Austra a la puissance non seulement de la musique, mais d’un manifeste politique et esthétique. Dans une quête spirituelle et intellectuelle constante, Austra est une musique immersive qui éveille le corps et, chose plus rare dans une époque où on essaie en permanence de s’évader, l’esprit.
À travers un minimalisme efficace, Austra est une vision globale du monde où politique et art, justice et beauté, engagement et narration se marient dans l’harmonie.
Trouvant ses racines dans l’idée d’un monde meilleur au-delà de l’ici et du maintenant, le projet de Katie Stelmanis est aussi exigeant et simple qu’une utopie.
Future Politics, troisième album du groupe, serait donc une porte ouverte vers une cité idéale, prolongement logique d’Olympia.
Nous avons rencontré Austra quelques mois après la sortie de son nouvel album. Juste quelques mois, pendant lesquels le monde a basculé dans un étrange scénario de nouvelle guerre froide, où les spectres de la dés-harmonie et de l’horreur ressurgissent.
Du retour des fascismes à l’idée d’équilibre, de la spiritualité retrouvée au féminisme en passant par la peur du temps qui passe, conversation avec Katie Stelmanis.
Penses-tu que nous sommes arrivés à la fin de quelque chose ?
Je pense que nous sommes à la fin et au début en même temps. Il est difficile de savoir. J’aimerais croire que cette résurgence des courants les plus à droite en politique soit l’aboutissement de quelque chose. Mais il serait effrayant de se dire que c’est un début.
Crois-tu qu’il y a un lien entre la recherche de la justesse en art et le combat pour plus de justice en politique ?
J’ai écrit ces choses parce que je réagissais à une situation globale de manière très émotive et personnelle. Quand on lit les infos sur Internet, on se demande : « Comment est-il possible que certaines choses existent aujourd’hui ? » C’est très triste, j’écrivais donc des chansons qui venaient d’une perspective très émotionnelle. Donc pour moi, celles-ci sont accessibles universellement, car tout le monde est en train d’expérimenter ces émotions les plus basiques.
Que penses-tu de la situation politique aux États-Unis en ce moment ?
C’est terrifiant. C’est effroyable, il est des fois presqu’insupportable de lire les news. Mais j’imagine que je suis quelqu’un d’optimiste. J’imagine que quelque chose se passera. Peut-être qu’il sera mis en accusation. Ce serait très positif si un vrai mouvement anti-Trump voyait le jour, une émergence de la face cachée de la médaille, quelque chose qui deviendrait plus puissant que Trump lui-même.
J’ai l’impression que dans ta musique tu poursuis une sorte d’harmonie spirituelle, ce qui est profondément lié à des problématiques sociales majeures, je pense. Pourquoi donc ce mot, « harmonie », est-il important pour toi ?
C’est intéressant parce que je ne sais pas si nous parlons du même type d’harmonie. Quand je pense dans une perspective musicale, ce mot est assez évident car l’harmonie musicale est fondamentale dans ce que je fais. Je viens d’une formation de choriste, c’est aussi pour cela que l’harmonie est si importante dans ma musique.
Je ne suis pas capable de communiquer ce que je veux s’il n’y a pas un équilibre entre les gens et la musique. Les gens sont incapables de ressentir ce que tu essaies d’exprimer s’ils ne peuvent pas rentrer dans la musique : c’est comme cela que je crée de l’harmonie.
Je suppose que quand on pense au concept de politique, il faut voir comment la politique et le peuple interagissent. La situation politique a un impact sur les gens partout dans le monde, donc je suppose qu’il est nécessaire qu’il y ait partout de l’harmonie.
Est-ce que tu penses que nous vivons dans un monde où les femmes peuvent s’exprimer librement ?
Non. Je ne pense pas, malheureusement. Je pense qu’elles peuvent peut-être s’exprimer, mais qu’il n’y a pas assez de plateformes disponibles. Donc il est très difficile d’être prises au sérieux, d’être considérées comme des génies : c’est plus difficile dans le travail. Pour toutes ces raisons, l’histoire s’est toujours écrite au masculin et non pas au féminin.
La spiritualité est-elle importante pour toi, dans la musique que tu composes ?
Pour tout avouer, quand je composais cet album j’ai découvert cette religion appelée « nouveau panthéisme », qui croit qu’il n’y a pas assez d’éléments qui prouvent l’existence de l’au-delà et que donc, ce qu’il faudrait vraiment célébrer, c’est la Terre. Je me retrouve complètement là-dedans, c’est une invitation à découvrir la majesté et la magie de notre planète. Beaucoup de personnes très religieuses pensent que l’au-delà est plus important de la vie sur Terre. Ce raisonnement justifie la destruction de l’environnement et ce genre de problèmes. Donc oui, si j’ai une spiritualité, elle est totalement liée à la Terre.
Il est vrai que dans tes chansons il y a souvent des éléments mythologiques ou magiques. Même le nom Austra vient de la mythologie. Quel est ton point de vue sur la question ?
Je pense que c’est simplement quelque chose qui m’a toujours fascinée. C’est plus amusant et intéressant de chanter des histoires de mondes imaginaires, de fantaisie. En fait le nom Austra est juste mon deuxième prénom. Ensuite j’ai en effet trouvé que c’était le nom de la déesse de la lumière dans la mythologie lettone.
J’étais à l’un de tes concerts, il y a environ quatre ans à Rennes, c’était un petit truc convivial. Mais l’atmosphère était vraiment mystique, comme s’il y avait une sorte d’énergie collective. J’ai ressenti une catharsis. Pourquoi est-il important pour toi de créer ce type de vibrations ?
Absolument, oui. C’est une grande partie de notre live, générer cette catharsis collective. Je pense qu’une partie de la chose vient du fait qu’on est queer. Je parle de ça parce que nous tenons énormément à créer un environnement confortable pour les gens, un lieu où ils peuvent être queer et habillés n’importe comment tout en étant eux-mêmes… oui, je dirais que c’est une volonté de faire plaisir au public.
Une chanteuse m’a dit récemment une chose qui m’a fait réfléchir. Elle m’a dit que quand tu approches les trente ans, tu deviens moins têtu, plus calme dans tes revendications et dans ton processus de composition. Est-ce que tu ressens la même chose ?
Eh bien je ressens exactement l’opposé. Devenir adulte c’est être plus en harmonie avec soi-même, ce qui est très important. Je ne me sens pas moins têtue. Je me sens plus sûre, je me sens capable de dire non. Je deviens plus vieille et plus critique, une personne plus consciente. Selon une certaine vision des choses, l’âge d’or d’une femme est autour des 20 ou 21 ans, parce que tu es jeune et belle. Et après tu vieillis. Et les femmes deviendraient moins utiles au fur et à mesure qu’elles vieillissent. C’est une contradiction étrange, tu deviens plus petit alors que tu deviens plus grand en parallèle. La vérité est que tu deviens plus puissante. C’est une relation intéressante.
As-tu peur de vieillir ?
Euh… je ne dirais pas que je ne suis pas effrayée. J’avoue, ça m’inquiète un peu de devenir vieille. Mais ça a toujours été le cas : quand j’ai eu 21 ans, j’étais genre dévastée. Ça a toujours été très sérieux pour moi.