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Tout le monde devrait lire Le Génie lesbien d’Alice Coffin, surtout les journalistes

Tout le monde devrait lire Le Génie lesbien d’Alice Coffin, surtout les journalistes

Pourquoi a-t-on tant entendu parler du Génie lesbien, sans jamais être satisfait·e des discussions suscitées ou des critiques formulées ? Peut-être parce que le livre est un peu un ovni politique et personnel, à la fois une enquête, une réflexion militante et une farouche critique de la médiocrité machiste. Sans doute parce que son contenu dérange, et que rarement un livre aura été aussi mal lu et caricaturé. Pourtant, Le Génie lesbien est un grand essai sur la culture et le journalisme : en 2020, le nom d’Alice Coffin est incontestablement entré dans l’histoire du féminisme français. 

L’année aura été bien chargée pour la militante féministe et journaliste média. À peine élue à la mairie de Paris au sein du groupe Europe Écologie-Les Verts, elle y dénonce, avec Raphaëlle Remy-Leleu, la présence de Christophe Girard, grand ami de Gabriel Matzneff à la culture. Cet engagement vaudra à Alice Coffin d’être exclue de la majorité, de subir une vague de cyber-harcèlement et d’être placée sous protection policière. En octobre, rebelote : la publication d’extraits tronqués de son premier livre dans la presse déclenche une nouvelle vague de haine. Alors certes, il y a quelques phrases piquantes dans Le Génie lesbien, qui nous ont autant fait hurler de rire qu’elles ont dû faire grincer des dents chez d’autres. Mais au final, rien de pire que ce que l’humoriste Hannah Gadsby raconte dans son légendaire show Nanette. Il y a d’ailleurs beaucoup d’humour dans ce livre.

Mais il appuie, sans s’excuser, là où ça fait mal : dans l’orgueil des journalistes français. Alice Coffin s’attaque moins aux hommes qu’à un plus grand mal : « l’objectivité », le neutre masculin et apolitique du jargon médiatique (cousin du génie artistique). L’Institut catholique de Paris où elle donnait des cours de journalisme n’a pas renouvelé son contrat cette rentrée. Dommage pour les étudiant·es, qui auraient sans doute eu la chance d’y apprendre l’esprit critique dans la bonne humeur. Le verbe haut, la parole généreuse, Alice Coffin est inarrêtable quand on l’interroge. C’est bavard un génie lesbien, et c’est pour le mieux. Interview fleuve.

Manifesto XXI – Est-ce qu’il y a eu de bonnes surprises dans la promo de ce livre ? Des dialogues féconds auxquels vous ne vous attendiez pas ?

Alice Coffin : Bien sûr ! En fait, la réception médiatique raconte beaucoup de choses qui ne me surprennent pas. Elle déroule ce que je décortique dans le livre sur le fonctionnement journalistique. Les personnes qui ont réellement lu le livre et qui perçoivent des pistes de réflexion qu’elles ont envie de pousser viennent bien plus largement de sites indépendants et de la presse étrangère. Il y a parfois des surprises mais ça dépend de certaines individualités qui font des choix dans les grandes rédactions. De manière générale, si on regarde comment le livre a été reçu dans les matinales, tout le contenu sur le journalisme a été évacué. Jamais ces problématiques-là ne sont abordées. Les journalistes ne s’y intéressent pas. Il y a d’autres émissions, d’autres sphères d’information, comme Quotidien, C à vous, où bien sûr ils ne parlent pas du livre volontairement. Quand L’Obs fait « les 10 essais féministes du moment » et qu’il ne cite pas Le Génie lesbien, pareil. Il y a bien un front d’opposition qui essaie d’ignorer ce qui se passe. Ce n’est pas très grave pour moi, mais ce que ça raconte, en fait, c’est la façon dont ces médias évincent de la sphère de l’information toute une partie de personnes, de réflexions, à qui ils ne laissent jamais la parole.

Sinon l’accueil est très bien, j’ai largement l’occasion de parler du livre. Un autre point très intéressant c’est la différence de traitement entre la presse francophone et la presse française. Les journaux suisses, belges, québécois, voient pertinemment que ce qui se passe sur la réception du livre raconte l’état de la France en 2020 et le verrouillage du discours politique et intellectuel sur certaines questions. 

On n’est pas encore dans la clameur qui devrait être quotidienne sur ce qui se passe en termes de stratégie de domination sexiste, raciste, etc. Et notamment dans les rédactions.

Alice Coffin

Au moment de la Ligue du LOL, il y a eu quelques réflexions au sujet de la composition des équipes et les effets que cela a sur l’info. Ce mois-ci le compte insta @BalanceTaRedaction a été créé pour exposer le racisme et le sexisme banalisé dans les rédactions, jusqu’à des cas de harcèlement. Tout cela donne l’impression que le journalisme ne peut se renouveler que dans des scandales, c’est un peu triste… 

C’est catastrophique oui, parce que les rédactions ne s’emparent pas d’un sujet essentiel, celui de comment elles font l’information, comment elles font leur travail. Le livre c’est des années de boulot. Quand ce genre de travail arrive, que les gens en pensent ce qu’ils veulent, mais qu’ils réagissent. Au-delà de ça, j’entends beaucoup de récits dans des rédactions où des gens balancent des trucs sans jamais avoir lu le livre. Au-delà d’un positionnement sur le féminisme et les lesbiennes, ce que ça révèle, c’est comment vous faites votre boulot de journaliste. Comment est-ce possible que vous ayez à ce point-là oublié les fondamentaux ? S’intéresser au sujet, lire les choses, rencontrer les personnes… C’est vraiment politique cette attitude, c’est le monopole du discours, du pouvoir, et je pense qu’il faut qu’on soit plus nombreux·ses à pousser là-dessus. Parce que c’est le nombre qui pourra faire une différence. Ou alors des événements ponctuels où là, oui, les rédactions sont obligées de réagir. 

Toutes les critiques que je fais, c’est parce que je reste absolument persuadée du pouvoir fondamental du journalisme pour changer les choses dans une société.

Alice Coffin

Est-ce que vous sentez une sensibilité différente pour ce qui est défendu dans le livre entre la génération 20-35 ans qui est en école ou entrée dans des rédactions mainstream, la vôtre, et celles au-dessus ? 

Oui l’aspect générationnel compte, c’est très clair. Je le vois aussi dans la typologie des messages de soutien et d’intérêt pour le livre que je reçois. Bien sûr que la proportion de messages venant de personnes ayant la vingtaine est immense. Mais j’ai toujours du mal avec cette dimension générationnelle ! 

La génération de féministes actuelle a en tout cas plus le réflexe de médiatiser ces pensées, on peut avoir l’impression qu’elle est plus mobilisée. 

Ce n’est pas tant une question d’âge, que de savoir à quel(s) événement(s) on a été soumis·e récemment dans sa vie. C’est vrai qu’évidemment, en matière féministe, ce n’est pas la même formation de jeunesse, la décennie 2010 par rapport à d’autres. Parce qu’il y a eu des événements probants, et une apparition sur le champ médiatique et politique extrêmement prégnante des problématiques féministes. Ça joue évidemment. Ce sont aussi des attitudes beaucoup plus unapologetic, comme disent les Anglais. On ose dire les choses, et de manière extrêmement frontale. 

Parmi les messages que je reçois, j’en ai quand même beaucoup de femmes journalistes qui ont plutôt 50 ans, qui ont beaucoup aimé le livre. En fait, elles s’y retrouvent totalement, elles y voient ce qu’elles ont vécu mais elles ne l’ont pas verbalisé. Je pense qu’il y a un sentiment beaucoup plus grand où l’on se sent autorisé·e à dire les choses chez les jeunes générations, et ça, factuellement, ça se retrouve dans les pratiques militantes. Poser des mots sur les choses, c’est une pratique militante. Qu’est-ce que ça veut dire un hashtag ? Qu’est-ce que ça veut dire d’écrire #BalanceTonPorc ? D’écrire des mots sur les murs avec des collages ? On est vraiment dans de l’énonciation comme le fait Nous Toutes, via le collectif contre les féminicides. On rend visible. C’est la forme que prennent les pratiques militantes actuelles, ce qui ne veut pas dire qu’elles sont mieux ou moins bien que d’autres. Les pratiques des années qu’on vit sont dans une volonté de dire, de rendre visible, et ça c’est une différence, très clairement. C’est intéressant d’écouter des personnes qui ont un recul plus grand à ce sujet : Christine Delphy, une des premières féministes des années 70, notait, et elle s’en réjouissait, que la différence c’est que les jeunes féministes désignent les hommes comme l’ennemi, ce qu’on n’aurait pas fait. 

On voit bien que les pratiques évoluent, et chaque époque a ses techniques. Ce qu’on peut dire c’est qu’il y a bien plus de capacité d’expression, oui… Sauf que je pense qu’on n’en est qu’au début. Ça reste un petit clapotis, on n’est pas encore dans la clameur qui devrait être quotidienne sur ce qui se passe en termes de stratégie de domination sexiste, raciste, etc. Et notamment dans les rédactions. Les jalons commencent à se poser pour que ça arrive mais on n’a pas du tout encore suffisamment pris conscience de ce qui est pour moi une situation catastrophique. 

Il y a des présupposés absurdes dans l’enseignement du journalisme.

Alice Coffin

Vous écrivez « Les rédactions françaises sont malades de médiocrité. » Pourquoi ? Outre l’entre-soi socio-culturel dominant et notre problème avec l’objectivité, qu’est-ce qui – culturellement – déconne dans le journalisme français ? 

Il y a le travail et le courage qui manquent un peu. Mais il faut aussi voir quelles sont les conditions d’exercice du métier. J’ai été déléguée syndicale et déléguée du personnel, donc je sais bien qu’on ne crée pas toujours les meilleures conditions pour que les salarié·es soient justement enclin·es à donner beaucoup. Je pense que c’est compliqué de manière générale d’être journaliste aujourd’hui. Ce qu’on voit ces derniers jours est épouvantable sur le front de la liberté d’informer. Mais j’ai l’impression aussi que les journalistes ne prennent pas la mesure de leur pouvoir, de ce qu’iels pourraient écrire, de ce que vont faire leurs écrits ; la chance que c’est de pouvoir publier un article, d’enregistrer un reportage, à quel point ça peut faire la différence. Comme s’iels avaient trop digéré ce « mais qui va nous lire ? ». Les discours de dévalorisation du métier n’aident pas à ce sujet. Toutes les critiques que je fais, c’est parce que je reste absolument persuadée du pouvoir fondamental du journalisme pour changer les choses dans une société. Bon, il y a des gens qui ne font pas ce métier pour ça, ou ce n’est pas ça qui les anime. 

Le personnel est politique, et le personnel, c’est du journalisme.

Alice Coffin

Pour moi, il y a un décalage entre ne pas pouvoir travailler sur des sujets dans des conditions correctes, notamment parce qu’on va étiqueter certain·es journalistes comme militant·es. Pour moi ce sont parmi les meilleur·es journalistes dans le sens où précisément iels vont aller au bout du sujet, et on n’a pas encore en France de concomitance entre les moyens qu’on va pouvoir leur accorder. Quand on rencontre ces deux choses, des journalistes à fond derrière leur sujet, concerné·es, voire personnellement touché·es, et une rédaction qui y accorderait les mêmes moyens qu’à d’autres sujets… Là on commence à avoir quelque chose d’intéressant. Ça progresse un peu, on a un peu plus de « journalistes militant·es » dans les grandes rédactions, mais ce qui ne suit pas c’est qu’on continue d’allouer beaucoup moins de ressources financières à des enquêtes sur des questions d’oppressions de minorités, qu’à des sujets de finance, de politique ou pour aller couvrir les J.O. On considère que ça reste des sujets mineurs. Il faut qu’on ait un collectif pour appuyer et des gens motivé·es pour mener ces sujets. On n’en est pas encore à ce stade-là. C’est un combat permanent pour celles et ceux qui ont cette volonté en interne, et ça limite les impacts. C’est pour ça que c’est toujours si long : avant de pouvoir mener son sujet, il y a d’abord un combat à mener pour pouvoir justifier que oui, c’est bien intéressant de travailler sur ces sujets-là. La tâche est dix fois plus grosse que sur d’autres enquêtes. Quand vous devez vous justifier auprès de vos chefs, c’est épuisant, ça décourage. 

Faut-il oser davantage le « je » anglo-saxon, pour toucher les gens autrement ?

C’est marrant parce qu’aujourd’hui j’ai posté une vidéo de Rachel Maddow, une journaliste phare de la politique aux US, estampillée par sa chaîne MSNBC pour parler du fait que sa compagne avait été atteinte du covid et alerter les gens. Le personnel est politique, et le personnel, c’est du journalisme. Donc bien sûr. C’est comme pour les questions de qui a le droit de parler de quel sujet, l’intérêt ce n’est pas de dire qu’il n’y a que ça qui est possible, mais il s’agit de ne pas interdire certaines voix comme de ne pas interdire certaines formes. Il y a des présupposés absurdes dans l’enseignement du journalisme, comme sur l’objectivité. On ne sait plus à quoi ça sert, ni d’où ça vient, mais on ne parvient quand même pas à évaluer les ravages que ça fait dans l’écriture journalistique. Je vois bien le malaise qu’on nous a appris à avoir avec cette forme-là, comme étant presque anti-journalistique en France. C’est absurde de nous ôter cet outil-là de notre trousse journalistique, parce que dans certaines situations ce serait bien plus intéressant de traiter les choses comme ça. 

Je pense par exemple au type de journalisme que je pratique, le journalisme média. Il y a ce malaise qui voudrait qu’on ne puisse pas enquêter sur ses pairs. Quand j’ai pu le faire, c’était très important de pouvoir dire comment moi je voyais les choses, et ça fluidifie complètement la conversation. C’est une manière aussi de redonner un peu de pouvoir à son interlocuteur·rice, ça permet d’être un tout petit peu plus lucide sur ce que ça fait pour une personne de se faire interviewer. Ça démontre aussi que le système d’enseignement sur la neutralité ne tient pas. On ne peut pas cultiver la neutralité et penser l’interview comme un jeu à somme égale. Un homme de pouvoir ne va pas avoir la même réaction face à un·e journaliste, qu’une personne qui ne connaît pas du tout les médias. Tout ça devrait entrer en ligne de compte, comment on est ressenti·e par l’environnement qu’on va investir. Et jamais on ne m’a parlé de ça. 

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Quand c’est étudié, c’est sur des moments de cristallisation, comme au moment des émeutes et manifestations politiques de 2005. C’est un sujet récurrent, le rejet des journalistes, comme pendant les Gilets jaunes. Ça conduit toujours à des interrogations : « pourquoi on ne veut pas de nous ? » sur tel territoire ou événement. Là les journalistes ont un miroir, et se rappellent que « Ah oui on n’est pas comme tout le monde, on représente un pouvoir. » Là il peut y avoir une interrogation, mais je trouve que ce n’est pas toujours bien fait. Ces questionnements devraient être là tout le temps. Par ailleurs ça devrait poser la question de « qui y va ? ». Dans le journalisme américain il s’est passé quelque chose de fondamental au moment de la lutte pour les droits civiques. Des journalistes blancs dans de grandes rédactions ont dû comprendre qu’ils n’étaient pas les bienvenus pour couvrir certains événements. Donc les rédactions ont dû réfléchir. Un journaliste c’est un certain vécu, un certain corps, ça renvoie à quelque chose. On doit y réfléchir, y compris cyniquement, pour avoir des infos. Il y a donc déjà eu une réflexion sur cette question de l’incarnation, qui va au-delà de la représentation des minorités, mais qui est une question de pouvoir. Pour toutes ces raisons-là, c’est important de pouvoir situer les choses dans le récit. Ça conduit à une écriture différente, encore faut-il pouvoir l’apprendre et réfléchir à comment l’énoncer pour ne pas avoir un article qui soit une ode à soi-même, pour reprendre les clichés sur le format. 

Cette bravacherie gouine, c’est de la générosité et de l’altruisme

Alice Coffin

Vous écrivez « Il n’y a rien de compromettant à s’excuser ou à s’expliquer quand on est journaliste » à la fin du chapitre III. De ce côté-ci les pratiques évoluent positivement, non ? Je pense à ce qui se fait parfois sur Twitter, ou quand le HuffPost a dépublié la tribune transphobe initiée par Marguerite Stern.

Je suis d’accord, mais je vois aussi les blocages. C’est toujours un peu les mêmes mécanismes au fond. Comme pour la question de l’objectivité, des minorités, ce qui bloque c’est que les journalistes auraient l’impression de ne pas bien faire leur boulot. Moi c’est ça qui me marque. De manière générale, ça me semble absurde de ne pas vouloir discuter. Mais il y a une petite couche supplémentaire dans le journalisme : c’est ce « oh mais, si on commence à écouter ce qu’on dit sur nos articles, ce que des assos disent, on abandonne nos prérogatives ». Je l’ai entendu dans des rédactions. C’est là que les enseignements et les préjugés sur « ce que doit être un·e bon·ne journaliste » sont terribles, parce qu’on en arrive à défendre le fait de ne pas s’excuser comme une éthique. Ça évolue un peu, sur les démarches ex-post, mais il reste un énorme travail à mener sur ce qui se passe en plateau. Récemment on l’a vu avec Sarkozy chez Quotidien, et Pascal Bruckner chez 28 minutes… Quand c’est à chaud comme ça, il faut s’interroger sur le pourquoi personne ne réagit. C’est important, d’avoir des personnes autour de la table qui peuvent répondre. Quand il y a un certain choix d’invité·es, il faut pouvoir réfléchir aux réactions que ça va susciter dans le public, surtout quand ce sont des choix d’invité·es qu’on pourrait considérer comme problématiques. Surtout quand ce n’est que ce type de personnes qui sont invitées. 

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Vous en parlez dans le livre, faut-il réguler encore plus la télé ? Renforcer le CSA ? Imposer des quotas ?

Honnêtement, je ne sais pas. C’est pour ça que j’ai souvent du mal à dire que les choses avancent : hier je regardais le traitement du féminicide d’Alexia Daval, et j’étais atterrée. J’ai regardé un peu BFM et C dans l’air, et on en est encore au cliché de la femme castratrice et lui c’est un gentil… et c’étaient des psys sur les plateaux ! C’est monstrueux de laisser la parole comme ça. Heureusement sur BFM il y avait l’avocate de Jacqueline Sauvage, Nathalie Tomasini, qui était très bien, mais c’est quand même gravissime de voir quelle tribune on donne dans le discours médiatique. Je pense que sur BFM ils se sont dit « c’est bon, on a un pour et un contre ! », l’avocate et un psy dont je ne me souviens plus le nom, mais qui racontait absolument n’importe quoi et qu’on laissait déblatérer. Comment en France on en est encore là sur le traitement médiatique des féminicides ? C’est très préoccupant la manière dont les choses restent inscrites sur ce sujet. 

Il y a une expression qui m’a fait sourire, c’est celle de « bravacherie gouine ». Ça a quel rôle cette espèce d’ironie, d’orgueil militant quand on est en lutte tout le temps ? 

C’est bien défini ! (rires) Alors là où je suis très factuelle sur toutes les informations, ici on est plus sur de l’émotif, sur ce que je peux ressentir. C’est issu de conversations que j’ai énormément avec Silvia Casalino, avec qui je vis, et qui est est une experte asbolue de la « gouine théorie ». Elle me fait tout le temps remarquer des détails qui font mouche. C’est encore un monde, le monde lesbien, sur lequel on a peu écrit en proportion. On est dans le domaine du ressenti parce que ce n’est pas très conceptualisé. On a très peu d’études sur les comportements des lesbiennes, ou les us et coutumes qui, comme dans toute communauté, peuvent avoir cours ou pas. C’est quelque chose qui me marque dans le comportement des copines qui m’entourent. Puis si on le pousse un peu, ça s’explique sûrement structurellement par les résistances auxquelles on doit faire face quand on vit une vie de lesbienne sans la dissimuler. 

Je repense au fameux passage qui a fait couler beaucoup d’encre : « L’art est extension de l’imaginaire masculin. Ils ont infesté mon esprit. Je me préserve en les évitant. » Est-ce qu’il y a quand même des œuvres qui passent entre les mailles du filet pour leur intelligence ? 

J’ai qu’à me lever et à me servir, je pense. (rires) Ça va être un test ! (elle fouille dans sa bibliothèque) Aïe, aïe, aïe, c’est un bon exercice ! Résultat des courses : j’ai vu Fanon, Césaire. Évidemment ce n’est pas un hasard ! Michelangelo Signorile. Donc si je résume, deux hommes noirs, un homme gay, donc issus de minorités. Ils sont là en tout cas. (rires) Césaire, c’était quand j’ai passé mon bac en 1995, en terminale L on avait Retour au pays natal et Discours sur le colonialisme au programme, ce qui est rarissime !

Rêvons un peu pour finir : « Je veux une gouine pour présidente » écrivait l’artiste Zoe Leonard en 1992. Il se passe quoi dans la France d’une cheffe de l’État lesbienne selon vous ? 

Je pense que ce qui se passe est écrit dans la suite du poème ! Elle parle aussi des Noir·es, des séropositif·ves, des sans-papiers, des sans-emploi. C’est toute l’idée du Génie lesbien, ce n’est pas juste mettre en avant les lesbiennes. Il y a une attention à l’autre. Cette bravacherie gouine, c’est de la générosité et de l’altruisme, qui s’explique : je pense que les lesbiennes sont dans une réunion particulière d’oppressions, comme peuvent l’être d’autres minorités, et ça accroît la sensibilité, une empathie, à ce que sont les mécanismes d’oppression. Si tant est qu’on se comporte en tant qu’humaine. Donc le programme dans la suite du poème, c’est d’aller vers une destruction massive de tous les mécanismes d’oppression.


Image à la Une : © JF Paga

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