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Cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques : désir d’appartenance, instrumentalisation et paillettes

Cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques : désir d’appartenance, instrumentalisation et paillettes

La sociologue Fania Noël nous livre à chaud une analyse sur la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Paris 2024, et la politique de représentation des minorités qui y a été déployée. Selon l’autrice afroféministe, il nous faut dépasser nos désirs d’appartenance au récit national.

La cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques a suscité de nombreuses réactions allant de la célébration des minorités représentées aux plus vives critiques de washing. Si les lignes qui distinguent ces réactions ne sont pas binaires gauche/droite, elles traduisent néanmoins des oppositions idéologiques et politiques. Je me propose ici d’analyser comment au cœur de la réception de cette cérémonie d’ouverture se trouvent le désir d’appartenir au récit national français et comment ce désir entre en contradiction avec la possibilité de libération, de justice et d’égalité pour tous·tes.

Le problème réside dans le fait de limiter nos mobilisations antiracistes, féministes ou de classe à des demandes d’inclusion et de représentation. Vouloir être inclus·es dans ce récit national implique d’aligner ses intérêts et ses désirs avec l’idéologie nationale et être prêt·es à la défendre.

Diversité à la française

La France est engagée depuis des années dans une politique du symbolisme qui n’a pas débuté avec la Coupe du monde de football 1998 ni avec le slogan tristement célèbre « Black, blanc, beur ». En effet, la France s’était déjà présentée comme terre refuge pour les Noir·es Américain·es dès le milieu du XXe siècle, en accueillant par exemple Josephine Baker ou James Baldwin. Tout en poursuivant son entreprise coloniale, elle a volontiers surfé sur l’idée que les États-Unis étaient le seul pays à avoir un « problème racial ». Une narration mise en péril par la multiplication d’articles de recherche en langue étrangère, notamment en anglais, sur la réalité du racisme en France.

Ainsi, en adoptant une stratégie visant à régénérer l’idéologie universaliste et républicaine française, particulièrement à l’étranger et notamment dans le monde anglophone, la France affiche « ses couleurs » tout en continuant à proclamer « qu’elle ne les voit pas ». Un des meilleurs exemples de cette ambivalence est la polémique entre Trevor Noah, célèbre animateur du Daily Show, et Gérard Araud, ambassadeur de France aux États-Unis, durant la Coupe du monde 2018. Cette controverse est née d’une blague de Noah sur la composition de l’équipe de France : « L’Afrique a gagné la Coupe du monde. On n’obtient pas ce bronzage en traînant dans le sud de la France. » Outré par la plaisanterie du présentateur, l’ambassadeur lui a adressé une missive, accusant Noah de nier la francité des joueurs et de perpétuer l’idée qu’être Français·e, c’est être blanc·he. Dans une brillante réponse, Noah a défendu sa blague en argumentant que la position d’Araud revenait à effacer l’héritage africain des joueurs.

On peut lire dans le discours de l’ambassadeur de France aux États-Unis sa double position : défendre qu’être Français·e n’est pas une couleur, tout en effaçant l’identité raciale des personnes non-blanches. Comme je l’explique dans mes recherches1, l’idéologie universaliste demande aux personnes non-blanches de consentir à se séparer de leur identité raciale pour être intégrées à la francité et au récit national tout en permettant à l’État d’utiliser cette identité pour se marketer comme progressiste en dehors des frontières hexagonales. Cette opération de transformation symbolique des imaginaires nationaux est développée par l’universitaire afro-américaine Erica R. Edwards dans son livre The Other Side of Terror: Black Women and the Culture of US Empire (2021) : « Alors que le racisme anti-noir continuait de faire le lien entre les Noir·es et la criminalité, la conscience publique américaine présentait également les Noir·es comme un symbole de progrès, avec des figures officielles comme Condoleezza Rice et Colin Powell qui confirmaient l’aptitude de la nation à devenir un modèle de démocratie multiraciale dans le monde. »

Lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques, le corps des personnes noires est perçu comme la manifestation la plus visible de la différence, et donc de l’acceptation de celle-ci. D’autant plus dans un contexte où ces personnes ne portent pas de discours collectif antiraciste. La diversité représentée n’est pas accompagnée de politique, elle s’exprime en faisant de leur présence le lieu de toutes les projections : désir d’appartenance ou haine raciste.

Parler uniquement d’instrumentalisation ouvre la porte à des positions réactionnaires, qu’elles soient misogynes, homophobes ou transphobes.

Être représenté·e, ou le visage de l’empire

La présence de figures, d’icônes et d’artistes issu·es de minorités raciales, de genre ou de sexualité lors de la cérémonie d’ouverture témoigne d’une volonté de son directeur artistique, Thomas Jolly. Ses prises de position publiques montrent que sa démarche va bien au-delà du simple cosmétique ou de l’instrumentalisation. Thomas Jolly a essayé de refléter au fil de différents tableaux la possibilité d’une France « inclusive, diverse ». Son intention a dû se confronter à une double limite : les Jeux olympiques restent une démonstration de pouvoir de l’État français à l’international, et s’inscrivent également dans une stratégie de communication politique de Macron sur la scène nationale. Sans surprise, des lignes très fortes et mobilisatrices de son gouvernement ont été maintenues : l’islamophobie, qui mobilise tant à gauche qu’à droite, exclut du champ visuel les femmes musulmanes visibles. En même temps, la cérémonie se défend de racisme en incluant des personnes arabes ou noires, qui ne sont pas visiblement musulmanes pratiquantes, mais perçues comme telles.

Il est important de reconnaître la sincérité de Thomas Jolly dans sa démarche pour comprendre à quel point le néolibéralisme, tel que porté par Emmanuel Macron, implique la canalisation, la récupération et la marchandisation (symbolique ou monétaire) de tout. La cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques est le reflet de la rencontre entre le cannibalisme macroniste, comparé à Pétain par la presse internationale, et les sentiments, désirs et aspirations des artistes, athlètes, technicien·nes et intermittent·es du spectacle, ainsi que d’une grande partie du public, qui veulent appartenir.

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Les fachos fâchés

Est-ce que le sentiment d’appartenance que certain·es ont pu ressentir, le mirage d’une France « inclusive », peut se traduire en victoire politique, surtout au vu de la façon dont l’extrême droite a réagi à la cérémonie ? Bien que cocasse, l’exaspération de l’extrême droite et de la droite n’est pas une victoire politique. Celles-ci sont connues pour leur allergie à tout ce qui déroge, même superficiellement, à l’ordre matériel et symbolique de la suprématie blanche bourgeoise, et cette aversion s’est illustrée sur les réseaux sociaux avec des critiques qualifiant cette cérémonie de « woke », « anti-France » et « anti-chrétienne ». Tout y est passé : Aya Nakamura, la Garde républicaine, Marie-Antoinette décapitée, et la performance vue comme une représentation de la Cène (ce que Thomas Jolly a démenti en expliquant que le tableau en question faisait référence à la mythologie grecque).

Certain·es ont pointé une hypocrisie de l’extrême droite et de la droite dans cette polémique autour de la Cène, criant au blasphème alors qu’ils défendent le droit d’insulter la religion et ses pratiquant·es quand il s’agit de l’Islam. Cependant, cette remarque comporte selon moi un écueil d’analyse. L’extrême droite ne défend pas le christianisme sur un plan théologique, mais plutôt comme une institution émanant de la suprématie blanche, donc comme garante et symbole devant être au-dessus des principes édictés, hégémonique et ayant droit sur tous et toutes, même non-chrétien·nes. Lorsque W.E.B. Du Bois dit que « la blanchité est la propriété de la terre pour toujours et à jamais. Amen »2, il décrit comment la suprématie blanche, dans son déploiement identitaire (la blanchité), se manifeste par la possession des autres, des institutions (la nation) et du symbolique (l’Histoire, la culture).

L’esthétique de l’Histoire vs la vérité de l’Histoire

Parler uniquement d’instrumentalisation ouvre la porte à des positions réactionnaires, qu’elles soient misogynes, homophobes ou transphobes. Pour éviter cet écueil, il nous faut questionner les politiques basées sur l’aspiration à être représenté·es et inclus·es. Car même si cette cérémonie avait eu lieu sous un gouvernement de gauche, et qu’il n’y avait pas eu d’exclusion islamophobe des sportives portant le hijab, les éthiques féministes, antiracistes et anticolonialistes restent incompatibles avec la célébration d’une puissance militaire impériale (la Garde républicaine) ou des produits de l’accumulation de richesses rendue possible par l’esclavage, la colonisation et la société de classe. Les strass, les paillettes et le spectacle des Jeux olympiques ne peuvent faire oublier que ces derniers ont servi d’excuse parfaite pour renforcer le techno-capitalisme de surveillance, le nettoyage social et l’exploitation des ouvriers. A-t-on oublié Amara Dioumassy, chef d’équipe d’origine malienne, 51 ans, mort le 16 juin 2023 sur le bassin d’Austerlitz ? Macron, Pécresse et Hidalgo ont été en première ligne pour intensifier les évacuations de campements de sans-abri et procéder à des expulsions massives afin d’éloigner les pauvres et les indésirables. Un gaspillage budgétaire qui a sacrifié les étudiant·es du Crous et les Francilien·nes usager·es des transports, tout en accordant une place prépondérante à la police et à la surveillance, avec une utilisation de drones et d’algorithmes jamais vue auparavant.

Le problème réside dans le fait de limiter nos mobilisations antiracistes, féministes ou de classe à des demandes d’inclusion et de représentation. Vouloir être inclus·es dans ce récit national implique d’aligner ses intérêts et ses désirs avec l’idéologie nationale et être prêt·es à la défendre. Une fois inclus·es, même à la marge, il est demandé de prendre fait et cause pour la Nation, y compris pour les politiques qui ont permis cette accumulation de richesses et celles actuelles qui perpétuent ce système sans interroger son histoire. Faire de la représentation un enjeu central et accepter d’être l’un des visages de la France, c’est mettre en avant une esthétique de l’Histoire et ses symboles (le Grand Palais, le Louvre, Marianne), tout en occultant la réalité matérielle de la violence qui a permis à la France de devenir la 5ème puissance mondiale et de réaliser ce spectacle : exploitation, déplacements, expulsions et militarisation de l’espace public.

  1. Fania Noël, Noir in Place. Black Politics, Racialized Gender, and Space in Contemporary France, The New School for Social Research, 2024. ↩︎
  2. W.E.B. Du Bois, Dusk of Dawn: An Essay Toward an Autobiography of a Race Concept, New York, Oxford University Press, Incorporated, 2007. p. 29 ↩︎

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