Le festival Circulation(s) pour la jeune photographie européenne ouvrait samedi dernier au Centquatre et se tiendra jusqu’au 5 mars prochain, réunissant une cinquantaine de photographes contemporains, dont les travaux d’une dizaine sont visibles gratuitement.
« Comment parler de l’Europe en ce début d’année 2017 ? » se demande Marion Hislen, directrice du festival, dans son éditorial. Cette question pose également celle de la place des artistes photographes dans l’Europe d’aujourd’hui, leur possibilité de porter une autre vision politique ou culturelle et le « besoin d’autres regards, d’autres représentations ». À travers un regard sur les liens entre art et reportage mais aussi sur la question des représentations sociales, voilà donc six artistes à retenir.
JOHANNA BENAÏNOUS & ELSA PARRA
Photographes et vidéastes françaises, Johanna Benaïnous et Elsa Parra travaillent ensemble depuis 2014. Artistes invitées, il est difficile avec « A Couple of Them » de ne pas remarquer ce duo d’artistes !
Dans une centaine de portraits photographiques et une vingtaine de portraits vidéo, elles incarnent différents personnages, leurs relations et leurs univers sociaux. On est marqué par la qualité esthétique des images et par la force des visages tout d’abord, puis par la surprenante performance de métamorphose, d’une identité et d’un genre à l’autre.
Reportage fictif de la jeunesse contemporaine et de ses stéréotypes, la série fait autant référence à une pratique photographique de mise en scène des identités, dont la représentante la plus connue est Cindy Sherman, qu’à la culture populaire et à la pratique populaire de la photographie aujourd’hui, où les réseaux sociaux et la démocratisation de l’appareil photographique permettent à chacun de se mettre en scène, affirmant son appartenance à un groupe.
Les deux artistes seront également ce mois-ci, à partir du 27 janvier, à l’exposition « Le Quatrième Sexe » à l’espace Le Cœur, où elles présentent une nouvelle série.
MAFALDA RAKOŠ
À l’inverse, loin des représentations stéréotypées, l’autrichienne Mafalda Rakoš fait vivre avec « I Want to Disappear » un nouveau regard sur les femmes souffrant de troubles alimentaires, anorexie ou boulimie. Un regard plus subjectif, plus intime, plus ouvert que les mass media, et plus respectueux de l’individualité de chacune de ses modèles.
La série est issue d’un partage et d’une approche collaborative, regroupant à la fois portrait de chacune pris par la photographe, mais également un grand nombre de documents que les modèles ont pu lui confier (poèmes, textes, photographies de famille, etc.), et des photographies prises par les modèles elles-mêmes au quotidien. Le tout forme un livre. Un regard pluriel donc, et une histoire visuelle à la fois intérieure et extérieure, sur une maladie particulièrement contemporaine et stigmatisée.
WIKTORIA WOJCIECHOWSKA
En tant que représentation sociale, le portrait aurait tendance à héroïser les soldats ; mais ici aussi, aucun stéréotype, avec une prise en compte des individualités des sujets, et une pluralité de documents. La photographe polonaise Wiktoria Wojciechowska, dans la série « Sparks », présente un portrait de la guerre actuelle en Ukraine à travers photographies, collages et vidéos : un portrait multiple.
Suivant de jeunes soldats depuis 2014, les portraits qui composent cette série sont d’une grande simplicité et laissent percevoir la relation de confiance entre photographe et modèle. Derrière l’objectif, sont-ils alors encore soldats ?
SANNE DE WILDE
D’origine belge, Sanne de Wilde, artiste invitée, développe un travail autour des corps perçus comme différents : albinisme, nanisme. Questionnant regards et perceptions sociales, avec « The Island of the Colorblind » la photographe s’intéresse à la population de l’île de Pingelap, dans le Pacifique : une population de daltoniens.
Portrait d’une communauté à travers son regard : les photos sont converties en noir et blanc pour voir le monde comme elle, prises en infrarouge ou peintes par les habitants de l’île de la manière dont ils imaginent les couleurs. Les images nous immergent dans une nouvelle perception du monde, au sens propre, et l’installation dans la salle du festival joue de cette immersion en présentant les photos sur un fond rose pastel : une photographie à la limite entre approche plasticienne et approche documentaire.
LESLIE MOQUIN
Ici aussi se développe une pratique entre vocabulaire plastique et documentaire, traçant le portrait d’un groupe social. Une approche entre deux qui se retrouve dans d’autres travaux de la photographe. Reportage sur les Picos de San Basilio de Palenque en Colombie, lieux de fête populaire où se réunit la population afro-colombienne, la série « Hasta Abajo ! » de la Française Leslie Moquin évite toute esthétisation exotique, mais ne s’empêche pas de créer des images d’une grande plasticité.
Attentive au contexte social et questionnant les milieux et les apparences, elle met en scène avec la photographie et la vidéo la communauté afro-colombienne issue de l’esclavage, et délaissée par le gouvernement, revendiquant sa double appartenance et constituant sa culture (ou contre-culture) propre. Image rythmée et vivante d’une population en marge, accompagnée dans l’exposition de vidéos de ces soirées dans les Picos.