L’aventure musicale et sensorielle des Feu ! Chatterton se poursuit avec un nouveau tome, « L’oiseleur ».
Un parcours initiatique laissant place à la divagation contemplative tout en affirmant leur ancrage dans des genres musicaux peu mis en avant jusqu’ici, « l’ivresse » et ses airs de trap, entre autres. C’est à l’Hôtel Grand Amour, rue de la Fidélité, qu’Arthur (chant) et Clément (guitare et clavier) nous embarquent pour leurs nouvelles péripéties musicales.
Manifesto XXI : Selon vous, la poésie a-t-elle des codes ?
Clément : La poésie peut être partout tout le temps comme la musique.
Arthur : La poésie passe par l’écriture mais la poésie peut être dans un moment. Elle passe d’abord par un regard, celui qui voit la scène. Quand je dois écrire avec une injonction, sortir un album, je me confronte au métier d’artisan musicien. Pour ce deuxième album, on avait des contraintes de temps. Pour trouver cette inspiration je marche beaucoup. Je marche dans les villes, en voyage, avec mon petit carnet. Je me note une situation. Pour moi c’est la preuve que la poésie est partout. Il suffit de savoir regarder et retranscrire.
Il y a souvent dans vos textes une correspondance entre un paysage, un moment présent, l’être, un sentiment. Tout se reflète et se connecte par l’association des mots.
Arthur : C’est intéressant surtout si tu parles du deuxième album parce que ce n’est pas quelque chose qui a été conscientisé : le symbole de la nature charnelle, du jardin, les éléments comme symboles qui résonnent avec l’intime. C’est très présent dans ce disque en particulier : le fruit, l’oiseau, l’arbre, le feu, la mer. Comme si c’était la cartographie d’une île ; la grotte, le jardin, le rivage, tout cela correspond à des sentiments différents, des moments de la vie, des moments d’amour, de colère.
Comme une sorte de voyage initiatique ?
A : C’est vrai qu’on peut le voir comme ça. On se promène sur cette île en découvrant tous ces éléments.
Vous étiez à Naples quand vous avez écrit les textes, c’est bien cela ?
A : moi oui !
Clément : nous, nous travaillions à Paris.
A : je ne les appelais pas trop, c’est un luxe de pouvoir aujourd’hui s’abstraire du temps et du téléphone. De temps en temps j’appelais.
C : on s’envoyait des instru, des petits mots d’amour.
Une conception romantique de l’album produit à distance donc ?
C : Oui comme Gmail peut être romantique.
Arthur s’adresse à Clément : et vous qu’est-ce que vous pensiez de mes textes d’ailleurs ? Qu’est-ce que vous disiez ? Je ne vous ai jamais posé la question !
C : on les trouvait bons, mais il fallait que tu écrives de toute façon !
C’est un album très méditerranéen, céleste et terrestre alors que les sons métalliques, urbains, sont en vogue dans la musique actuelle.
A : C’est ce qu’on a voulu mettre en avant. L’avantage de la musique synthétique c’est qu’elle est puissante, tu peux toucher une sorte de perfection sonore mais derrière on ne ressent pas forcément la main de l’homme ou de la femme.
Face aux sons synthétiques, nous défendons les sons analogiques avec ce qu’ils comportent d’imperfections, de fragilité, de poésie
‘L’ivresse’ est très scandée, elle a un côté trap qui se démarque de ce que vous proposez globalement.
C : Ce n’était pas une expérimentation, c’était plus un bel accident qu’on a gardé.
A : En fait on vient du slam à la base. Je ne suis pas musicien mais je voulais dire mes textes. Je voulais donner le rythme à mes phrases, jouer sur les sons. Ça s’approche du hip hop, du rap, du slam.
C : Un certain hip hop est aujourd’hui dominant. Dans « l’ivresse » le thème s’approche des déboires de jeunesse mais il y a beaucoup de figures de style, de jeux littéraires qui sont poussés. Et même dans les textures sonores on est allé chercher des choses qui étaient plus dans notre héritage.
A : Le morceau reprend les codes de la trap musique (la boite à rythmes, la construction du flow) mais on garde un son de batterie assez rock et vivant. Ce qui prend le dessus c’est l’aspect rapé mais le refrain est assez chaloupé.
De longs moments sont consacrés à l’instrumental, ce qui nous donne le temps de planer, d’être dans des instants de transe, plus que dans le 1er album. « Tes yeux verts » particulièrement. Ce qui donne une dimension contemplative à votre album.
C : Pour toutes les chansons c’est vrai qu’on avait tendance à toujours vouloir mettre de la voix. Pour « Tes yeux verts », il y a 1.50 minutes sans voix.
A : Ça vient de la scène. Sur le premier disque, il y avait moins cette dimension à l’enregistrement mais on le faisait pendant les concerts. On ne s’autorisait pas à le faire. Naturellement, on s’est dit que c’est ce qui était bon dans notre musique. Mais il ne faut pas oublier ce stress sur le format que le public et le label mettent. On s’en fiche de tout ça en fait.
C : Tu sais qu’un tel morceau ne passera pas à la radio. C’est presque militant finalement.
A : Quand ton premier album a marché tu as peur de décevoir. Plaire c’est génial mais ça peut aussi être un esclavage, on peut se perdre. On tire un fil, est-ce qu’on aime cette chanson ? Si tu te laisses aller, tu commences avec une idée, tu creuses, et tu es surpris de la direction qu’elle prend, la matière même prend le dessus, tu te fais surprendre. Le morceau est vivant. Il ne faut pas étouffer le morceau trop tôt, ça fait un prématuré.
Le mot qui revient souvent pour décrire votre univers est « l’élégance ». Quelle en serait votre définition ?
A : Je mettrais de la pudeur et du respect. Le style, pas un en particulier, mais être soi-même, l’intégrité, l’honnêteté, se trouver soi-même dans le geste.
C : J’ai aussi le sentiment que face à un costume on parle d’élégance par facilité parfois.
A : Tu peux être un dandy en tablier. « Si je mets ce vêtement j’aurai du style », non, c’est comment tu parles, tu te meus. Tu peux avoir le plus beau des costumes si ton rapport aux autres est violent, écrasant, ostentatoire, tu seras toujours laid et vulgaire. L’élégance c’est aussi comprendre en un instant le regard de l’autre. Mais encore une fois il y a une forme d’esclavage dans la volonté de plaire aux autres à tout prix. Baudelaire disait « déplaire est un plaisir aristocratique ».
C : Le mot revient aussi très souvent quand on est entre nous et que nous faisons de la musique en studio.
A : On dit même souvent le contraire : « ça c’est vulgaire ». Il y a une notion de justesse, la différence entre ce que tu veux exprimer et ce que tu exprimes. L’épure est importante. L’économie de moyens pour dire quelque chose de précis.
Le mot « élégant » par le son l’est lui-même : il y a l’ondulation du félin et la réflexion lumineuse du velours
C : Si je puis me permettre le félin lui-même me fait penser à la souris.
A : Il se moque.
Il y a parfois des mots par leur sonorité, qui nous obsèdent pendant un certain temps, qu’on voit partout. Quel serait le vôtre, en ce moment ?
A : Je vais regarder le dernier mot que j’ai noté dans ma liste de mots bloc-notes, on va voir s’il me plait encore ou pas, parce que la sonorité parfaite l’est pour un instant précis. Alors attends, c’est quand même incroyable : le dernier mot que j’ai noté c’est « élégant sauvage ». Belle coïncidence.
Il y a un autre mot que je trouve très beau c’est « captive ». Ça commence par quelque chose qui s’ouvre comme une bouche, qui va t’attraper, et il finit en douceur « CAPTivvve ».
C : C’est la voyelle forte et la voyelle faible qui fait ça. Ça vient des langues à harmonisations vocales. Dans certaines langues les voyelles se répondent en fonction de la voyelle d’avant. Si tu as un « a » tu ne peux pas mettre de « i » par exemple. En turc en l’occurrence ils diraient « kaptəv ».
Vous parlez quelles langues ?
A : La langue du cœur et la langue de bois.
C : En ce moment j’apprends l’hébreu.
A : Il a même essayé d’apprendre le suédois quand on était en Suède.
C : je n’en retiens pas grand-chose mais j’aime bien essayer de comprendre.
A : On l’appelle professeur Beigbeder.
Vous êtes ironiques entre vous, laissez-vous une place au second degré dans votre univers musical?
A : On l’a effectivement constaté, cet album est moins ironique que le premier.
C : « L’oiseau » et « l ’ivresse » peut-être. Dans « Tes yeux verts » il y a une sorte d’ironie dans le refrain je trouve.
A : Dans la vie on est ironique, mais dans la musique tu ne mets pas tout de toi-même. Mais c’est plus difficile pour nous d’être très purs dans ce qu’on dit. Si tu fermes les yeux tu peux nous voir tout nus !
La pochette de l’album. Un tableau composé de symboles. Comment l’avez-vous réfléchi, composé ? La photographie inspire l’acceptation, la sérénité, la contemplation.
A : L’oiseleur c’est quelqu’un qui essaie de capturer des oiseaux. Cet album raconte des moments fugaces. Chaque chanson essaie de capter un parfum. C’est aussi pour ça la Méditerranée : tu es devant un ruisseau, puis tu es dans les ruines, il y a un arbre. Capturer un souvenir dans une forme (la musique) qui le garde lumineux. Ce sont des petits fétiches qui renferment des souvenirs. Ce sont des souvenirs entre nous cinq, comme un pacte.
Tout est fluide, tout va vite, trop vite. Ça fond entre les mains. Nous on essaie de faire que notre musique soit un temps en suspens. Si tu vas trop vite et que tu vois une porte entre-ouverte tu passes sans voir. C’est une invitation, un pas pour rentrer dans cet espace.
C : Il y a une forme de romantisme dans le fait d’accepter les choses et soi-même tels qu’ils sont. On veut toujours se dépasser, être meilleur. Boire du café à longueur de journée c’est ne pas accepter qu’on est parfois fatigué.
On est passé d’un romantisme noir à un romantisme lumineux
A : Dans le premier, les choses passent c’est triste, dans le deuxième les choses passent alors jouissons de celles qui sont là. C’est les deux versants d’une même nature. Les belles choses qui passent peuvent nourrir une frustration et une tristesse, ou on peut se dire qu’un beau souvenir c’est déjà bien.
C : On a pu avoir le sentiment pour le premier album qu’il faut se justifier de ne pas faire de musique engagée. On défend l’être tel qu’il est, on défend la caresse.
A : Notre manière d’agir c’est dans la chanson, de manière douce. La douceur, la caresse, la tranquillité. C’est le paradoxe de la lutte, « je vais me battre pour la caresse », c’est violent, alors qu’avec la chanson tu peux le faire.