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« 2021 sera lesbien » : à la Marche lesbienne de Paris

« 2021 sera lesbien » : à la Marche lesbienne de Paris

Dimanche 25 avril, sous un beau soleil printanier, se tenait dans les rues de Paris un événement très attendu : 40 ans après la première manifestation lesbienne française, une marche dédiée était à nouveau organisée. Plongée au cœur d’un joyeux cortège politique.

Ce n’était pas la première Dyke March de France, mais ce n’est sûrement pas la dernière ! Plus de 10 000 personnes ont défilé cet après-midi-là selon les organisatrices (4 500 selon les policiers), aux côtés de personnalités publiques engagées dans la lutte féministe et queer. Des rassemblements étaient aussi organisés à Toulouse, Lyon et Bordeaux : la veille de la journée pour la visibilité lesbienne, les manifestant·es ont crée un véritable raz-de-marée queer aux revendications politiques fortes. 

« La PMA pour toutes », mot d’ordre du cortège

En se baladant dans le centre de la capitale dimanche midi, on sentait dans l’air qu’un événement queer se préparait doucement : grappes de personnes aux cheveux de toutes les couleurs, musique ball room diffusée via des enceintes portatives, looks à la hauteur des plus grands défilés de la Fashion week… Il suffisait de se rapprocher de la place du Châtelet aux alentours de 13h30 pour voir se former peu à peu un rassemblement massif de personnes répondant à l’invitation des Collages Lesbiens, organisatrices de la Marche. 

Je ne suis pas encore en âge de vouloir des enfants. Mais je sais qu’un jour j’en aurai envie et j’ai envie, à ce moment-là, de pouvoir décider de faire une PMA avec ma copine comme les couples hétérosexuels.

Clara, 20 ans
© Luki Fair

Via un appel diffusé sur les réseaux sociaux, le collectif appelait à la formation de la Marche Lesbienne avec comme revendications première « La PMA anonyme par défaut, gratuite et remboursée pour toutes, sans conditions ». Un appel éminemment politique donc et une revendication pressante, comme elles l’expliquent : « Au vu du calendrier politique et de nos revendications liées à la PMA on ne pouvait pas attendre le mois des Fiertés. Par ailleurs même si nous, lesbiennes, partageons des revendications avec le reste de la communauté LGBTI, sur la question trans et la question de l’adoption pour les couples de même sexe, certaines oppressions vécues par les lesbiennes nous sont quand même propres et spécifiques. Notamment parce que nous pouvons être à l’intersection d’oppressions racistes, transphobes, sexistes, validistes, classistes. Il nous semblait important d’avoir un espace pour nos luttes, spécifiques à nos luttes lesbiennes. » Des revendications politiques fortes à un moment où le projet de loi pour la PMA pour toutes a été rejeté au Sénat le mois dernier. 

Ces attentes sont également formulées par plusieurs participant·es pendant la Marche, comme Clara, 20 ans, venue avec sa copine Mélissa : « Je ne suis pas encore en âge de vouloir des enfants. Mais je sais qu’un jour j’en aurai envie et j’ai envie, à ce moment-là, de pouvoir décider de faire une PMA avec ma copine comme les couples hétérosexuels. »

© Luki Fair

Dans le rassemblement, les allié·es gays et hétérosexuels étaient « les bienvenu·es ». Les organisatrices nous confient ainsi : « Le sujet de la PMA pour toutes n’a pas été assez porté lors des débats autour du Mariage pour tous. Il nous semblait important que notre cortège soit ouvert aux autres associations LGBTI et aux allié·es, que notre poids politique soit le plus important possible. » Et les allié·es ont répondu à l’appel ! C’est le cas du collectif gay « Fags For Dyke » qui publie deux jours avant la marche un communiqué de soutien aux gouines, Marche Lesbienne les PD soutiennent. Une union des forces accueillie majoritairement avec joie par les lesbiennes, même si, pour Clara : « Les allié·es ne doivent pas prendre toute la place et laisser les lesbiennes s’exprimer ! »

La lutte lesbienne est loin d’être terminée.

Collages lesbiens

Emmenés par la Lesbo Mobile et la tête de cortège en non-mixité des lesbiennes racisées, les différents cortèges – handi, trans féministes, des lesbiennes venues seules – se rejoignent peu à peu et prennent la route ensemble à 15h, direction place de la République.

© Luki Fair
L’urgence d’une plus grande visibilité

Au fil du temps, le cortège coloré grossi pour bientôt ressembler à une soirée club kid militante, entre revendications scandées aux microphones, groupe de batucada et mini sound-systems improvisés. De quoi redonner le sourire à Adé, personne lesbienne queer et trans, rayonnante dans sa robe noire, assortie d’une pancarte « Dyke Power » : « Ça me fait plaisir de voir autant de belles personnes dans la rue. Ça me donne beaucoup d’espoir et d’amour. Et l’amour, on en a besoin en ce moment ! »

Autant de lesbiennes et de femmes queer au même endroit ferait presque oublier que cette représentation est loin d’être la norme. En effet, pour les organisatrices de la Marche, la visibilité reste une nécessité : « La lutte lesbienne est loin d’être terminée. On est encore invisibilisées, marginalisées. Nos revendications sont loins d’être écoutées. Nos existences sont effacées de l’histoire, ou on retient des fallacieuses “amitiés très fortes”. Nous sommes effacées du paysage politique et pendant très longtemps le stars et sportives lesbiennes se comptaient sur les doigts d’une main. Les lesbiennes racisées, trans et handicapées sont doublement invisibilisées.» Même si des progrès récents sont appréciables, les membres des Collages lesbiens soulignent que le chemin reste long pour que cette visibilité soit acceptée : « Récemment, l’espace public semble un peu plus accueillant pour les lesbiennes mais c’est seulement un peu parce que Hoshi est nominée aux Victoires de la musique mais harcelée. Fatima Daas publie son premier roman, elle est invitée à faire sa promotion mais la nuance de sa parole n’est pas entendue, effacée derrière une polémique islamophobe. »

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Ce rassemblement est très différent de mon quotidien. Ici, je suis avec des personnes qui comprennent ce que je vis et ça me fait beaucoup de bien.

Nahël, 14 ans
© Luki Fair

Probablement conscientes de cette lutte contre l’invisibilisation des lesbiennes, les rares figures publiques out gouines étaient au rendez-vous. Si on était assez chanceuse, il était possible de faire dédicacer son exemplaire du Génie Lesbien par Alice Coffin, de parler de female gaze avec Céline Sciamma et Adèle Haenel ou de faire des blagues avec Tahnee L’Autre. Une occasion de reprendre de la force pour Nahël, 14 ans, une des personnes les plus jeunes croisées dans le cortège de la marche et qui défile aux côtés de l’actrice de la Jeune fille en Feu : « Je ne suis pas censée être là, je ne l’ai pas dit à mes parents, j’ai même carrément menti. Il ne comprennent pas tout ça, la culture queer, mon lesbianisme. J’ai besoin d’afficher que je ne suis pas d’accord avec eux et c’était l’occasion ! Ce rassemblement est très différent de mon quotidien. Ici, je suis avec des personnes qui comprennent ce que je vis et ça me fait beaucoup de bien. Je suis également très contente de voir des personnalités publiques lesbiennes défiler avec nous ! Adèle Haenel a joué dans beaucoup de films qui parlent de la question lesbienne et que je regarde, auxquels je m’identifie. Marcher à côté d’elle aujourd’hui ça me donne beaucoup de force. »

© Luki Fair

« So-so-solidarité avec les gouines du monde entier »

Il est 16h et la foule remonte le boulevard Sébastopol dans le calme. Les manifestant·es avaient des raisons d’appréhender ce défilé dans la capitale. En effet, en plus du climat homophobe ambiant, les lesbiennes lyonnaises ont été menacées la veille par des militants d’extrême droite qui ont tenté d’empêcher la marche. En amont de la manifestation parisienne, les colleuses organisatrices nous le rappelaient encore une fois : « En général, on continue, nous les lesbiennes, d’être violentées dans toutes les sphères de nos vies (santé, emploi, espace public). On continue de lutter pour nos droits d’une part, et aussi contre la montée du fascisme de ces dernières années. » 

Le cortège rejoint la Place de la République à 17h. Entre le soulagement de n’avoir pas croisé son ex et l’euphorie liée à la lutte commune, les lesbiennes et allié·es se sont dispersés assez vite sur une place déjà encombrée par deux autres rassemblements. D’ici la prochaine n’oublions pas ce que disait l’écrivaine militante et lesbienne Monique Wittig : « Il est fini le temps où nous demandions aux hommes – fût-ce des militants révolutionnaires – la permission de nous révolter. »

© Luki Fair
© Luki Fair

Image à la Une : © Luki Fair

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