Sacred Horror in Design, ou « apocalypse techno perse » selon le festival berlinois CTM (commanditaire de la performance pour l’édition 2017), est la dernière œuvre en date de Sote. La composition électroacoustique (avec Arash Bolouri au santour, Behrouz Pashaei à la setâr et des visuels de Tarik Barri) mélange musique traditionnelle iranienne et musique électronique. C’est à Oslo pour le festival Ultima 2017 que Manifesto XXI a rencontré Ata Ebtekar a.k.a. Sote, musicien, compositeur et créateur du SET festival (Téhéran).
Manifesto XXI : Sacred Horror in Design a été créée pour le CTM 2017. Comment avez-vous abordé le thème « Fear Anger Love » ?
Lors de la création de cette pièce, nous avons pensé à la dimension musicale de ce thème (l’idée d’une colère artistique) et à sa dimension humaine. Cette pièce porte en partie sur l’humanité et ce que les gens font dans la vie au nom du sacré. Que cela soit une guerre, un assassinat, ou bien une vraie bonne action, chacun pense que c’est la bonne chose à faire. Et c’est ce qui se passe dans le monde en ce moment.
J’essaye de rester abstrait avec tous ces concepts, mais la manière dont je les pense contient évidemment aussi ma colère personnelle. Je pense à toutes choses horribles qui se passent dans le monde, dans tous ces différents pays, systèmes politiques, castes et classes sociales. Tous pensent qu’ils font ce qu’il faut au nom du sacré, quelque soit « le sacré ». Personne ne prend vraiment en compte les autres points de vue. Je voulais que la musique représente cela, en quelque sorte.
Comment traduis-tu cela dans la musique ?
Ce concept contient de nombreux contrastes, éléments de contradictions et de paradoxes. J’utilise la musique électronique contemporaine expérimentale d’avant-garde et cette musique traditionnelle iranienne très ancienne, et je les fais fonctionner ensemble en harmonie. Mon objectif était d’arriver à rendre une certaine harmonie entre ces deux mondes. Je ne voulais pas que l’un l’emporte sur l’autre. C’était vraiment très important pour moi qu’ils marchent côte à côte, sans se compromettre. Je ne voulais pas déformer ou déconstruire le système de gammes iranien. Je voulais garder les rythmes, les mélodies, tous les espaces entre les notes d’une manière très traditionnelle, tout en les faisant fonctionner avec les motifs très contemporains de la musique électronique.
Préserver la beauté de la tradition, mais être tolérant et ouvert à la torsion et à la transformation de motifs existants en des formes uniques, qui pourront finalement devenir dans un temps futur une autre forme de folklore (Sote, note d’intention de Sacred Horror in Design)
Il était très important pour moi de travailler avec des motifs. Les motifs jouent de manière générale un rôle très important dans l’art iranien, ainsi que dans ma musique. J’adore les motifs, les motifs polyrythmiques, polymétriques, polytempiques. C’est le cas aussi pour cet album ! J’ai utilisé de nombreuses couches de différents motifs, qui je crois parcourent d’une manière culturelle notre vie de tous les jours.
Comment cela a-t-il fonctionné avec les visuels ?
Lorsque CTM m’a commandé cette œuvre, on m’a suggéré de travailler avec l’artiste visuel Tarik Barri, qui vit à Berlin. On a d’abord échangé par email, puis on s’est rencontrés à Berlin. L’un des exemples que je lui ai donnés conceptuellement était le trafic à Téhéran. C’est complètement dingue, mais si on le regarde du haut, du point de vue d’un hélicoptère ou d’un satellite, on voit tous ces différents motifs.
C’est ce que j’ai remarqué, par exemple, pour le morceau « Sagaah ». Les visuels m’ont rappelé à la fois une mosaïque et un circuit électronique.
Oui, ce sont toutes ces thématiques. Pour moi, l’album parle de l’humanité et de la vie à tous les niveaux. Ce que je voulais, c’est que Tarik travaille avec les motifs iraniens, mais qui aillent au-delà du fait d’être des motifs iraniens. Il s’agit de maths, de géométrie. Tout se relie, depuis le niveau microscopique jusqu’au niveau macroscopique. Manifestement tout ce que l’on fait a des conséquences. L’art, le non-art, la vie, les actions : tout est connecté.
Dans mon art, cela a toujours été certain, il y a des thèmes et des concepts, mais en fin de compte je veux que l’audience se crée ses propres histoires. Je ne veux pas lui dire ce dont il s’agit. Je veux que l’œuvre reste assez ouverte et abstraite pour que tous, venant de pays différents, puissent faire leurs propres interprétations et se connectent à l’œuvre d’une manière qui leur est propre. C’est une des raisons pour lesquelles je travaille rarement avec des mots et des paroles.
Qu’est-ce qui t’a motivé à créer le festival SET à Téhéran (2015) ?
Je suis né en Allemagne, mais j’ai vécu en Iran jusqu’à l’âge de 11, 12 ans. Après la révolution et la guerre entre l’Iran et l’Irak, avec mes parents nous sommes retournés vivre en Allemagne pendant six ans. Puis j’ai déménagé en Californie aux Etats-Unis, où j’ai passé la plupart de ma vie. Il y a environ quatre ans, j’ai décidé de retourner vivre à Téhéran. Un de mes objectifs était alors d’aider à étendre le monde de la musique électronique expérimentale en Iran. J’ai fait la connaissance de jeunes artistes qui venaient de commencer. Le timing était parfait, parce que c’était en train d’émerger à Téhéran, ils faisaient des performances dans des cafés. Nous avons alors discuté avec ces quelques huit ou neuf artistes (des musiciens et artistes visuels). Nous voulions créer un collectif et un festival basé en Iran, offrant une plateforme qui nous permettrait de jouer notre propre musique, mais aussi pour tous ceux qui font des choses similaires à Téhéran et dans d’autres villes d’Iran.
Quelle fut la réception de ces évènements ?
C’était incroyable ! En fait, ce qui est super avec les évènements de SET c’est que jusqu’à maintenant nous continuons à voir de nouveaux visages. Nous savons qu’ils ne sont pas passionnés par la musique électronique expérimentale, mais qu’ils reviennent à chaque fois. C’est vraiment un bon signe ! Pour certains d’entre eux, je sais pertinemment que lorsqu’ils rentrent chez eux ils ne vont même pas écouter ce genre de musique : mais ils veulent faire l’expérience de cette forme d’art.
Comment cela se passe-t-il en Iran pour lancer un tel projet ?
En Iran, on doit obtenir la permission du gouvernement pour faire un événement. On peut faire beaucoup d’évènements underground, mais nous ne voulions pas le faire de cette manière. Nous voulions faire quelque chose qui ait une durée sur le long terme. Le premier de nos évènements annuels fut un grand succès : quatre soirées d’affilée, une réception exceptionnelle et des réactions de gens venant de toutes sortes de milieux. Ensuite, c’était lancé !
Il n’y a donc pas eu de problèmes avec le gouvernement ?
Non, nous avons fait cela selon les règles. Nous sommes allés au ministère de la culture et avons obtenu le permis pour les évènements audiovisuels. Les choses ont changé. Je suis retourné en Iran il y a douze ans de cela pour essayer de faire la même chose. Il n’y avait aucune scène, le gouvernement présidentiel était différent. On me fermait sans arrêt la porte au nez. Mais depuis quatre ans, avec Rohani comme président, il y a des ouvertures, comme s’ils voulaient réellement que ce genre de choses adviennent. Ce qui est super ! On profite de cela. Mais nous sommes très indépendants et essayons d’éviter toute sorte de fonds de la part du gouvernement ou même de sponsors privés.
On essaie absolument de faire marcher ce dialogue entre l’Iran et la scène internationale
Peux-tu nous dire quelques mots sur la collaboration entre le festival SET et le festival CTM ?
La première du CTM 2017 était en fait le fruit d’une collaboration SETxCTM. Lors de cette soirée, trois artistes iraniens ont joué à Berlin. La prochaine étape sera lorsque le CTM viendra en Iran. Nous ferons probablement cela l’année prochaine. Deux artistes européens sont déjà venus jouer en Iran ces deux dernières années. C’est aussi très important pour nous ainsi que pour le festival CTM d’organiser des workshops et des conférences. On essaie absolument de faire marcher ce dialogue entre l’Iran et la scène internationale.