Fraîchement sorti de la Femis, William Laboury semble avoir la carrière prometteuse du jeune artiste qui sait saisir et retranscrire l’air de son temps, sans pour autant se contenter de copier/coller une esthétique à la mode qui se substituerait à un discours. Dans la lignée de nouveaux jeunes cinéastes de genre, la thématique du monde virtuel vient briser toute frontière avec celui du réel, se retrouvant à la même échelle, moyen de raconter des histoires aux problématiques nouvelles.
Tu es monteur, graphiste, réalisateur, pour toi ces fonctions sont communicantes ?
William Laboury : La réalisation a quand même pris le pas sur le graphisme et le montage, mais je crois que je n’aimerais pas faire que des films car je trouve ça un peu angoissant de tout le temps faire avec ses propres idées. Je trouve très dur l’étape du scénario où il y a un truc intime à attraper qui peut être inconfortable, même si c’est ce que j’aime au fond dans l’écriture. Quand tu fais du graphisme ou du montage, il y a un interlocuteur et ça devient hyper agréable de chercher des idées pour quelqu’un, de s’investir pour lui. Il n’y a pas cet investissement personnel où tu te dis que c’est ton film dont tu dois assumer tout ce que tu mets dedans.
Tu sors de la Fémis en département montage, tu savais que tu voudrais réaliser où c’est la pratique du montage qui t’en as donné l’envie ?
J’aimais bien réaliser mais je me disais que je n’avais pas assez d’idées pour être réalisateur, et je n’ai pas voulu faire d’école de réalisation car je me disais que c’était trop important pour étudier ça. Je ne voulais pas qu’on m’apprenne à être réalisateur, j’avais une vision un peu romantique du truc. Je me suis dit que le montage était le truc le plus concret et complet, c’est là qu’on travaille les émotions du film, où tu fais en sorte qu’elles adviennent ou pas. Mais réaliser deux films à la sortie de la Femis (Hotaru et Fais le mort) ça m’a aidé à prendre un peu plus confiance en moi et à assumer que j’avais plein d’histoires à raconter. Maintenant ne pas écrire de projets qui viennent de moi me manquerait. D’ailleurs je ne saurais pas réaliser quelque chose que je n’ai pas écrit ; mais si je sais d’où viennent les idées je sais mieux comment les filmer.
Tu montes toi même tes films, tu ne ressens pas le besoin d’un regard extérieur ?
À part pour le clip de Bonnie Banane L’appétit que j’avais monté avec une monteuse, Zoé Sassier. Mais oui, le moment du montage c’est le moment où je me retrouve seul à seul face aux images, face à ce qui marche ou ne marche pas. C’est plutôt intime comme moment, c’est pour ça que j’ai tendance à le faire moi-même. Je montre beaucoup le film en cours de montage par contre, et c’est un peu un art. Il y a des pièges, il faut faire ultra attention à comment tu le fais, à qui tu le montres, combien de personnes, quelles questions tu poses aux gens car c’est risqué et ça peut vraiment t’emmener à de mauvais endroits.
Tu pratiques le found footage, en quoi son utilisation est plus appropriée pour exprimer ce que tu as à dire ?
Pour Hotaru c’est les films de Chris Marker qui m’ont vraiment donné confiance dans le fait qu’on puisse vraiment raconter n’importe quelle histoire avec n’importe quelle image, que tout est possible. C’est trop bien de se dire que maintenant, presque toutes les images existent sur internet, on n’a aucune limite à part notre imagination. C’est ce que nous avait dit mon prof de Français en 3ème : « vous avez accès à n’importe quelle information sur Internet, la seule chose qui vous limite maintenant c’est votre curiosité ».
Et puis la croyance chez les spectateurs m’intéresse, par exemple les films de Yann Gonzalez reposent vachement là-dessus. Ses films donnent envie d’y croire, donc on rentre volontairement dans le film, on s’oblige à évacuer tout ce qui peut nous en empêcher. Des fois on critique un film parce qu’on ne croit pas au jeu, parce qu’on est dans un jugement du film à penser « prouve-moi que ça a vraiment lieu ». Alors qu’en terme de fabrication, je m’intéresse à comment on déclenche un état de « suspension d’incrédulité ». Dans Hotaru par exemple, on voit Martha dormir en gros plan sans jamais voir le hors-champ et l’on accepte qu’elle est dans une navette dans l’espace, juste parce que le film nous le dit et qu’on a envie d’y croire.
Internet vient combler les mêmes besoins que la religion ou la superstition.
Dans toutes tes réalisations tu sembles avoir une fascination pour la technologie et l’ère numérique, qui amènent autant la solitude qu’elle permettent l’évasion…
Par Internet tu peux rencontrer de vraies personnes, mieux que tu ne pourrais les rencontrer dans la vie parce que dans la vie il y a plein de barrières. Sur les jeux comme Second Life les gens parlent très librement, parce qu’ils ne te connaissent pas. Je pense que c’est comme les forums, les gens se rencontrent parfois mieux que dans la vraie vie. Donc Internet c’est beau, mais tu perds aussi un truc. La VR me fascine parce qu’elle fait se juxtaposer ces deux mondes, réel et virtuel : tu as un monde virtuel dans les yeux et les oreilles avec le casque, et un monde réel où ton corps reste. Tes sens croient tellement ce qu’ils perçoivent en VR qu’on ne peut même plus parler de virtuel, l’expérience est complètement réelle. Avec le clip Fangs Out d’Agar Agar j’ai essayé de jouer avec ça. Chose Mentale parle aussi beaucoup de ça indirectement, en parlant de sorties hors du corps. Dans le film, la machine sur laquelle marche Ema c’est une vraie machine de réalité virtuelle, un prototype d’une entreprise basée à Shangaï.
Tu te sens proche d’une potentielle esthétique post internet?
Pour moi ça devient de plus en plus important de parler de ça, parce que les images générées et les images captées se côtoient tout le temps dans notre quotidien… Donc chez moi et chez plein d’autres il y a une nécessité de faire se cogner ces deux types d’images oui. J’ai un peu commencé à le faire dans le clip d’Agar Agar, et j’ai un projet de film un peu à la Roger Rabbit où des personnages en 3D sont intégrés dans des images filmées. En fait on vit avec ce mélange, on marche dans la rue et on regarde notre téléphone et ça nous place dans deux endroits à la fois. Pareil quand on pense à la conversation qu’on a eu il y a 5 minutes avec quelqu’un qui est dans un autre pays sur Skype. Du coup les deux espaces sont côte-à-côte, et moi ça me donne l’impression que les films qui se passent dans un seul lieu et dans un seul temps sont loin de ce qu’on vit aujourd’hui, où on a une nouvelle façon de vivre le temps et l’espace.
Ton prochain film ?
Comme souvent je suis parti d’un fait réel, une entreprise japonaise qui va commercialiser une petite amie virtuelle holographique de vingt centimètres dans une boîte en verre. Les mecs qui n’ont pas le temps d’avoir une amoureuse vont avoir ça chez eux, elle t’attend toute la journée, t’envoie des sms pour te dire que tu lui manques, et lorsque tu rentres le soir elle allume toutes les lumières de chez toi, t’accueille avec une petite danse, te dit bonne nuit…
Le moment où je me suis dit que j’allais en faire en film c’est quand je me suis demandé ce que ça donnerait si c’était elle le personnage principal, si on était dans la chambre avec elle toute la journée à attendre le mec. Qu’est-ce qu’elle pense, est-ce qu’elle a déjà pensé à rompre avec lui, et qu’est-ce que ça donnera quand il ramènera une vrai fille chez lui sous ses yeux ? Normalement on tourne cet été et a priori il s’appellera Yandere, qui est une figure archétypale dans le manga japonais, c’est la fille tellement amoureuse qu’elle est prête à tuer toutes ses rivales.
J’ai entendu quelque part que tu avais employé le terme ésotérique pour parler de ton cinéma. Tu penses qu’on pourrait faire un parallèle entre une croyance mystique et une sorte de culte technologique plus moderne qui entoure pas mal ton cinéma ? Quelque chose qui prenne comme tu disais tellement de place dans nos vies que ce serait comme un autre monde tel que peut l’être la religion ?
Oui, Internet vient combler les mêmes besoins que la religion ou la superstition. Par exemple quand je faisais du spiritisme ado, j’avais envie de parler à des gens que j’avais jamais vu, découvrir un ailleurs, ouvrir une fenêtre mystérieuse. Et Internet c’est vraiment ça. Les inconnus avec qui ont peut chatter, c’est comme des esprits, rien ne prouve qu’ils existent. Pareil pour les images générées en 3D et la réalité virtuelle : à force de devenir de plus en plus réalistes, ces images permettent de vivre des évènements de l’ordre du fantastique ou du surnaturel. Je pense que ça comble une sorte de frustration de ne pas pouvoir assister à des trucs impossibles dans la vraie vie. Pendant longtemps on a vécu ces trucs impossibles au cinéma, mais maintenant ça se passe tout autour de nous en réalité virtuelle, ou alors ça se superpose à la vraie vie en réalité augmentée.
Paradoxalement je trouve qu’il y a une tristesse là-dedans. Si tu fais apparaitre un dragon sur ton lit en réalité augmentée, tu vas vouloir qu’il puisse mettre le feu à ton lit. Mais le dragon ne peut pas. Il a beau te faire croire qu’il est en face de toi, il y a toujours un moment où tu te rappelles qu’il fait partie d’un autre monde.
L’autre chose très liée aux croyances, c’est que j’ai l’impression que quand on glande sur Internet on a une sorte de prédisposition à croire. Ce moment où tu geek parce que tu te fais chier, t’es comme en demande d’aventures, de découvrir des trucs, des récits. Une page wikipedia au hasard. Une théorie du complot inédite. Les fakes news reposent beaucoup sur cette envie d’y croire, et Internet a tendance à créer un petit flou gaussien autour du vrai et du faux. Je ne me le suis jamais formulé comme ça, mais pour les personnages de mon projet de long métrage c’est comme ça que ça se passe. L’histoire de deux adolescentes à la campagne qui veulent arnaquer des gens sur Internet en leur vendant une fausse matière magique, et qui se mettent à croire à la magie de cette matière. Elles sont comme sous l’influence d’Internet, comme on peut être sous l’influence de la Lune.