Nicolas Perez est un peintre marseillais membre de l’atelier Panthera. Avant l’exposition Manifesto XXI x La Zone à Voiture 14 (Marseille), nous avons posé quelques questions à ce boulimique de l’image à la fantaisie aussi libérée que détonnante.
Peux-tu nous raconter ton parcours en tant qu’artiste ?
J’ai grandi à Eoures, un petit village marseillais. Aussi longtemps que je me souvienne, le dessin a toujours été avec moi. Je suis un boulimique de l’image, j’aime autant les regarder que les produire. Adolescent, je me suis tourné vers la communication visuelle… ça ne m’a pas plu du tout mais ce cursus m’a permis d’apprendre les bases de la composition et de la lecture des images. À 18 ans je suis monté à Paris faire des études de design textile à l’école Olivier de Serres. La formation était très bien, là-bas les différentes possibilités et les moyens techniques ont décloisonné ma pratique grâce à l’exploration de nouvelles techniques d’impression comme la sérigraphie, le transfert thermique et l’offset.
Toutefois, le milieu fermé de la mode ne m’a pas séduit et j’ai compris, à ce moment, que je ne souhaitais pas faire de design. Au contraire, j’avais la profonde envie de pouvoir parler de mon travail en mon nom, d’être libre de faire sans aucune barrière de support, de sujet. Ma ville me manquait beaucoup, la grise vie parisienne me donnait le cafard et c’est comme ça qu’en 2011 j’ai intégré les Beaux-Arts de Marseille. À mon arrivée je dessinais des bites partout. Quand j’y pense, c’était assez adolescent comme travail ou vraiment centré sur moi-même, mais les cinq ans passés là-bas m’ont appris à lever les yeux de mon nombril même si encore, dans mes dessins, les questions de genre m’intéressent beaucoup.
Après l’obtention de mon master j’ai enseigné pendant deux ans les arts appliqués à des lycéens en zone d’éducation prioritaire. Humainement c’était une expérience incroyable, j’ai découvert d’autres codes, accompagné les jeunes en situation difficile dans certaines démarches et surtout j’ai essayé de transmettre ma passion pour le dessin, et ça, ça n’a pas de prix.
En 2018, j’ai lancé avec cinq acolytes l’atelier Panthera et depuis cette année, je consacre tout mon temps et mon énergie à des projets créatifs personnels et collectifs. C’est littéralement le rêve.
Je me suis découvert un véritable amour pour les ouvrages d’Ovide et de Sade.
Nicolas Perez
Où puises-tu l’inspiration pour tes peintures ?
C’est assez varié. Enfant, j’étais biberonné aux comics et à la télévision, plus tard je me suis découvert un véritable amour pour les ouvrages d’Ovide et de Sade. Le premier pour toute la poésie et la beauté de ses histoires, et le second pour l’horreur et la décadence de son imaginaire.
La peinture classique m’a énormément inspiré dans la construction rigoureuse de mes images. Je pense d’ailleurs au tableau de William Bouguereau, Dante et Virgile, exposé au musée d’Orsay, qui a été pour moi un putain de choc esthétique et sentimental. Cette peinture m’a amené a découvrir d’autres écrivains comme Dante Alighieri, auteur de La Divine Comédie qui illustre avec précision les sévices subis en enfer et les délices du paradis, ou encore John Milton avec son Paradis perdu, et enfin Georges Bataille, écrivain de l’extrême.
L’expérimentation, d’un point de vue pictural, occupe une place conséquente dans ma pratique. La découverte de nouvelles techniques et leur mélange offrent sans cesse la possibilité de renouveler ses formes et son esthétique. En ce moment je m’exerce beaucoup à l’aérographe et au dessin numérique qui permettent de jouer sur les flous des contours et la superposition de couleurs.
Au-delà de ces influences, les faits divers et l’actualité sont des bases importantes de mon travail. À l’aide de mes dessins et de mes peintures je les extrapole, les exacerbe jusqu’à en faire de grotesques histoires. Je pense par exemple à l’affaire, totalement surréaliste, de Véronique Courjault et des nourrissons congelés, qui m’a inspiré un recueil de dessins trash et sexuels qui retrace la naissance du mal.
Les faits divers et l’actualité sont des bases importantes de mon travail. À l’aide de mes dessins et de mes peintures je les extrapole, les exacerbe jusqu’à en faire de grotesques histoires.
Nicolas Perez
Tu travailles sur une série de portraits de créatures extraterrestres, un peu monstrueuses. Qui sont-elles ?
Pour ces portraits, je me suis beaucoup inspiré des attitudes exacerbées du voguing. En vérité cette série est une étude de personnages pour une toile de plus grande ampleur (140 cm x 600 cm). Ils seront les protagonistes d’un théâtre glamour et faussement absurde où, cannibales, ils s’entredévorent devant les caméras et les flashs des paparazzis.
À l’adolescence, lorsque mon homosexualité s’est révélée, j’ai eu le sentiment que je brûlerais en enfer et c’est de là que tout est parti. Les monstres, les personnages déformés et la violence sont pour moi des manières de remettre en question la norme.
Nicolas Perez
À quel point l’imaginaire heroic fantasy a-t-il influencé ton art ? Je pense à des éléments comme le château, le monstre, certains symboles que l’on retrouve dans tes dessins, comme des pentacles…
Il n’y a pas de héros, il n’y a que de la fantasy. C’est la religion qui m’a influencé en premier, je viens d’une famille d’obédience catholique. À l’adolescence, lorsque mon homosexualité s’est révélée, j’ai eu le sentiment que je brûlerais en enfer et c’est de là que tout est parti. Les monstres, les personnages déformés et la violence sont pour moi des manières de remettre en question la norme.
Pour le château fort, les sens sont multiples. Il est, en architecture, le symbole du pouvoir étatique (c’était le cas au Moyen Âge et c’est encore le cas aujourd’hui) et d’un point de vue onirique, il incarne le fantasme d’un mode parfait. Pour jouer sur cette dualité, je les peins sur le point de s’effondrer. Aujourd’hui, ces peintures prennent un caractère politique d’autant plus fort dans le contexte actuel de Marseille avec sa gentrification, ses problèmes de logement et sa pauvreté.
La catastrophe passée, vient le moment de la remise en question. C’est un point de basculement qui interroge nos pulsions, notre consommation et ses éventuelles conséquences.
Nicolas Perez
D’où te vient cette fascination pour les scénarios apocalyptiques ?
C’est une sorte de fantasme ! Ce que j’aime dans ces scénarios c’est l’impression d’être sur le fil du rasoir. Il y a un avant et un après. La catastrophe passée, vient le moment de la remise en question. C’est un point de basculement qui interroge nos pulsions, notre consommation et ses éventuelles conséquences.
Tu fais partie de l’atelier Panthera, peux-tu nous en dire plus sur ce projet ?
Panthera est un atelier de création tenu par six jeunes artistes : Gabriel Bercolano, Clara Buffey, Basile Ghosn, Alice Griveau, Juliette Guerin et moi-même. Notre lieu a plusieurs objectifs, comme rencontrer d’autres plasticien·ne·s pour échanger et travailler avec elles·eux. Nous organisons aussi des événements alternatifs qui mettent en lumière nos travaux ou ceux de nos invité·e·s. En effet, ces expositions ont pour but, en plus de nous rendre visibles auprès des acteur·rice·s de l’art contemporain, de créer du lien avec les habitant·e·s du quartier. Enfin, l’atelier est un lieu de production sans contrainte d’espace et de temps. C’est le feu, on adore.
Nicolas Perez sera exposé lors de notre événement :
Festival Manifesto XXI x La Zone x Voiture 14 du 1 au 3 novembre