L’exposition « Kollektsia ! Art contemporain en URSS et en Russie, 1950-2000. Un don exceptionnel » s’ouvre aujourd’hui 14 septembre 2016 et mettra à l’honneur les nouvelles acquisitions du Centre Pompidou jusqu’au 27 mars 2017. Voici nos impressions en avant-première de cet événement qui révèle une tendance actuelle.
La Russie, un sujet à la mode ?
Après la Monumenta 2014 d’Ilya et Emilia Kabakov, le lancement de l’année franco-russe du tourisme culturel (4 avril 2016), l’adaptation au cinéma du livre de Sylvain Tesson – Dans les forêts de Sibérie –, l’inauguration du Centre orthodoxe culturel russe de Paris (prévue pour octobre 2016), l’engouement de la mode pour les créations de Gosha Rubchinskiy et on en passe d’autres, l’exposition « Kollektsia ! » s’impose comme une évidence. La Russie est bien dans l’air du temps. Et cette nouvelle fascination pour l’est de l’Europe contemporaine ne fait que commencer… La visite de l’exposition s’apparente à un voyage en terra incognita. Si l’avant-garde russe est bien connue (Malevitch, Kandinsky, Tatline, Gabo…), l’art contemporain l’est bien moins. Et l’art russe ne s’est pas arrêté à la fin des années 1920, comme on tend à le penser.
Bien au contraire, un art riche est né en marge du cadre officiel rigide et l’exposition le montre dans quatre grands mouvements : les « non conformistes » dès la fin des années 1950 (Yuri Zlotnikov, Vladimir Yakovlev), les « conceptualistes moscovites » dans les années 1970 (Ilya Kabakov, Dmitri Prigov), le « Sots art » qui se développe dans cette même période (Komar et Melamid), le groupe moscovite « Pertsy » autour de la culture underground, né de différents squats (Pavel Pepperstein, Sergei Bougaev-Afrika)… Pourtant ce n’est qu’à partir des années 2000 que l’art contemporain russe s’institutionnalise et intègre peu à peu la culture nationale. Ce changement de regard, autant politique qu’historiographique, est révélateur d’une considération nouvelle de la culture russe.
« Kollektsia » : ou comment le Centre Pompidou promeut l’art contemporain russe
Le Centre Pompidou expose plus de 250 œuvres d’artistes russes et soviétiques contemporains issues d’une donation exceptionnelle de la Fondation Vladimir Potanine. Ces œuvres seront ensuite intégrées aux collections permanentes du musée. Une question se pose d’emblée : pourquoi une telle donation à la France ? Pourquoi la fondation Potanine n’a-t-elle pas versé cette donation directement à la Russie ? Comme l’a rappelé Bernard Blistène – directeur du musée – lors de la visite de presse : « Le Centre Pompidou a la plus extraordinaire collection d’art moderne russe ». Il s’agirait donc bien, selon nous, d’asseoir un relais solide et convaincant à l’art russe en Europe. Cette donation est significative d’une ouverture de la culture russe à l’Occident et d’un renforcement des liens entre ces pays – ce qui contraste fortement avec le repli actuel de la politique extérieure russe sur l’Orient.
Quoi qu’il en soit, l’exposition est indéniablement réussie. Le parcours, sur 1200 mètres carrés, est cohérent en ce qu’il regroupe les artistes par grands mouvements : Sots Art, conceptualisme moscovite, groupe Moukhomor… Chacune de ces tendances est replacée dans son contexte et mise au regard de la politique culturelle de l’époque. Ce qui retiendra notre attention, ce sera effectivement l’alternance entre périodes d’avancées et périodes de recul concernant la politique culturelle soviétique, puis russe. Car le réalisme-socialisme s’est imposé de façon plus ou moins totalitaire selon les périodes. Dès la fin des années 1950, la politique khrouchtchévienne du dégel permet le développement de plusieurs expositions internationales en Russie : exposition Picasso en 1956, exposition nationale américaine en 1955, exposition nationale française en 1961 notamment. À l’inverse, Khrouchtchev bannit, dans les années 1960, toute expression artistique contraire à la doctrine officielle. Inversion de la tendance, l’avènement de la perestroïka suscite dans les années 1980 une création effervescente et le développement d’une culture underground. En un mot, la contextualisation politique et économique des œuvres et des artistes s’impose nécessairement pour une exposition d’art contemporain russe. Inversement, les artistes présentés ne peuvent, de près ou de loin, se défaire totalement de l’aspect politique. Une chose est sûre, ils nous interrogent tous sur ce qu’est aujourd’hui la Russie. La dimension politique est toujours présente, de manière sous-jacente ou non. Le questionnement identitaire est loin d’être négligeable dans cette exposition qui donne à voir la richesse d’un art né en marge du cadre officiel.
En ce qui concerne cet aspect politique intrinsèque à l’exposition, nous aurions cependant un point négatif – ou du moins étonnant – à soulever : l’évènement de la chute de l’URSS n’apparaît jamais, ni dans les cartels informatifs, ni dans le discours des commissaires, Olga Sviblova et Nicolas Liucci-Goutnikov. L’année 1991 est absente de l’exposition qui traite cependant des mouvements politico-économiques soviétiques puis russes de 1950 à 2000. L’existence d’une rupture culturelle URSS/post-URSS paraît néanmoins, selon nous, évidente… ou peut-être ne l’est-elle pas pour ces artistes et donc la société représentée ! C’est en partie la chute de l’Union soviétique qui a rétabli l’ouverture de la Russie aux communautés artistiques internationales. Enfin, les œuvres les plus récentes exposées datent seulement de 2000, date à laquelle Vladimir Poutine entame son premier mandat en tant que président de la Fédération de Russie… Les liens entre l’éminent homme d’affaires et généreux donateur Vladimir Potanine et M. Poutine sont bien connus.
Bons baisers de Russie
Il était déjà de mise au XVIIIe siècle d’accueillir des artistes russes en France. À une époque où la cour de Russie parlait français, c’est Versailles que les châteaux pétersbourgeois ont pris pour modèle. Mais suite aux avant-gardes du début du XXe, une période silencieuse s’est ouverte pour les relations artistiques franco-russes. Enfin surtout du côté français qui serait surpris du prestige de ces artistes dans le plus grand pays du monde. Une chose est sûre, l’art contemporain russe – et même l’art soviétique – n’apparaît sur la scène artistique française que depuis peu de temps. En donnant plus de visibilité à cet art, on se remémore ces échanges franco-russes historiques, et les rapports étroits qui ont pu exister entre ces deux pays. Par l’exposition « Kollektsia ! », le Centre Pompidou ouvre de nouvelles perspectives d’avenir pour l’art contemporain russe en Occident… et il est à espérer que ce n’est que le début d’un plus vaste intérêt pour un pays trop méconnu et dont ces œuvres sont l’écho des tracas d’une société civile bien vivante.
Informations pratiques ici.