La Villa Belleville prend le large avec Baptiste César et Yoni Doukhan qui se lancent un pari fou : descendre la Seine à bord d’un radeau composé exclusivement de matériaux récupérés dans les rues de Paris. Une performance technique et artistique, des convictions politiques et l’incarnation d’une vision inédite de l’appropriation de l’espace de circulation dans la capitale. Avec ou sans autorisations administratives, la tentation de se jeter à l’eau est grande…
Nous nous donnons rendez-vous à la Guinguette Pirate, au Théâtre de verdure à Montreuil. L’endroit est fascinant, loin du béton, une petite forêt, des potagers tenus par des associations. La balade du dimanche le long des vieux murs à pêches de Paris s’impose. Elles ont le goût d’un héritage historique à protéger contre le grand Paris menaçant ce petit poumon vert.
Le radeau scie l’espace, les enfants n’ont d’yeux que pour lui, rêvant d’aventures pirates. Le radeau à mi-chemin entre œuvre d’art et objet utilitaire, conserve son caractère brut. Les fioritures sont écartées au profit de la beauté décapée et minimaliste des pièces composant le navire : bidons, pieds de table, mât en alu et des bancs en bois brut rappelant les bancs publics parisiens.
« L’embarcation est d’abord construite à partir d’encombrants récoltés au cours de nos déambulations cartographiées dans la ville (anciens bancs publics, palette géante sur un chantier, barres d’aluminium, bidons en plastique, couvercle de poubelle, objets abandonnés sur la chaussée). Le résultat sera un radeau réalisé à partir de cet upcycling de Paris. »
« Le radeau traversera l’écluse du Temple, le canal souterrain entre République et Bastille puis le port de l’Arsenal, son écluse et enfin le bras Marie de la Seine le long de l’île Saint-Louis et de l’île de la Cité. Le radeau sera équipé de tout le matériel de sécurité requis : gilets de sauvetage, éclairage, radio, cordages, crochets de levage, et de tractage, canot de sauvetage. »
Le radeau fût aussi présenté à l’exposition « How do you know tomorrow has started if there’s no night ? », curatée par Ekaterina Shcherbakova à la Villa Belleville. Les deux artistes organisent un premier crash test au bassin de la Villette en juin avec deux hexakanos : six bidons autour d’une structure en bois en forme d’alvéole présentant un quart de la portance du radeau, sanglés avec une récupération de toile de montgolfière qui a fait ses preuves en termes d’étanchéité. Après vérification de la portance dans l’eau, le projet pouvait continuer, pour donner naissance au radeau.
Au-delà d’une expérience excitante hors du commun, le radeau montre une facette plus politique. Il symbolise l’urgence de s’évader de pays oppresseurs pour des populations malmenées, récupérant tout ce qui peut composer un radeau de fortune, promesse espérée d’un ailleurs plus florissant. La récupération de matériaux aux alentours pour construire l’embarcation est au cœur du projet.
Désacraliser la Seine parisienne, c’est aussi ce que l’on peut lire de cette performance. Administrativement parlant, il est quasi impossible pour l’artiste d’obtenir une autorisation de naviguer sur la Seine. Il révèle un Paris figé dans son histoire, ville-musée par excellence dont sont dépossédés beaucoup de ses habitants. Le radeau serait alors « un morceau de Paris qui se détacherait pour maîtriser les courants du fleuve » réapproprié par son peuple.