Né dans les années 60, en réaction à l’euphorie de l’Expressionnisme Abstrait mené par des personnalités comme Jackson Pollock, l’art minimal est un art débarrassé de tout artifice, qui n’aurait pas d’histoire émotionnelle. Les structures simples, les matériaux bruts, et les formes épurées en sont les archétypes. Ces formes épurées, représentations minimales se limitant à la ligne dans son expression la plus pure, cherchent à représenter l’essentiel. Carl André, Donald Judd, Franck Stella, Sol LeWitt – pour ne citer que les plus célèbres – ont cherché à se débarrasser du référentiel et du subjectif.
Matériaux et techniques industrielles servent alors à effacer la trace de la main de l’artiste. L’œuvre ne raconte rien d’autre que ce que nous pouvons voir. Et pourtant, l’art minimal ne se limite pas à l’œuvre dans son aspect matériel. Celle-ci questionne l’espace qui l’entoure et amène le visiteur à remettre en question la perception qu’il a de cet espace. Sous une apparente simplicité, l’art minimal plonge le visiteur dans une expérience réelle et totale de l’œuvre. Le minimalisme comme concept artistique ne peut donc pas se limiter au seul mouvement Minimaliste des années 60. Il prend ses racines dans les avant-gardes du XXème siècle comme Brancusi, le mouvement du Bauhaus ou encore Malevitch et son Carré blanc sur fond blanc.
Il s’incarne aussi dans la peinture d’Ad Reinhardt – bien que celui-ci ait toujours refusé d’être assimilé au Minimalisme en tant que mouvement. Aujourd’hui encore, l’art contemporain ne saurait être défini seulement par le kitsch de Jeff Koons. En marge de ses paillettes, des artistes développent des formes d’expression qui – sous une apparente simplicité, par des formes épurées et des matériaux simples – dévoilent des œuvres d’une force incroyable.
En mode, le minimalisme nous invite à observer le détail. Le moindre bouton, la moindre couture, la moindre coupe, ont leur importance. Enlever le superflu et l’artifice afin de mieux faire ressortir le détail. La beauté se trouve dans la simplicité et la justesse : Less is more. Il incarne l’avenir et rime avec modernité. D’ailleurs on remarque que les personnages des films de science-fiction sont accoutrés de tenues minimalistes et très graphiques. C’est peut-être lié à cette idée de retour aux sources. En effet, ce genre de film annonce très souvent la fin du monde. Mais si l’on considère que le temps est circulaire, que la décadence engendre une renaissance, alors, la fin est un commencement, un retour aux origines de l’homme par delà les genres et les âges. Prenons l’humanité dans son entièreté et créons l’universel. Lors d’une interview, Aleksandra Olenska, styliste et consultante en design, nous fit l’honneur de nous présenter le minimalisme en apportant quelques nuances et précisions. Le minimalisme c’est porter le minimum, aller à l’essentiel du croquis.
Ce mouvement connait un âge d’or dans les années 90 en réponse au maximalisme des années 80. C’est le cas de Calvin Klein avec ses robes blanches, ses bijoux en argent, ses lignes épurées.
Aujourd’hui, il est de retour. En réaction à la crise, la maison Céline par Phoebe Philo a réalisé que les consommateurs n’aspiraient plus au bling-bling. Face à cela, une alternative émerge : le retour à la simplicité. Le luxe utilise cette tendance à son avantage. Les maisons de haute couture prouvent leur savoir-faire et la maitrise de matières nouvelles. Ainsi, d’un point de vue plus pragmatique, elles contournent le risque d’être copiées.
Tout comme le formalisme en littérature s’attache à la forme du langage, au langage en lui-même plutôt qu’à sa pure signification, le style minimaliste en mode se concentre sur la précision de la coupe et des matières, sur le vêtement de la manière la plus brute, sans porter d’attention particulière ni au genre, ni à l’âge, sans une volonté d’ajouter des éléments superflus juste pour faire joli. La purification du vêtement signifie un retour aux sources pour une universalisation de l’être humain.
Le minimalisme est un pied de nez à la consommation de masse. Un vêtement fonctionnel, neutre et ancré dans la modernité, un maquillage léger voire absent, ont remplacé l’ostentation, responsable d’une surconsommation baroque et décadente.
L’accumulation a fait naître un être insensible au détail. Dès lors, il ressent la nécessité de se retrouver en paix avec son environnement mais aussi avec lui-même. D’ailleurs, le défilé automne hiver 2014-2015 de Céline avait pour décor des plantes et un sol en bois. Nous retrouvons l’idée d’un retour aux origines de l’être humain dans la nature, qui n’est pas sans lien avec la tendance eco-friendly que nous traversons et qui engendre l’apparition de nouveaux matériaux plus respectueux pour la planète. Cela pourrait être également un clin d’œil à l’Asie et sa verdure, qui inspirent les créateurs minimalistes à l’heure actuelle.
En effet, l’influence asiatique, et surtout japonaise, est un ingrédient majeur du minimalisme. La religion bouddhiste se répand en occident, la décoration intérieure de nombreux occidentaux prend l’aspect d’un dojo ; la tendance est au zen, au repos de l’âme, à la méditation, à la spiritualité, à la sagesse face à une certaine décadence.
Finalement, une nouvelle spiritualité se dessine. Les codes vestimentaires qui y sont attachés sont souvent très épurés. Chez les chrétiens catholiques nous avons à l’esprit l’aube de communion blanche et la robe de mariée, comme pour signifier la pureté de l’âme et la paix de l’esprit. Nous désirons nous défaire de tout ce qui nous corrompt et nous conduit à de nombreuses crises économiques, sociales et écologiques. Revenir aux sources dans le but d’être en harmonie avec le monde et avec soi-même. Le minimalisme est la clé de cette réincarnation.
Réfléchir au minimalisme, c’est s’intéresser à l’abstraction. C’est rejeter tout ajout, revenir à l’essence même de l’objet, lequel corrèle deux notions. D’abord le simple, essence même de la chose ; et le composé, partie composante qui vient s’agréger au simple. Hamelain disait dans son Essai sur les éléments principaux de la représentation que « le simple est seulement indifférent à la composition (…), il ne détruit pas le composé et bien loin de là : il le domine ».
En somme, le minimalisme en tant que courant artistique signifie se focaliser sur le simple. C’est faire la gloire de l’essence d’un objet. C’est revenir dans des conceptions platoniciennes : cerner et matérialiser l’Idée de l’objet pour concrétiser le Beau. Effacer toute particularité, s’affranchir des fioritures, ne laisser que ce qu’il y a de plus pur dans l’objet esthétique. Mais si cette acception se conçoit aisément dans l’art pictural, la sculpture et la plupart des domaines du concret, d’autres sont bien plus compliqués à imaginer. La musique particulièrement.
Comment concevoir ce qu’il y a de minimaliste dans la forme musicale ? Pour le comprendre, il faut partir du postulat que la musique telle que nous l’entendons aujourd’hui est un héritage des codifications progressives construites durant le Moyen-Âge. Les tonalités et les rythmes donnent naissance au sens de la musique, de la même façon que nous communiquons par le biais du langage. Mais ces moyens de communication que sont les notes ou les mots ne sont pas nés ex-nihilo ! Si aujourd’hui nous nous comprenons à travers cet article, c’est bien parce que des codifications anciennes se sont effectuées et que vous avez intégré la structure sujet-verbe-complément. En musique, c’est la même chose. Vous ne vous en rendez pas forcément compte, mais vous comprenez les structures musicales, même sans avoir fait de solfège (la classe, hein ?). C’est ce qui vous permet de dire que telle musique est banale, parce que déjà vue, parce que fade ; et que telle musique est fascinante, parce que surprenante. Ces jugements que vous portez sont la résultante de suites d’accords, de notes et de rythmes particulièrement bien (ou mal) construits, faisant écho à tout un bagage culturel.
A partir de là, on peut comprendre d’un certain point de vue le minimalisme musical. Il serait bien ambitieux de tenter ici une définition exhaustive, mais on peut pour le moins apporter quelques éléments explicatifs. Être minimaliste en musique, c’est revenir à la citation d’Hamelain ci-dessus. Ce n’est pas nier, voire détruire les codifications musicales, c’est s’intéresser avant tout au simple. C’est s’intéresser à la note et la pureté d’un son plutôt que de s’épancher dans des fioritures baroques. C’est un arbitrage en faveur de l’essence de la musique, que l’on rencontre tant dans des structures épurées que dans l’utilisation de matériaux et moyens musicaux extrêmement limités. Pourtant, je viens de vous dire que le minimalisme ne détruisait pas le composé (c’est-à-dire les codifications dont nous avons hérité). Contradictoire ? Pas vraiment.
Ce courant est apparu aux Etats-Unis dans les années 1960, alors que le débat esthétique portait sur une remise en question du sérialisme né au début du siècle – notamment grâce à Arnold Schönberg et le dodécaphonisme.
La tendance des années 1960 prônait alors un retour vers la primauté de la perception, en réaction à cette musique obscure et difficilement compréhensible qu’est l’atonalisme (en l’occurence la destruction des codes musicaux). Ce débat esthétique conjoint à un contexte politique de guerre du Vietnam faisant émerger un mouvement pacifiste (flower power) se traduit par une attirance pour les musiques originaires d’Afrique ou d’Inde. Ce qu’on retient de ces inspirations, c’est d’abord le choix d’un matériau restreint et aisément perceptible, et d’autre part, des séquences structurées qui se ressemblent et se répètent. Cela vous fait-il écho ? On peut supposer sans prendre de grands risques que ces précurseurs que sont Steve Reich ou Terry Riley, ont influencé pour une large part certains courants de la musique actuelle. En particulier certains courants de l’électro.
Le minimalisme musical est né dans les années 60, mais il n’est pas mort avec les années 70-80. Au contraire, il se perpétue dans toutes les musiques populaires que nous écoutons quotidiennement.
Anne-Sophie Furic, Résponsable Art
Gaëlle Palluel, Responsable Mode
Grégoire Huet, Responsable Musique et Pop Philosophie