En ce mois de rentrée des belles lettres, voici une nouvelle chronique de Sarah Bovary, notre littéraire vénère. La polémique suscitée par le roman de Yann Moix l’a poussée à tremper sa plume dans l’encre critique la plus acide.
Lundi 2 septembre, réveil difficile. Je parviens à atteindre ma cafetière et me dirige péniblement vers ma salle de bains. J’ouvre le replay de France Inter et lance l’émission préférée des profs de littérature à la retraite : je parle bien sûr de l’indéboulonnable “Masque et la plume”.
Au programme : la critique du dernier “roman” de Yann Moix “Orléans” qui raconte une enfance de maltraitances. Jérôme Garçin, présente d’emblée le livre comme un “récit” et non un roman “car tout y est vrai”. Une façon de répondre à la polémique qui a commencé la semaine précédente ?
En effet ce “récit”, supposément véridique, a très rapidement été démenti par le père puis le frère de Yann Moix, qui décrivent eux un adolescent violent et nombriliste, qu’une éducation stricte parvenait à peine à canaliser. Et la rumeur court dans le petit monde de l’édition que Moix aurait largement exagéré les accusations portées dans son livre… La lettre d’Alexandre Moix — titrée « Mon frère, ce bourreau » — publiée dans Le Parisien le 24 août a de quoi prendre aux tripes et faire vomir : le petit frère raconte comment par deux fois son aîné a tenté de le tuer, par défenestration et noyade dans la cuvette des toilettes. Il écrit : « En matière de sévices, Yann faisait preuve d’une imagination débordante. Je rêvais d’un frère au cœur d’artichaut, il était mon Orange mécanique. »
Alors ? Qui est fabulateur, qui est dénonciateur ? Et au fond, est-ce cela l’important ?
Le fait est que je ressens une rage difficilement contrôlable à entendre un être aussi abjecte et immonde que Moix se payer l’ouverture d’une institution comme le “Masque et la plume”. Sexisme, antisémitisme, médiocrité intellectuelle : les quelques romans primés qu’il a sorti dans les années 1990 semblent tout lui excuser… Mais va-t-on encore, jusqu’à l’infini, se repaître dans la fange de ces écrivains médiatiques qui n’apportent plus rien à la littérature depuis des années — si tant est qu’ils y aient apporté quoique ce soit un jour — mais continuent à faire couler l’encre à coup de mesquineries et de ragots people ?
On peut aussi se rappeler du cas Christine Angot, qui comme Moix a eu son rond de serviette chez ONPC. Laurent Ruquier sait décidément bien s’entourer…
Critiquée à plusieurs reprises durant son épisode télévisuel, notamment pour la prise à partie extrêmement violente envers Stéphanie Rousseau, elle aussi s’est distinguée pour ses petits arrangements avec la vie privée des autres…
A deux reprises dans “Le Marché des amants” et “Les petits”, Angot fait une peinture caricaturalement sombre de l’ex-femme de son compagnon actuel, Elise Bidoit, qui a porté plainte (et gagné ses deux procès). Un portrait au vitriol justifié selon l’intéressée, par la volonté de dénoncer “la prééminence des mères dans une séparation”. On aura vraiment tout entendu…
Tous les deux s’auto-congratulent, en appellent à Flaubert, Mallarmé, Gide, à la puissance de la littérature, à l’humanité des personnages pour se justifier et masquer une réalité plus prosaïque : tout ce petit cirque garantit surtout une belle couverture presse, y compris people, fait gagner des galons d’auteur “polémique” à peu de frais et surtout, sans prise de risque ni égratignures sur leurs propres égos.
Au jeu du “roman à clés”, peu se sont distingués autrement que par leur capacité à alimenter les ragots : contre une Emilie Frèche qui a recours à l’insulte et à la destruction de l’image d’un enfant de onze ans, on peut sauver Justine Levy qui a su utiliser son drame people personnel pour trouver sa voix d’écrivaine.
A ceux qui préparent déjà un contre-argumentaire pour m’expliquer que je n’ai “rien compris à la vraie littérature”, je répondrai qu’au contraire, j’aime beaucoup trop la littérature pour la voir donner de l’eau au moulin de la presse de caniveau et nourrir les égos hypertrophiés d’une caste embourgeoisée qui pullule jusqu’à la consanguinité à Saint-Germain-des-Prés.
Nous méritons tous mieux que ça. Nous méritons une littérature qui nous élève et nous fasse enfin sortir de la porcherie. Peut-être est-ce la preuve d’un ras-le-bol d’ailleurs, les ventes du roman de Yann Moix se sont tassées.
Recommandation : Si vous souhaitez lire un bon livre traitant de la maltraitance des enfants, Sarah vous recommande “My Absolute Darling” de Gabriel Tallent : un roman beau, terrible et puissant sur l’emprise toxique d’un parent maltraitant et la force que va déployer une enfant pour en sortir.
Image : Reporters/ABACA