Héléna Klotz fait partie de ces jeunes auteurs de cinéma dotés du talent d’invention, qui proposent des films frais, d’une beauté ténébreuse, et dont la liberté et l’audace qui s’en dégagent rassurent l’état du quota de la dose de créativité du jeune cinéma français. Sa dernière collaboration avec la marque Koché, deux petits films nommés Dream Baby Dream sortis cet été, ont été un bon prétexte pour parler un peu.
Manifesto XXI – Salut Héléna! Dream Baby Dream est un film que tu as créé pour la marque Koché, à la frontière entre le film de mode, le court-métrage et le clip. Comment ce film a-t-il été élaboré, tu avais carte blanche ?
Héléna Klotz : Depuis le début de sa marque, l’idée de Christelle Kocher est de contrebalancer complètement l’esthétique du film de mode traditionnel. J’en avais réalisé à l’iPhone pour le site de Vogue, et cette fois-ci, on voulait plutôt partir sur une romance urbaine, que l’on voie la ville. La ville qui scintille, ça va bien avec Koché. Après, c’est informe, c’est un peu de l’image au mètre, mais il y a vraiment cette idée de se dire que oui, peut-être que l’on se fait chier à certains moments, que c’est irrégulier, mais au moins, quand on regarde le film, on a un vrai moment. Et ça, ça dénote des clichés de modes des filles dans les hôtels.
Justement, Koché, tout comme ton cinéma, se démarque d’un système traditionnel. En quoi cette collaboration était-elle importante pour toi ?
C’est hyper inspirant de travailler avec d’autres artistes, parce que ça m’oblige à ouvrir mon propre champ de perception. Au lieu de rester à me dire que moi, je sais tout ce que je veux raconter, je trouve ça cool que des gens forts artistiquement m’inspirent et me donnent dans tous les domaines.
Tu l’as fait en deux parties distinctes, montées par deux monteurs différents, dont Kevin Elamrani-Lince pour la deuxième partie. C’était un choix purement formel ?
Le montage de clip est assez différent du montage de fiction. Souvent, je trouve que les monteurs de fiction traditionnels n’arrivent pas à prendre l’image pour ce qu’elle est. Ils veulent tout de suite faire de la narration, alors qu’en réalité, elle a plein de manières de se faire. Ce n’est pas forcément une histoire. Je me suis donc dit qu’il fallait que je trouve des monteurs particuliers, et j’étais assez fan du boulot de Kevin Elamrani-Lince. En voyant ses clips, je trouvais qu’il y avait toujours quelque chose de plus que dans un clip traditionnel. J’avais envie de le rencontrer pour voir comment il bossait, et ça a été l’occasion. Il fait confiance à l’image, il est très intuitif.
J’avais beaucoup filmé et on a vu qu’un type de rushes allait dans un sens, créant deux univers différents, donc on s’est dit qu’on ferait deux parties. La narration, ici, ce serait plutôt de trouver un état, une sorte de fréquence, un sentiment de la ville.
Comme dans L’Âge atomique, ton premier long-métrage, on parle d’amour, de jeune adultes qui errent la nuit dans une ambiance romantico-mélancolique. Ce sont des choses qui guident ta création dans la vie de tous les jours, qui t’inspirent ?
C’est un âge que j’aime bien, car pour moi, il y a une sorte de radicalité quand on est adolescent qui me ressemble toujours. Un désir d’absolu que je trouve assez touchant et beau, car éphémère, et qui est assez lié à mon désir de cinéma. Pareil pour le rapport au sentiment, j’ai l’impression que j’aime bien les choses où on éprouve vraiment ce que c’est qu’embrasser, parce qu’on ne l’a pas encore fait beaucoup. Je trouve que les adolescents, ou les jeunes adultes, portent encore en eux cette espèce d’espace hyper vibrant de la vie. Ils ne sont pas à la recherche du confort mais des émotions.
Les amants de L’Âge atomique se retrouvent dans la forêt au clair de lune, tout comme celles de Dream Baby Dream ou encore de BTLM. Que t’évoque la forêt la nuit ?
Bizarrement, j’ai toujours eu un rapport assez fort avec la nature dans les villes. J’ai vécu en banlieue, où tu peux traverser une forêt pour rentrer chez toi pour gagner du temps. Ce sont des endroits qui me ramenaient à quelque chose d’un peu primitif. Ce n’est plus la ville. Même dans un parc la nuit, je trouve qu’il y a un truc mystique mais dans une forme qui me plaît, où du rêve va être possible. C’est pour ça qu’en effet, même dans mon prochain film, les gens s’embrassent dans les parcs la nuit. Je trouve que la nature est un bon endroit pour sortir du côté plus dur de la ville.
On retrouve plusieurs fois la figure du chien dans tes films, dans BTLM, puis les aboiements répétés dans la composition musicale de Dream Baby Dream. Pur hasard ou quelque chose te parle dans cette figure ?
C’est ce truc hyper primitif, en fait. Je trouve qu’un instant est toujours mélangé à plein d’autres moments, à d’autres états. Là, maintenant, on parle, mais il y a le bruit de l’eau. Je n’arrive jamais à déconnecter les choses de quelque chose d’ancien de l’humanité. Le loup dans BTLM amène de la mythologie : ce garçon avec ce sweat à capuche qui semble moderne est accroché à un loup, un animal ancien. Et dans Dream Baby Dream, je trouve beau le fait d’avoir cette fille dans une lumière hyper artificielle, avec derrière le son d’un aboiement… Ça leur donne une animalité.
Tu travailles toujours avec ton frère Ulysse, d’Aamourocean. À quel moment la composition musicale intervient-elle dans ton processus créatif ? Vous travaillez ensemble pendant le film ?
On se voit beaucoup avec Ulysse. Donc je dirais qu’il n’y a pas de début où on commence à travailler. C’est comme si la musique était toujours là.
Donc elle arrive naturellement au fil du film…
Oui, complètement ; après, il a souvent quartier assez libre. Il me fait des propositions de grands pans musicaux, puis je reviens avec les images, et là, on sculpte vraiment la bande-son. Sur L’Âge atomique, on avait même remonté après, car la musique avait ajouté une nouvelle temporalité au film.
Ton style est très affirmé, et tout comme des réalisateurs tels que Yann Gonzalez, on voit bien que tous les détails comptent, que ce soit au niveau des dialogues, de l’image, de la musique, du son, du générique… Ressens-tu une énergie globale qui vous lie artistiquement ?
Je pense que c’est l’époque qui nous lie. Je vais peut-être dire de grosses conneries, mais je pense que la Nouvelle Vague a complètement écrasé la naissance de quelque chose d’aussi fort ensuite. Écrasé non pas parce que ce n’était pas intéressant, c’était passionnant, mais parce que du coup ça devait être très difficile de rebondir après ça et d’inventer quelque chose d’équivalent pour les réalisateurs de la génération post-Nouvelle Vague, de se trouver esthétiquement en réalisant quelque chose d’aussi moderne. Après, avec Yann Gonzalez, Virgil Vernier et d’autres, on a encaissé la Nouvelle Vague, mais c’était tellement loin… Je pense qu’on est beaucoup plus en rapport avec le contemporain. Par exemple, beaucoup de choses qui se passent dans le clip m’inspirent pour le cinéma, donc oui, à mon avis, on est liés par une temporalité contemporaine. Et je crois qu’effectivement, du fait que la Nouvelle Vague est pour nous plus éloignée, on a ce désir d’inventer un cinéma formellement fort sans pères qui nous écrasent, avec une forme de liberté.
Pourquoi avoir choisi le cinéma pour t’exprimer ?
Quand j’étais ado, je faisais beaucoup de théâtre, beaucoup de peinture, beaucoup de musique, j’adorais la mode et je faisais beaucoup de photo. Je n’arrivais pas à être heureuse dans un seul médium et j’étais toujours frustrée. Ce qui est cool avec le cinéma, c’est qu’il les reprend tous. Pour moi, c’est l’art le plus complet. C’est aussi celui qui est le plus lié à l’époque, parce qu’il filme des gens, qui existent. Ce rapport physique est hyper intéressant, c’est un rythme de la vie.
Tu peux me parler de ton prochain film ?
C’est un peu le mythe d’Icare contemporain. Le film retrace la semaine qui précède le dernier entretien d’embauche d’un homme qui veut devenir trader, pour un super fond d’investissement à Singapour. Et plus il se rapproche de son désir, plus il chute. Il a un désir de réussite hyper fort, et dans le même temps, il quitte les gens qu’il aime, beaucoup de qui il est, ça lui coûte. C’est un personnage en mutation. On le tournera au printemps prochain.