Du 18 octobre au 9 février 2025, la Gaîté Lyrique présente l’exposition TRANS*GALACTIQUE curatée par le quatuor de commissaires-artistes Superpartners (Nadège Piton + SMITH), Frank Lamy et Balthazar Heisch.
Il faut remonter un peu dans le temps pour saisir le point de départ de cette exposition, et l’origine de son nom : En 2020, la revue française The Eyes réalise avec le duo Superpartners (composé de l’artiste SMITH et la commissaire d’exposition et performeuse Nadège Piton) un très beau numéro spécial autour des transidentités et de la photographie. Sous le titre de TRANSGALACTIQUE, « il s’agissait, alors, de dresser une première archéologie subjective des représentations Trans* par les personnes concernées ». Une première exposition inspirée par la revue a lieu en 2023 à La Filature à Mulhouse.
Cette année, le duo a encore élargi sa réflexion et sa curation avec la complicité de deux autres personnes Frank Lamy (commissaire d’exposition, performeur et DJ) et Balthazar Heisch (artiste). TRANS*GALACTIQUE veut célébrer « la possibilité d’un trans gaze, pluriel et émancipateur » et dans la curation finale de l’exposition, on retrouve des artistes qui nous sont chèr·es comme Franky Gogo, Kama la Mackerel, Laurence Philomene et Zanele Muholi. Pour vous inviter à plonger le regard dans ces constellations queers, nous avons posé deux questions aux commissaires de TRANS*GALACTIQUE.
Manifesto XXI – Quelle est la première représentation trans positive que vous avez connu ?
Balthazar Heisch : Presque-nu, face objectif, plan américain, fond blanc. J’ai longtemps promené une image dont je ne savais rien, mais qui guidait ma transition comme l’icône d’une présence au monde idéale. Les mamelles pondérées, la sureté des veines, la posture et frontale et torse, une longue cicatrice sur des côtes sans doute accidentées et le sexe qui brille par sa réserve, la spéculaire discrète de deux piercings symétriques, regard mi-cru mi-cuit, la gestion du poil ciselée. Tous ces motifs sont débordés par l’extrême physicalité – littéralement irradiante – du corps qui se présente, alors que le rouge fait manifeste sur sa bouche close. J’ai appris plus tard que c’était l’artiste Cassils, photographié par Robin Black dans la série « Advertisement : Homage to Benglis », un travail foncièrement pirate et empouvoirant pour la culture transmasculine.
Nadège Piton : Les premières œuvres transpositive m’ayant marqué furent celles du photographe Del LaGrace Volcano avec son livre Drag King Book. Pour la première fois, je découvrais une représentation des communautés drag kings et trans, rejouant les stéréotypes cis-het avec une attitude d’empuissancement, fière et décomplexée. Ce livre, alors découvert dans un sex-shop queer londonien (rare lieux de diffusion des artistes et auteur·ices trans à l’époque, y compris pour les théoricien·nes), était empreint de cette ambiance underground qui ajoutait une touche rare, précieuse et sexy à ces images.
Frank Lamy : Pendant longtemps, la pop culture a été le seul endroit où je rencontrais des figures queers « positives » (quelles qu’elles soient). Ailleurs, les représentations trans*, pédées ou gouines (la non-binarité n’était pas au programme), proposaient des anti-modèles, toujours négatifs, des images ridicules, perverses, malheureuses ou mortes auxquelles il était hors de question de s’identifier. C’est seulement à partir du moment où je me suis sociabilisé en tant que personne queer, en rencontrant des gens, des personnes que des représentations positives se sont construites.
SMITH : En 2002 j’ai découvert le documentaire Venus Boyz de Gabriel·le Baur au cinéma MK2 Beaubourg, un contemporain de la traduction française de Gender trouble de Judith Butler. Ce film gravitait autour des ateliers donnés par feue la pionnière drag king Diane Torr, d’ailleurs régulièrement photographiée par Volcano, dont les enseignements ont longtemps nourri les études de genre. Bien que j’en comptais parmi mes ami·e·s, je n’avais alors jamais vu sur grand écran de personnes transmasculines, alors dites « FTM », female-to-male : il n’existait en fait à l’époque que très peu de personnalités trans visibles, au cinéma et ailleurs. En France, il m’a fallu attendre la sortie du film Wild Side de Sébastien Lifshitz en 2004 [pour en voir une], interprété notamment par Stéphanie Michelini, qui depuis demeure l’une des rares actrices trans françaises. L’immense majorité des personnages transgenres au cinéma sont toujours régulièrement interprété·e·s par des acteur·ices cisgenres.
Dans l’édito de l’expo, vous écrivez qu’elle s’inscrit dans l’idée d’une « écologie queer qui considère l’ensemble des vivants ». Comment les artistes sélectionnés travaillent-iels cette thématique ?
Frank Lamy : Bobby Sanchez, artiste pluridisciplinaire étatsunien-péruvien·ne non-binaire, presque trentenaire, pratique un rap engagé. Iel y aborde frontalement des questions de genre, de colonisation, de gentrification, de blanchité, de capitalisme dans leurs impacts croisés sur les identités et l’ensemble des vivant·es. Son morceau « Queshua 101 Land Back Please » est devenu un hymne viral sur les réseaux sociaux, écologisant les luttes queers pour porter la voix de toutes les populations privées de leurs terres.
Balthazar Heisch : Roy Köhnke déverrouille les liens qui maintiennent l’organisme sous forme compacte. Comme on déplierait un poumon, comme on déroulerait des neurones. Il formule des corps en vues éclatées qui, ralentis dans le temps d’un Big Bang, nous invitent à régler par le regard l’horloge complexe de leurs machines vivantes. Son geste plastique, s’il est coupant à l’instant T, appartient sur le temps long à la grande famille de l’élastogénèse et pourrait être à l’image ce que la transe est à la psyché : une modalité, aimante et ferme, d’éclatement des chairs ouvertes à la modification structurelle.
Nadège Piton : Roberta Marrero est une artiste et écrivaine née en 1972 à Las Palmas, qui, à notre peine infinie, a rejoint un autre monde cette année. Son travail tendre, punk et grinçant, souvent autobiographique, agrège dessins, collages et poésie pour développer une mythologie personnelle à partir des images de ses héro·ïnes trans et queers, déjouant l’injonction patriarcale à normaliser les identités et les sexualités.
SMITH : Les photographies au smartphone et aux appareils jetables de Darko de la Jaquette composent la possibilité d’un mode de vie queer inédit, où ni la nature, ni les corps, ni la famille ne sont binaires, où tout est fluidité, métamorphose, alliance. Refusant en toute simplicité ce que le néolibéralisme fait aux identités marginalisées, les vies et les images inventées par Darko et sa famille choisie inventent une réalité tissée de solidarités intersectionnelles, d’autosuffisance, de piratage des hormones et des systèmes de contrôle. Une vie nouvelle et joyeuse dans les ruines, les friches, les rocailles, mode d’emploi d’une résilience et d’une résistance possible à notre monde désastré, déboussolé, désidéré.
TRANS*GALACTIQUE, du 18 octobre au 9 février 2025 dans la Petite Galerie. Accès libre
Image à la Une : © Laurence Philomène, « Pré-raphaélite »de la série Puberté, 2019,
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