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Naya Ali : « C’est un privilège de pouvoir choisir de se passer des hommes »

Naya Ali : « C’est un privilège de pouvoir choisir de se passer des hommes »

Voix malicieuse de l’Internet sexo, Naya Ali a tiré le bilan d’une décennie de féminisme sexpositive dans un livre au titre peut-être prophétique : Vous ne baiserez pas.

En octobre 2023, nous apprenions avec regret l’arrêt de l’émission Hotline, le talk-show consacré au sexe et aux relations coproduit par Spotify et Nouvelles Ecoutes. En 3 ans, l’émission a parlé de kamasutra queer, de kinks, de gode ceintures mais aussi d’asexualité et de prévention avec des anecdotes toujours incroyables des chroniqueuses. Sa disparition a laissé un vide, mais sa présentatrice Naya Ali est revenue à l’été 2024 pour dire les termes sur un certain nombre de sujets cul et love. Dans Vous ne baiserez pas (Les Insolentes/Hachette), elle raconte comment sa déconstruction des rouages de la drague et de la sexualité l’a paradoxalement amené à ne plus baiser. Entre la violence des hommes cis-het et des milieux queers pas si accueillants, elle dresse un portrait sans concession du monde du dating en 2024. 

Manifesto XXI – On t’a connu d’abord sur X (feu Twitter) où tu racontais ta vie sexuelle sous le pseudonyme de @misundergirl, tu as ensuite animé l’émission Hotline sur Spotify. Qu’est-ce qui t’as poussée à produire du contenu sexo à la base ? Est-ce qu’il y avait des choses qui te manquaient à l’époque ? 

Naya Ali : Justement oui, il n’y en avait pas tant de contenus sexo ! Quand j’ai ouvert mon compte, il y avait déjà des comptes sexos sur Instagram, mais Twitter n’était pas vraiment une plateforme “sex friendly”. Au départ, j’avais juste envie de parler de moi à une période très difficile de ma vie. Je voulais écrire des récits rigolos sur mes dates, je ne pensais pas que ça allait décoller et résonner chez autant de femmes. C’est comme ça que Spotify m’a repéré pour la création du podcast. Il y avait déjà des émissions sur le sexe à ce moment-là, mais mon but était de réunir un panel de femmes humoristes, comédiennes, influenceuses qui se racontent leurs histoires de dating avec une perspective de gauche et de déconstruction, mais en rigolant et en gardant de la légèreté aussi. Je trouve que c’est ça qui ne se faisait pas assez à l’époque

Les hommes d’aujourd’hui trompent et violentent comme leurs aînés et on leur a donné des mots qui leurs permettent de le faire. Ces hommes prétendent se libérer de la monogamie et du schéma traditionnel du couple, mais la vérité est qu’ils n’y sont jamais véritablement entrés, ils ont toujours été démissionnaires. Et les perdantes sont toujours les femmes.

Dans ton livre, tu reviens sur cette fameuse vague sexpositive des années 2010. Et dix ans plus tard, tu parles de déception…

Je ne vais jamais bacher complètement le sexpositivisme, je l’ai été moi-même et j’ai présenté une émission où on se marrait en parlant cul. Cela m’a beaucoup aidée en ce qui concerne la connaissance de mon corps. Je pense que certains comptes Instagram de l’époque ont aidé des femmes à réaliser des choses, notamment sur des sujets comme l’orgasme et c’était important. 

Ce qui me gêne c’est la façon dont tout ça a évolué. Comme ces comptes ont marché du feu de Dieu, les hommes cis-hétéro ont fait ce qu’ils savent si bien faire : voler ce que les féministes ont créé et se l’approprier pour eux. C’était quelque chose qui avait été fait pour que les femmes puissent se sentir mieux, s’émanciper, grandir, avoir du plaisir ; alors ils ont commencé à le prendre pour eux et à s’en servir contre elles. Ils ont utilisé le terme “sexpositif”, notamment sur les applis, comme prétexte pour ne donner plus que du sexe sans lendemain, puisque la parole était “libérée” et que c’était la nouvelle tendance. 

Le sexe est un outil extrêmement violent depuis des millénaires. Les hommes l’utilisent contre les femmes à travers des violences de différentes envergures ; du viol aux microviolences, comme le ghosting. Au final, les femmes n’ont jamais été véritablement aimées. On a tenté de se libérer du mariage patriarcal, mais pour quoi ? Les hommes d’aujourd’hui trompent et violentent comme leurs aînés et on leur a donné des mots qui leurs permettent de le faire. Ces hommes prétendent se libérer de la monogamie et du schéma traditionnel du couple, mais la vérité est qu’ils n’y sont jamais véritablement entrés, ils ont toujours été démissionnaires. Et les perdantes sont toujours les femmes.

Je ne suis pas anti-polyamour dans l’absolu, je pourrais même le pratiquer dans une relation avec une femme ; je le refuse juste avec des hommes hétéros car je ressens trop le schéma patriarcal dans leur démarche et je ne veux pas rentrer là-dedans. C’est pour cela que je ne me considère plus comme sexpositive aujourd’hui. Je ne dirais pas non plus que je suis « sex-négative », je me situerais dans une forme de neutralité.


Tu as un propos un peu équivalent sur d’autres pratiques comme le BDSM.

Oui, je pense que l’on peut tout à fait avoir ces pratiques dans un contexte safe et que tout le monde soit heureux. Cette émancipation sexuelle a aussi montré que l’on pouvait avoir des pratiques spécifiques, que le milieu BDSM n’était pas juste un endroit glauque ou bizarre et ça c’est très positif, notamment entre personnes queers. Moi j’appelle juste à une réhabilitation du « sexe vanille » [sans pratiques BDSM, ndlr], à arrêter de dire que c’est nul. Et encore une fois, les hommes s’en servent sur les applis pour ne plus réclamer que du sexe hard, il n’y a presque plus aucun profil qui accepte le sexe vanille. 

C’est un renoncement en fait : pas à trouver sa moitié, son prince charmant. Ça c’est compliqué mais faisable. C’est trouver un homme hors schéma patriarcal qui est impossible.

Le concept de grève de l’hétérosexualité devient de plus en plus populaire, notamment avec le mouvement 4B en Corée, mais aussi en France dans le sillage du procès Pelicot. Est ce que cette démarche te paraît possible et/ou souhaitable ?

Je comprends à 100% ces femmes qui décident de tout arrêter. C’est dur quand tu arrives dans la trentaine et que tu veux juste une relation sympa et aimante mais que le patriarcat a tellement impacté les hommes que cela devient quasi impossible. Les hommes qui veulent une vraie compagne de vie sont une minorité. Même quand tu trouves quelqu’un de vraiment gentil, tu te tapes des trucs comme la charge mentale, tu ne peux jamais être complètement toi. Moi-même j’ai arrêté de chercher. Je ne repousse pas ce qui peut arriver, mais je ne suis plus en recherche comme avant. Quand je vois mes amies en couple, même si leurs mecs sont gentils, je sais que je ne pourrais pas supporter tout ce qu’elles supportent : il n’y a aucun couple hétéro autour de moi qui me fait envie. 

C’est un renoncement en fait : pas à trouver sa moitié, son prince charmant. Ça c’est compliqué mais faisable. C’est trouver un homme hors schéma patriarcal qui est impossible.

Ça nous emmène au sujet du lesbianisme politique, que tu évoques dans ton livre. Pour toi, ce concept ne s’adresse pas aux femmes des classes populaires et aux femmes racisées. Pourquoi ? 

Pour moi c’est un privilège de pouvoir choisir de se passer des hommes. Je suis née dans une famille pauvre. J’ai vu autour de moi des femmes extrêmement malheureuses avec leurs maris, mais qui restaient à cause du poids de la tradition ou par manque de ressources économiques. Ce sont des femmes qui ont été élevées, conditionnées depuis l’enfance pour être des femmes au foyer, sans faire d’études ni mettre de l’argent de côté. Cela maintient un système patriarcal où elles ne peuvent pas échapper aux hommes.

Tu évoques aussi ta propre expérience dans les cercles queers, où tu as vécu du racisme. Tu dis à juste titre que dans l’imaginaire collectif, la femme lesbienne est blanche, mais tu parles aussi du black love dans le contexte hétérosexuel. Un queer black love ne serait-il pas possible ? 

J’adorerais vivre ce black queer love, cela m’apaiserait sûrement mais les chances que ça arrive sont si réduites. Ça fait tellement de personnes à éliminer, alors que je galérais déjà quand j’étais ouverte à tout le monde. Et oui, cela m’arriverait peut être en fréquentant le milieu queer racisé, mais je trouve ça injuste de me dire que je n’ai pas autant de chances que les autres dès le départ. 

Cela dit, je trouve génial que les soirées queers racisé·es se généralisent et que l’on se rende compte que les milieux queers « généralistes » ne sont pas forcément accueillants pour les personnes non blanches. C’est horrible d’arriver dans un lieu où tu penses être en sécurité mais où au final il n’y a que des blancs et on te sort les mêmes propos racistes que quand tu es avec un mec blanc cis-het. D’ailleurs des femmes queers racisées m’ont remerciée pour avoir dénoncé cela et des femmes queers blanches m’ont dit que cela les avait fait réfléchir. 

Que pourrait-on faire pour que justement cette révolution romantique s’étende à vraiment toutes les couches de la société ?

Ce serait magnifique si j’avais la réponse ! Dans un premier temps, si toutes les personnes queers et blanches assumaient de ne pas être de facto non-racistes sur tous les points, on avancerait d’un grand pas.

Je vais donner un exemple : j’avais posté une vidéo un peu rigolote où je racontais un date nul avec un mec. Une personne queer blanche avait commenté que cela n’arriverait pas si je ne datais que des personnes queers. Je ne pense pas que la personne avait de mauvaises intentions, mais je trouve cela mal venu car c’est faux. Cette personne vit dans son monde queer hyperdéconstruit, d’où on peut penser que traîner qu’entre personnes queers est la solution. Sauf que c’est faux : j’ai essayé, j’ai daté des meufs et j’ai quand même eu de mauvaises expériences.

A ce genre de commentaires j’ai envie de répondre, qu’est ce que vous en savez ? Arrêtez de venir sur les vidéos de personnes plus minorisées que vous pour leur expliquer comment doivent se passer leurs vies. 

Un autre sujet que tu évoques en filigrane dans ton livre c’est l’amitié féminine. On a aussi plusieurs parutions ces dernières années qui revalorise l’amitié. Est-ce que tu penses que des formes de communautés féminines pourraient justement pallier au couple ?

L’amitié féminine a été sous-cotée pendant des années face à une amitié masculine hyper valorisée, notamment dans la pop culture. Mais quand on étudie les amitiés masculines plus profondément, on se rend compte que pour beaucoup, elles manquent de profondeur, que les hommes ne parlent pas de leur psychologie, de leur émotions. Ils ne savent pas vraiment partager. Les vraies amitiés où l’on parle avec le cœur, qui sont sincères à 100%, ce sont les amitiés féminines. Il a fallu des années aux femmes pour qu’elles se rendent compte qu’elles n’étaient pas rivales et que ça ne valait pas la peine de se battre pour un homme, vu ce qu’ils nous offrent. 

Aujourd’hui je suis contente de voir que quand une femme se fait rabaisser par des hommes en commentaires sur Tiktok par exemple, plein d’autres femmes seront là en contrepoids pour la valoriser. Pour moi on est dans une bonne pente, où on se rend compte qu’il n’y que nous-mêmes pour nous sauver et que si on se serre vraiment les coudes, cela fonctionne. 

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Dans la conclusion de ton livre, tu expliques qu’un éditeur a refusé ton manuscrit parce qu’il était trop pessimiste. Tu termines le livre par une question aux vingtenaires : est-ce que eux arrivent à baiser ? As-tu eu des réponses ?

Oui, iels m’ont répondu ! Et la réponse est non. 

J’ai deux pensées qui me viennent sur ça. D’un côté, je vois certains youtubeurs avec des discours cools, hyper déconstruits, qui ont l’air de bien traiter leurs meufs. De l’autre, des jeunes qui ont exactement le même âge, qui font des vidéos masculinistes hyper violentes. Ce double discours des jeunes hommes n’existait pas quand j’avais vingt ans et au final, j’ai l’impression que je galérais moins en amour à l’époque que les femmes vingtenaires d’aujourd’hui.

Ça m’amène beaucoup de questions : à quoi à servi toute cette déconstruction ? Pourquoi malgré tous ces récits de femmes qui racontent l’horreur du patriarcat, le monde du dating est toujours si violent ? Je me demandais s’il n’y avait que les mecs de mon âge qui étaient comme ça, mais les femmes de vingt ans me disent que c’est la même chose pour elles. 

Et tu as eu des réponses d’hommes ? Ou de personnes queers ? 

Un homme m’a répondu qu’il a vu ce qui n’allait pas chez lui et qu’il allait essayer de changer ; ce n’est pas pour me la raconter mais j’ai souvent des hommes qui me disent ça. J’espère sincèrement qu’ils y arriveront, mais le fait est que le livre est surtout lu par des femmes.

J’ai l’impression que dans le milieu queer, ça baise par contre ! C’est ce qui m’a aussi amené à me demander pourquoi moi justement je n’y arrivais pas ; je pense que je serais plus heureuse en ne datant que des femmes, s’il n’y avait pas la violence du milieu queer. 

La presse française a beaucoup relayé cette étude qui montrerait que les jeunes français ne baisent plus ; mais de ce que tu me racontes, c’est plutôt les jeunes françaises hétéros qui ne baisent plus ? 

Je suis convaincue que ce sont les femmes hétéros qui ne baisent plus, parce qu’elles se sont rendu compte d’à quel point les hommes sont dénués de toute intelligence émotionnelle. Il y a plein de meufs qui voudraient avoir des plans culs, mais qui y renoncent car soit le sexe est médiocre, soit parce les mecs les traitent trop mal. Je pense que les résultats de ces études viennent de là, de la réalisation de cette violence.

Il faudrait des contenus pour éduquer les hommes pas seulement sexuellement mais aussi amoureusement. Mais ça ne se fera sans doute pas parce que ce n’est pas vendeur. Tout ce qui engueule les hommes n’est pas vendeur. Ils veulent être inclus, ils veulent qu’on leur dise que les femmes aiment leurs bites, mais pas qu’ils ont un problème avec le sexe. 

Ta conclusion est pessimiste, mais est-ce que tu as quand même trouvé de la joie dans le militantisme et l’écriture de ce livre ?

J’ai eu beaucoup de joie à écrire et les lecteur·ices me disent que le livre les a aidés, pas démoralisés. Le livre m’a aidé à comprendre des choses sur moi-même, mais aussi à prendre du recul, à en rire, et à me dire que rien n’est une fatalité. Même si c’est triste, même si on aimerait toustes pouvoir être aimé·es comme on le mérite, parfois ça n’arrive pas et on va quand même bien. 


Vous ne baiserez pasLa misère sexuelle n’est pas un problème d’hommes, édition les Insolentes, 240p

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