec les deux sculptures les plus grandes de l’exposition, au début et à la fin.
Cependant, en encadrant et en clôturant l’exposition avec ce thème, vous n’avez pas peur de laisser une interprétation essentialiste ? Reconduire l’idée de binarité sexuelle ou une association réductrice entre création des femmes et maternité ?
Non, c’est surtout une façon de montrer une nouvelle typologie de maisons qui deviennent corps. Le corps de la femme comme architecture est quelque chose de très puissant, c’est une réalité, et c’est le point de départ de l’exposition. C’est là que les rapports hommes-femmes s’inversent : parce que le corps de la femme peut donner la vie, il devient une architecture. Niki de Saint Phalle l’affirme déjà dans les années 1960-1970. Elle s’est elle-même posé des questions d’architectes et a fini par réaliser cette grande structure en forme de corps féminin avec Hon (1966), dont le corps était aussi un parc d’attraction, dans lequel on pouvait entrer, rester jouer. Ce n’est pas seulement la maternité, l’accouchement ou la souffrance. C’est quelque chose de joyeux, une autre forme de corps-maison-architecture vue par l’artiste.
Il y a également une seconde thématique importante dans l’exposition, celle de la maison comme enfermement, qui se construit en dialectique avec la maison comme refuge. C’est une question particulièrement politique évidemment. Mais lorsque la question de la maison-refuge est abordée, le positionnement politique semble partiellement s’effacer…Non, on ne peut pas faire plus ! Dans toute la première partie on sent bien la domination patriarcale et la volonté de s’exprimer, et le troisième thème « Une chambre à soi » s’ouvre avec la photographie de Zanele Muholi, où l’on ressent bien la pression du climat politique de l’Afrique du sud. C’est un commentaire assez explicite et critique de son pays.
Cependant, souvent on doit choisir d’autres types d’œuvres pour éviter que l’exposition ne soit que politique, que critique. Bien sûr ce sont des questions liées, mais il y a de la place pour toutes les œuvres. Certaines sont plus explicites, d’autres moins.
Lorsqu’on réalise une exposition d’artistes femmes, c’est un engagement politique en soi et j’imagine que l’on se fait régulièrement critiquer…En effet, avec cette exposition, on a été critiqué. Dès qu’on fait une exposition de femmes artistes il y a beaucoup de questions qui se soulèvent, et de la part des artistes femmes également qui peuvent refuser de participer. Pour cette exposition, on n’a pas eu beaucoup de refus cependant, parce que ça fait un moment maintenant qu’on met en avant les travaux des artistes femmes et la qualité de ces travaux. Alors, à nouveau, le choix est féministe, mais pour moi c’est aussi un point de vue, montrer comment certaines artistes répondent aux questions d’aujourd’hui et à travers quel type d’œuvres. Parce que, en effet, nous ne sommes plus dans le même contexte ni avec les mêmes problématiques que dans les années 1970 en Europe. Mais que se passe-t-il en Chine ? Que se passe-t-il en Iran aujourd’hui ? Notre volonté est d’essayer d’élargir la question aux jeunes artistes et aux artiste non-européens, et le fait d’inviter de jeunes artistes permet déjà de répondre à la critique selon laquelle « c’est du passé ».
Ce sont des questions qui se répétaient déjà lors l’exposition Elles@centrepompidou en 2009. C’était la première grande exposition de groupe consacrée aux artistes femmes en France, et depuis il y a moins de critiques et il y a eu de plus en plus d’expositions de groupe consacrées aux femmes artistes partout dans le monde. Je pense par exemple à Wack ! Art and the Feminist Revolution (Moca, Los Angeles, 2007). Ce n’est donc peut-être plus tout à fait une surprise, mais il est toujours important de soutenir les femmes artistes avec un travail institutionnel et d’organiser ces expositions de groupes, parce que la place sur le marché de l’art n’est toujours pas la même alors que les étudiantes sortant des écoles de Beaux-Arts sont toujours plus nombreuses que les étudiants !
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