Après une précédente pièce qui a fait polémique, Brett Bailey est revenu en France cette année pour la première nationale de sa pièce Sanctuary au Festival de Marseille, après un passage remarqué à Hambourg et à Athènes. Ce parcours théâtral sous forme de labyrinthe tente de mettre le spectateur dans la situation d’un réfugié arrivant dans un pays occidental, qui doit passer par un dédale de procédures, de salles d’attente, tout en affrontant la violence policière, économique et sociale. Si c’est bien Brett Bailey qui met en scène, les acteurs sont des locaux, parfois non professionnels, issus du tissu associatif et militant.
À voir le sujet et la mise en scène choisis, on aurait pu craindre un côté voyeuriste ou mélodramatique. Les choix faits par Brett Bailey ne sont pas vraiment subtils ou légers : le labyrinthe sombre rappelle les films d’horreur, certains décors figurent des scènes de massacre, l’ambiance sonore est oppressante… Toutefois, l’écueil de la pièce « attraction » a été évité grâce à deux éléments.
Premièrement, parce que l’expérience n’est pas confortable pour le spectateur. Il y a un temps d’attente pour l’entrée, qui se fait impérativement un par un. Les personnages de « policiers » guidant le spectateur dans le labyrinthe sont rudes et glaçants. Le parcours est ponctué de salles d’attente, dans lesquelles on ne peut pas se raccrocher à son téléphone pour se distraire. On doit réapprendre à prendre son mal en patience… Il fait sombre, il fait chaud, il n’y a pas de bancs pour se poser et tout le parcours est balisé de messages inquiétants.
Les performeurs jouant les réfugiés ne ménagent pas le spectateur et le dévisagent lorsqu’il passe. Ils lui tendent des panneaux annonçant : « Je vois que tu ne me vois pas », « Tu ne peux même pas me regarder dans les yeux ». C’est à notre impuissance, à notre inaction et à la faiblesse de notre indignation qu’ils renvoient.
Il y a bien un moment où l’on peut confortablement s’asseoir : celui où l’on est invité à partager le canapé d’une vieille dame, ancienne secrétaire à Colmar. Elle aime son pays, ses petits-enfants, a peur de tomber malade : une mamie française ordinaire. Elle pourrait être la nôtre. Le malaise s’installe lorsqu’on la voit regarder Marine Le Pen sur l’écran de sa télé et s’exclamer : « Tu es mon ange ! Tu es mon sauveur ! »
Deuxièmement, si les performeurs racontent des histoires, ils ne racontent pas la leur : ce sont justement des performeurs, ce ne sont pas des témoins. On n’a pas jeté en pâture des gens qui ont suffisamment souffert pour en faire des bêtes de foire. Certains participants ont effectivement connu des déplacements forcés, d’autres sont immigrés, d’autres sont artistes, d’autres militants, certains sont tout cela à la fois. Ils mettent en scène des histoires réelles mais ce sont des interprètes, pas des victimes.
À la sortie, j’ai entendu quelqu’un dire : « C’était nul, moi j’aurais aimé parler à de vrais migrants et discuter de leurs histoires avec eux ». Certes, c’est tout aussi important, mais d’autres manifestations existent dans ce but comme le Refugee Food Festival. L’objectif de ce spectacle n’est pas de partager des cultures et encore moins d’aider des Occidentaux à se sentir mieux en se disant qu’ils ont fait une bonne action, mais de dénoncer une crise humanitaire sans précédent qui a rencontré peu de réactions véritablement humanistes de la part de ceux qui nous dirigent.
On se plaît à s’imaginer les réactions de ceux qui ont participé à la cagnotte pour saboter les opérations de sauvetage des migrants s’ils étaient enfermés dans le labyrinthe. Changeraient-ils d’avis ? Cette situation reste hypothétique, ils n’iront probablement pas voir cette pièce (et c’est bien dommage). Brett Bailey aura au moins réussi à éviter l’écueil du graveleux et du sentimentalisme pour aborder un sujet qui peine encore à susciter l’indignation massive de la population et des artistes.
Sanctuary est mise en scène par Brett Bailey, écrite par Eyad Houssami et produite par Jan Ryan et Barbara Mathers pour la compagnie Third World Bunfight.