« J’apprends », voici les quelques modestes lettres présentant le tatoueur sur sa page Facebook. All Cats Are Grey figure parmi la jeune génération talentueuse et prometteuse du tatouage français. De la peinture européenne à son penchant pour l’univers punk rock, ses planches de tatouages nous plongent dans un univers singulier entre modernité graphique et tradition. L’aiguille française a un bel avenir devant elle… Rencontre avec Vincent alias All Cats Are Grey.
Manifesto XXI – Tu tatoues des nus féminins à la manière de la fameuse pin-up des 50s, mais tes femmes semblent mélancoliques et méditerranéennes, leur position allongée faisant parfois écho à des tableaux mythiques comme l’Olympia de Manet par exemple. Un homme assis à une table de café que tu as tatoué peut rappeler ces peintures impressionnistes représentant la vie des cafés parisiens : un goût marqué pour la peinture européenne avec une touche punk rock ? Comment te positionnes-tu entre tradition et modernité ?
Mon influence principale est clairement la peinture européenne, voire française. Je parle encore et toujours de Félix Vallotton, mais c’est réellement l’artiste qui m’a le plus inspiré. Que ce soit pour les nus de femmes, les paysages ou sa manière de traiter le noir, le cadre, etc.
Viennent ensuite, comme tu l’as cité, les peintures impressionnistes et cette mélancolie qui s’en dégage, le japonisme/l’orientalisme pour les thèmes et le traité. Man Ray et Edward Weston aussi, leurs univers sont incroyables et je m’y réfère souvent.
Pour ce qui est de « l’univers punk rock », on va dire que j’ai écouté du punk et du hardcore dès mes 15 ans, j’en écoute encore pas mal aujourd’hui. Je pense que ce côté « noir et mélancolique » vient autant de Slowdive que de Jawbreaker et tous ces groupes que j’écoute à longueur de journée, notamment pendant que je dessine.
Je suis aussi très influencé par le tatouage européen du début XXe, voire même français des années 30 si je veux être encore plus précis. Chaque motif possède une puissance émotionnelle incroyable.
Manifesto XXI – Quelle évolution observes-tu dans ton esthétique ?
Techniquement, je tatoue avec des aiguilles de plus en plus fines. J’essaie de tendre vers une balance parfaite entre noirs et blancs et des motifs plus épurés. Constater l’évolution de mes tatouages lorsque ceux-ci étaient cicatrisés depuis un petit moment m’a permis de voir ce qui clochait et de trouver des manières de m’améliorer.
Manifesto XXI – Tu bouges pas mal dans le cadre de ton métier, c’est le cas pour beaucoup de tatoueurs. Quel lien ferais-tu entre tatouage et voyage ?
Voyager permet de rencontrer beaucoup de personnes, dans des villes où je n’ai jamais mis les pieds. J’ai un jour dit à des amis avec qui je jouais et avais tourné que c’était un peu comme une tournée justement : tu pars et tu rencontres des gens géniaux, tu vis des choses cool bien loin de ta « routine ».
Le fait de le faire seul facilite aussi beaucoup les choses. À cinq dans un van ou une voiture pendant des heures, pendant plusieurs jours voire semaines, il y a forcément un moment où tu as envie d’égorger quelqu’un.
Manifesto XXI – Quelle formation as-tu fait pour devenir tatoueur ? Peux-tu nous raconter ton parcours ?
Je fais partie de cette nouvelle génération d’arrivistes qui n’aurait pas pu exister il y a encore dix ans. Je me suis formé seul, avec l’aide précieuse de quelques bons tatoueurs ici et là et j’ai ensuite eu la chance de rencontrer les bonnes personnes.
Ma copine, après m’avoir poussé à redessiner, m’a acheté une machine et j’ai commencé à tatouer des connaissances. Quand je me suis rendu compte qu’à raison d’un tatouage tous les quinze jours je n’arriverai à rien, je m’y suis mis bien plus rigoureusement. J’ai ensuite rencontré Julien, Tony et Paolo, et on a ensuite ouvert Biribi, à Lyon.
Manifesto XXI – Quel était le tout premier motif que tu as réalisé ?
Un poulpe dégueulasse sur tout l’avant-bras d’un pote. Mais il s’était infligé pire seul, du coup il était assez content au final. Je ne sais pas ce qu’il en pense aujourd’hui cependant.
Manifesto XXI – Tu as réalisé l’illustration d’un EP de Grand Blanc, comment s’est faite cette collaboration ? Quels liens fais-tu entre vos deux univers ?
J’ai rencontré Benoît via des amis en commun. Il voulait d’abord que je le tatoue, ça ne s’est pas fait au final. Il m’a ensuite recontacté pour la pochette de leur EP.
Pour faire le lien et trouver des similitudes, je pense qu’il faut simplement écouter les nappes de guitare et de synthé. Par contre je ne cautionne pas les cœurs faits avec les mains lors de leurs prestations live. Mais ça n’engage que moi !
Manifesto XXI – Quelle musique au tattoo shop ? The Cure en boucle ?
À Biribi, je pense que c’est majoritairement les Smiths, Pavement, Darklands de The Jesus and Mary Chain. J’ai aussi une playlist avec des groupes de power pop/pop punk superbes mais les gars me disent qu’ils ont l’impression d’entendre Blink 182. C’est navrant.