Témoignages #metooartcontemporain

Le 26 juin 2024, nous avons publié une tribune d’artistes et travailleur·ses de l’art et de la culture appelant à un #MeToo de l’art contemporain, accompagnée de 30 premiers témoignages. Nous en publions ici davantage.

Si vous êtes concerné·es et souhaitez contribuer, merci de nous envoyer votre témoignage via ce formulaire.

TW : Nous vous informons que les témoignages contiennent des violences à caractère sexiste, sexuel, raciste, homophobe, transphobe, validiste…

31. J’ai 37 ans, je suis blanche et je fais remarquer à une collègue universitaire, blanche elle aussi, qu’il n’y a que des personnes blanches et hétéros dans les événements qu’elle organise. Un peu plus tard dans l’année, elle me demande de ne pas venir à un de ces événements et me dit qu’elle bloquera mon inscription parce qu’elle ne veut pas que « ces questions soient posées » et qu’elle juge mes propos « violents » et « menaçants ».

32. J’ai 23 ans, je cherche du travail. Le directeur des Beaux-Arts, avec qui j’ai déjà travaillé, me fait miroiter un poste sur-mesure de rédaction de textes sur les étudiant·es et jeunes diplômé·es. Il m’invite dans un restaurant étoilé. Je m’y rends, je me rends compte que c’est uniquement pour me draguer. Il me propose une partouze. Je décline. Le poste n’a jamais été créé et il ne m’a pas embauchée. Les années suivantes, il a fait semblant de ne pas me connaître. 

33. J’ai 36 ans, je suis sélectionnée pour une résidence d’un mois dans un domaine de plusieurs hectares. Les premières semaines, nous ne sommes que deux résidentes, le directeur d’environ soixante ans vit sur place ainsi que sa seule et unique employée chargée de toute la gestion du centre. Il se présente à nous, chemise à demi ouverte, et nous demande rapidement une visite de nos ateliers respectifs. Nous travaillons dans une ancienne et très grande grange. Nos ateliers sont assez éloignés l’un de l’autre, le mien est au rez-de-chaussée, celui de l’autre résidente est à l’étage. Lorsqu’il passe me voir, le directeur interrompt soudainement notre conversation pour me demander de venir m’allonger dehors dans l’herbe mouillée pour regarder les nuages. Il n’y a personne autour de nous. Crispée, je m’exécute en m’asseyant à bonne distance de lui. Il continue à me parler puis me demande pourquoi je ne m’allonge pas. Je lui réponds que je n’ai pas envie de m’allonger. Il conclut la conversion en me disant que mon travail le touche, que je le touche, et s’en va visiter la seconde résidente. Il nous reste alors 20 jours à passer sur place, dans une petite commune isolée à 20 minutes en voiture de la ville la plus proche. Nous ne conduisons pas, et il n’y a pratiquement pas de transports en commun. 

34. J’ai 44 ans, un « collègue » du monde de l’art vient à la table d’un bar où j’étais posée avec des amies. Il tient sa bière et coupe notre conversation. Il revient sur un atelier que j’ai donné au musée pour lequel je travaille. Il dit : « Au début je t’ai pas trouvé trop baisante mais après ton intervention était super bien ! »

35. Je participe à un jury d’évaluation en école d’art. Un collègue dit à l’étudiante racisée face au jury : « Ah c’est du travail d’arabe ! »

36. Étudiante dans une prépa littéraire option art, nous faisons un exercice pratique de dessin à l’air libre. Je travaille sur un grand format et le prof, un vieux mec qui nous montrait par ailleurs les photos de sa femme nue en cours (ses « œuvres d’art »), prend des photos de moi. Il m’en offre quelques-unes plus tard, le motif central de tous ses cadrages est mon cul.

37. Étudiante aux Beaux-Arts, ma pratique parle de la violence dont j’ai été témoin dans mon pays natal. Plusieurs professeurs hommes me disent que mes sujets ne sont pas artistiques. L’un d’entre eux me dit même que mes œuvres ressemblent à plein d’autres pièces qu’il a vues récemment chez d’autres « jeunes filles ». Au bout de plusieurs années à entendre que mes sujets ne correspondent soi-disant pas à l’art, il m’arrive de faire des crises de panique devant ces professeurs.

38. Je suis embauchée en CDD dans une école d’art, seulement deux semaines avant la rentrée. Je suis la seule prof femme et racisée. Le premier jour, aucune orientation. Je me retrouve à travailler avec deux collègues (deux hommes cis blancs, titulaires) qui se détestent et ne se parlent pas (et qui plus tard dans l’année s’envoient des mails d’insultes avec nous toustes en copie). On doit gérer une affaire de viol entre deux étudiant·es et appliquer le protocole de la direction et de la cellule d’écoute. Mes collègues s’indignent du fait que la personne accusée de viol soit mise à l’écart et empêchée de revenir sur le site de l’école. Ils sabotent tout le protocole et ne partagent pas la même angoisse pour celle qui accuse (qui finira d’ailleurs par ne plus se rendre à l’école). Les absences de mes collègues hommes se multiplient, je dois prendre la direction du groupe de travail. Je comprends qu’on m’a mise dans le pire groupe de travail auquel personne d’autre ne voulait participer. Groupe de travail qui donne droit à une prime pour les titulaires, mais pas pour les CDD, donc je suis payée moins que mes collègues alors qu’il me faut tout gérer. 

39. J’obtiens un poste aux Beaux-Arts en 2013, certain·es de mes collègues font des remarques homophobes à mon égard dès mon arrivée. J’apprends très vite que dans cette école, durant les concours d’entrée, on note de 1 à 10 les « atouts physiques » des candidat·es, que des enseignant·es couchent avec leurs étudiant·es, qu’on invite une strippeuse pour célébrer l’obtention des diplômes… J’intègre une commission « discriminations » d’une association d’écoles d’art. Quelques années plus tard, le directeur de cette association est accusé par des étudiant·es de comportements inappropriés, de harcèlement sous l’emprise de l’alcool. Deux viols seront révélés par des étudiant·es, également sous l’emprise de substances. Des comportements racistes, sexistes et des abus de pouvoir de la part des enseignant·es sont enfin divulgués via les réseaux sociaux. Je dénonce également des attitudes délétères, je ne laisse rien passer, on me traite alors de « feminazi » (sic). Je suis élue référente « discriminations » par l’équipe enseignante. Nouvelle direction : je suis rapidement mise à l’écart. L’administration me retire de façon autoritaire de mes fonctions de référente. Je ne survis pas à ce backlash. En arrêt longue maladie depuis ce jour.

40. Assistante de galerie à 25 ans, mon patron apprend à côté de moi qu’une des artistes que nous représentons depuis des années est enceinte. « Sa carrière est foutue » lance-t-il froidement. Galeriste à 39 ans, on me demande souvent depuis combien de temps je travaille pour la galerie que j’ai moi-même fondée, et pour l’homme qui est en fait mon associé.

41. Avec des ami·es, nous apprenons qu’un artiste qui fréquente les mêmes lieux et appartient au même milieu socio-professionnel, est accusé de viol et d’agressions sexuelles par plusieurs personnes. Ce n’est pas la première fois que cela se produit dans notre réseau, nous n’avons pas toujours su agir. Cette fois, nous choisissons d’en parler aux personnes et aux galeries qui travaillent avec lui. Les réactions sont multiples : de l’expression d’un agacement d’avoir à considérer cette information, jusqu’à des pressions et la mise en place d’un processus de silenciation. À ce jour pourtant, cet artiste n’a jamais autant été exposé. C’est par ailleurs toujours la « violence » de nos actions qui est évoquée, la situation « difficile » dans laquelle nous mettons cet artiste. Les victimes et la mise en place d’un protocole pour prévenir d’éventuelles agressions sexuelles et sexistes dans nos espaces ne sont jamais évoqués comme une priorité. 

42. Je suis enseignante vacataire dans une école d’art ; le conseiller artistique souhaite inviter « des femmes » car il trouve qu’on n’en invite pas assez, et nous fait la morale dans un monologue digne des meilleures mecsplications. Je fais donc vaillamment une liste « de femmes » : des peintres, des sculptrices, des performeuses, des dessinatrices, des artistes multimédia, vidéo, son, des artistes émergentes, en milieu de carrière ou plus âgées. Il dit qu’il n’en connaît aucune. Il préfère inviter un artiste de sa génération, ultra-connu (notamment pour ses sorties misogynes). Je tape un scandale pendant la réunion pédagogique en disant que si on ne connaît pas, on se renseigne, que google est fait pour cela. En sortant de la réunion, il me coince dans un couloir et me saisit l’épaule en me disant : « Tu sais, les choses changent vite à l’école. Aujourd’hui tu es là, et demain… » Je lui demande s’il me menace (étant donné la précarité de mon poste), il me lâche l’épaule en m’assurant que non. Je lui dis que tant mieux, j’avais vraiment peur que ce soit une menace, que je suis pleinement rassurée (c’est faux). Je fais comme si de rien n’était tout le reste de l’après-midi mais je tremble comme une feuille. 

43. J’enseigne pendant neuf ans dans une école d’art territoriale, avant d’avoir un enfant. On me demande de repostuler à mon poste après mon congé maternité ; je repasse un entretien d’embauche passablement humiliant, où l’on me qualifie d’ »ancienne intervenante », on m’interroge sur mes « motivations », et si ma « nouvelle vie » me permettra de reprendre mon travail. Je n’obtiens pas le poste, et je reçois quelques jours plus tard une lettre crachée par l’ordinateur de la communauté d’agglomération qui me souhaite bon courage pour la suite de mes recherches d’emploi. La directrice de l’école, qui au téléphone m’a expliqué que la situation était meilleure pour moi comme cela, car je trouverais très vite un nouvel emploi, s’est depuis autoproclamée féministe, et a l’air d’y croire. 

44. J’assiste à un bilan d’une étudiante dans une école d’art nationale. Elle travaille avec des nains de jardin. Un enseignant homme cis het blanc, critique d’art réputé, lui demande : « Mais les nains, on sait pourquoi c’est un fantasme pour les femmes !! Hein ? » L’étudiante rougit, personne ne comprend. « C’est une question de proportion, hahah. »

45. Un artiste d’un duo me propose d’exposer avec lui lors de la Fiac. J’ai un souci avec mon ordinateur, il me propose de monter ma vidéo chez lui. Je bosse une nuit dessus chez lui (il n’était pas là), le lendemain nous exposons et je n’ai pas le temps de prendre mon export en haute définition. Trois jours après, je vais chez lui avec un disque dur pour récupérer ma vidéo, il me demande de le sucer en échange… Je refuse, il ne veut pas me donner mon fichier et me redemande, puis je re-refuse et je pars. Le lendemain, choquée, je demande de l’aide à la commissaire de l’expo, elle me confie qu’il y a des suspicions de viols autour de lui, puis me recontacte deux heures après pour me demander de ne pas révéler qu’elle m’a parlé… Ce mec a toujours mon œuvre.

46. Je suis enseignante en école d’art ; j’apprends qu’une étudiante a été violée par le directeur d’une structure culturelle. J’en informe ma direction pour faire un signalement au procureur. Le directeur me dit que cela lui prend trop de temps.

47. Je suis enseignante en école d’art. Une étudiante signale le fait qu’elle a été agressée par un autre élève de l’école. Lors d’une réunion d’équipe où nous évoquons ceci, un professeur dit que « selon ses informations », elle aurait « un comportement de grosse salope ». La directrice nous dit également que l’étudiante « n’est pas très agréable » et que d’ailleurs, elle n’a pas l’air d’aller mal. Et aussi que les faits se sont déroulés en dehors de l’école. Tout le monde n’est pas outré, c’est ça qui me frappe le plus. Les professeur·es les plus scandalisé·es sont traité·es d’hystériques par la directrice.

48. J’ai 33 ans à l’époque, j’ai été sélectionné·e pour une résidence artistique, à Amsterdam, dans une institution connue pour mettre en avant une certaine diversité (lol) – mon dossier de candidature est transparent quant à ma surdité, entre autres. Un rendez-vous est organisé sur place pour en quelque sorte prouver de la bonne foi de ladite institution, selon leurs dires, de s’engager dans le process d’un accompagnement équitable pour moi du fait de mes vulnérabilités lors de ma résidence future, je rencontre les équipes, on me fait visiter les lieux, je passe même une soirée avec la directrice, sur les quais, on me met des étoiles plein les yeux, on me vend du rêve. Un budget à ce propos, la surdité devenant handicap, sera mis en place, me dit-on, ils sont ravis et motivés de pouvoir m’accueillir. Et j’attends, un an, voire deux, pour m’apercevoir que mon nom a été effacé de leur site internet, de la liste des résident·es, la promesse du budget disparaît, je suis contraint·e de disparaître, à mon tour, sans pouvoir crier gare, ni faire réellement pression. On me paye une somme symbolique pour le travail engagé depuis, j’essaie d’alerter mes jadis collègues résident·es pour une quelconque solidarité, rien n’y fait, c’est fini, je dois véritablement m’effacer. Réputation de l’institution sauvée, ouf, abus de pouvoir en toute impunité, yes, les privilèges conservés, mon passage, pioufff parti en fumée. Merci, au revoir, garde la pêche.

49. Je suis stagiaire dans une maison de vente aux enchères. Le crieur ne cesse de m’asticoter pendant les ventes, entre vannes lourdes et piques humiliantes. Au cours d’une vente prestigieuse, après le passage de l’équipe télé qui fait un sujet dessus, il me verse sans sommation une bouteille d’eau dessus. J’ai les vêtements qui collent, c’est horriblement gênant car je dois continuer à assurer les enchères fixes depuis la table jusqu’à la fin de la vente. Personne ne réagit. On me dit ensuite : « Tu sais, M., il est comme ça… »

50. Je suis étudiante en histoire de l’art. Un maître de conf d’histoire de l’art contemporain essaie d’avoir une relation sexuelle avec moi. J’arrive à résister, il en aura avec d’autres, dans les toilettes de la fac ! 

51. Un artiste plus âgé que moi m’a donné rendez-vous pour dîner. J’arrive au restaurant. Il me dit qu’il n’est pas prêt, que je peux monter deux minutes dans sa chambre. Comme il est sympa, je monte sans arrière pensée. Il ouvre la porte, il est entièrement nu et commence à onduler devant moi. Je lui dis que je ne veux pas, que je suis juste venue le voir pour dîner. Il me dit que ce n’est pas la peine d’aller dîner.

52. Durant ma première année aux Beaux-Arts, un de mes professeurs me disait que je faisais de « l’art de femme » (car je parlais de mon intimité). Il me montrait du porno en cours, me parlait de sexe, et durant les rendez-vous solo, il me disait que j’étais drôle, que je devrais être comédienne, et on ne parlait jamais vraiment de mon travail. À chaque fois, il me disait « top ton travail, continue comme ça », mais il m’enlevait mes crédits. J’avais 18 ans, il m’a incitée à mettre « une photo de ma chatte en gros plan comme Valie Export » dans mon dossier, j’ai refusé et il m’a fait redoubler pour « manque de maturité ». Ça a totalement détruit mon image des Beaux-Arts et de l’art.

53. J’ai 32 ans, je suis co-commissaire dans un centre d’art. L’autre commissaire a 52 ans, lors d’une soirée il me dit « tu sais très bien que nous allons coucher ensemble ». Je ne réponds pas à ses avances. Le lendemain du vernissage, il me convoque dans son bureau et m’annonce que j’ai été sa pire expérience de travail. Je mets des années à m’en remettre.

54. J’ai 42 ans, je viens d’être nommée comme théoricienne dans une école d’art. La direction me demande d’accompagner un voyage d’étude à l’étranger car il n’y a que des enseignants hommes. Ils oublient systématiquement de me convier aux réunions préparatoires et les étudiantxs découvrent que je pars avec elleux le jour où on me demande de récolter les CNI et les passeports. Je suis bien sûr chargée de la régie et de la comptabilité. Le dernier soir du séjour, les étudiantxs font une restitution. Nous quittons l’espace de la restitution pour boire un dernier verre en ville. Je discute avec un groupe de personnes et je rejoins ensuite deux de mes collègues. L’un deux semble vraiment saoul. Il tangue et a du mal à parler. Brusquement il s’avance et pose ses deux mains sur mes seins. Je le repousse en rougissant. Il recommence. Je le repousse un peu plus vivement. Au moment où il s’apprête à le faire pour la troisième fois, le second collègue l’attrape et annonce qu’il va aller le coucher. Je suis humiliée mais reconnaissante d’avoir été aidée. Un an plus tard, quand je témoigne officiellement contre cet enseignant (car nous avons appris depuis qu’il agressait aussi les étudiantes), j’appelle mon collègue « sauveur ». Il me dit qu’il n’a jamais rien vu de tel, qu’il aurait d’ailleurs été absolument choqué d’assister à un tel comportement, qu’il apprécie X et qu’il continuera à le voir malgré tout ce « qu’on raconte sur lui ».

55. J’ai 30 ans, je viens de soutenir ma thèse en art. Je reçois une invitation pour aller faire un workshop en Chine ainsi que mon directeur de thèse. Aucun signe ne pouvait me faire douter d’une quelconque intention déplacée à mon égard, il travaillait avec sa compagne dans un même master et j’étais sous leur direction de thèse qui s’était bien passée. Arrivée dans l’avion, il met sa main sur ma poitrine et ne me lâche pas. J’ai su que ma carrière était finie à l’université dans laquelle je travaillais depuis six ans et dans laquelle je m’étais investie sans compter, et où il avait du pouvoir.

56. Je suis libraire dans une grande librairie, j’ai invité un photographe très connu à signer son dernier livre. Il a 91 ans et se déplace en fauteuil avec ses assistant·es. Je l’installe dans l’espace réservé pour la signature, il me parle tout doucement pour que je m’approche de lui, il en profite pour m’agripper un sein. Je recule vivement, il se marre. Il me demande de revenir près de lui, il me dit que j’ai des beaux gros nichons, qu’il aime ça. Je lui réponds que je suis enceinte, de me laisser tranquille, personne ne réagit autour de nous. Il commence un discours sur mon prénom, comme quoi les filles prénommées comme moi ont des beaux gros nichons, ses fans l’écoutent… Je cherche le soutien de ma direction, on me répond que j’aurais dû m’y attendre, qu’il « est connu pour mettre des mains au cul », « qu’il aime le conflit », que c’est même pour cela que son travail est exceptionnel.

57. Je suis étudiante en école d’art en outre-mer. Le prof me fait des compliments sur mon travail alors qu’il ne connaît pas mon travail. On me renvoie constamment à lui alors que je veux l’éviter. Il est dans tous les plans culturels et artistiques et jurys de l’île. Il ne fait que pomper les idées des autres mais c’est lui « la star » de l’art contemporain local alors qu’il n’est juste qu’un artiste lambda de plus au niveau national. Il m’invite chez lui pour m’héberger pour une « résidence ». Je vais très mal dans ma vie, je galère… je tiens, je donne tout pour mes études. Il faut au moins que je valide ce truc au cas où pour devenir prof (+45% de revenus en plus dans les outre-mer). Ensuite, je suis comme zombéifiée en rentrant chez moi, dix à quinze jours après… Cinq ans passent. J’ai des flashs, je le vois mettre sa main dans mon dos, il me retourne. Je sais ce qu’il a fait, je me vois flotter au-dessus de mon propre corps. Quand j’essaie de me remémorer tout cela, mon cerveau sombre dans du bruit numérique, et les sons sont tus. Mon cerveau ne me donne pas les images et pourtant je sais, ou j’ai voulu croire que ce n’était pas ça… J’ai hésité longtemps, j’ai nié. Je pense, après recherches sur ces phénomènes, que c’est des benziodiazépines qu’il a mis dans mes verres, ce qui m’a rendu amorphe et amnésique. Je ne me saoule jamais plus que ça. Je tiens à garder le contrôle. Mais, là c’est le black-out.

58. Je suis assistante de galerie. Nous avons la tâche de défaire les valises du directeur lorsqu’il revient de voyage. Une fois, il dit à l’une de nous : « Je te préviens, ça doit pas être joli là-dedans vu le nombre de putes ukrainiennes que j’ai vues hier soir. » Régulièrement il commente notre physique de façon dénigrante avec des collectionneurs devant nous en disant des choses comme « elle est pas mal de dos mais alors quand elle se retourne c’est une autre histoire ». 

59. Je demande conseil sur mon dossier suite à un refus de résidence à une fille de mon école. Je suis un peu énervée. Elle me répond avec un soupçon d’envie/rage : « Peut-être que tu prends trop de subventions ? ». On a quasiment le même parcours. On a fait les mêmes demandes, obtenu quasiment les mêmes choses sans qu’on se concerte. Elle est blanche, blonde, pas riche mais privilégiée, et moi je suis noire, pas riche, transfuge de classe populaire à petite classe moyenne, mais pauvre car empêchée constamment par ce genre de personnes racistes, qui en plus se croient alliées. Elle se démerde bien, on l’appelle. Moi je checke le RSA et on ne me calcule pas. 

60. Je travaille en école d’art. Depuis mon arrivée, j’ai vu des professeurs coucher régulièrement avec des étudiantes et les « renouveler » régulièrement. J’ai entendu des propos sexistes, transphobes et racistes tels que « c’est du travail d’arabe » énoncés en situation d’enseignement et entre collègues, des membres du corps technique et administratif qui qualifient de « terroristes » les auteur·ices de manifestations étudiantes. Les signalements ne mènent que rarement au départ des harceleurs sexuels et harceleurs moraux (parfois considérés comme « victimes »), voire les efforts pour soutenir les transformations sociales y sont considérés par certains membres de l’administration comme problématiques. Pour moi, comme pour d’autres collègues féministes qui font ce travail de signalement, de conscientisation, cela génère un épuisement psychique et une lutte constante.

61. J’ai 31 ans, je me retrouve à travailler avec la personne qui m’a agressée sexuellement quelques années auparavant et avec qui j’ai coupé tout contact. Je me dis que c’est ok, que je peux pardonner, que j’étais sans doute en partie coupable de cette agression. Je travaillerai pendant six ans avec cette personne qui nourrit une haine envers moi, alimentée par la honte de ce qu’il m’a fait. Je lui renvoie le miroir de ce qu’il est réellement. Six ans durant, il m’humilie et me brutalise, devant nos étudiant·es, devant notre équipe, en privé. Au moment où j’arrive à sortir de son emprise et pense à une action, il démissionne, sentant ce qui l’attend et n’est toujours pas venu par ailleurs. J’apprends par la suite qu’une de mes étudiantes a aussi subi une agression sexuelle de sa part.

62. Je m’apprête à ajouter un témoignage à cette tribune mais une personne ayant été témoin – complètement silencieux et complaisant avec ses collègues – se trouve parmi les signataires. Cela me semble très révélateur de l’étouffement des luttes contre le sexisme structurel en école d’art. Beaucoup choisissent d’ignorer leur propre rôle, actif, à l’intérieur des équipes pédagogiques, puis fondent leur travail sur l’appropriation de luttes féministes, les promeuvent dans l’idée mais les effacent dans leurs actes, soit en participant à des situations de harcèlement, soit en poursuivant le travail comme si de rien n’était. Je ne sais pas quoi faire de cela, j’ajouterais peut-être ce qui s’est déroulé au sein de l’école d’art lorsque j’y enseignais, mais pour l’instant je suis dégoûtée de voir ce nom aux côtés des nôtres. [Le nom a été supprimé de la liste après signalement (et la personne informée de notre refus de sa signature) – metooart]