« What’s what ? » L’expérience curatoriale du collectif marcel

Pouvoir « rassembler des artistes selon le bon plaisir de sa pensée, organiser des expositions comme des points de vue sur le monde » et se réclamer « auteur-e » de ses expositions ? Voilà la définition sans doute communément admise du métier de curateur-trice, et que l’on pouvait lire dans la presse il y a quelques années. Mais est-ce vraiment cette pratique directive du commissariat d’exposition que l’on souhaite soutenir ? Ne faut-il pas plutôt chercher un échange protéiforme entre artistes et curateurs-trices ? Penser des expositions qui ne créent pas un discours à partir des œuvres mais qui permettent aux œuvres d’exprimer toute la complexité de leur discours visuel ? Une vision peut-être plus anglo-saxonne du métier, alors que le terme anglais vient du latin « curare » signifiant « prendre soin », lorsque notre « commissaire » donne des airs de police-artistico-snob.

Le dialogue dans le commissariat d’exposition, c’est ce que met en avant le collectif Marcel en ce moment. Collectif de curatrices et curateurs fondé il y a deux ans et dédié à la présentation de jeunes artistes, Marcel installe du 27 mars au 10 avril une résidence d’artistes à La Passerelle, espace d’exposition de l’Université parisienne Pierre et Marie Curie, pour le collectif What’s What? regroupant les artistes Laura Ben Ami, Bady Dalloul, Kamilla Gabdullina, Antoine Janot et Mao Tao.

Au cœur de cette université scientifique, on découvre alors un espace de travail improvisé, atelier commun pour des artistes aux pratiques multiples, entre sculpture, installation, peinture et cinéma, s’intéressant peut-être tou-te-s plus ou moins au récit et à la mémoire des objets ou des corps de l’individuel au social, entre matérialité et immatérialité, naturel et artificiel, réalité et fictionnalisation.

Une manière de présenter l’art autrement, dans son processus créatif, puisque l’espace est ouvert à tou-te-s, et se clôturera par une exposition-finissage de résidence le vendredi 7 avril.

Antoine Janot, Les Êtres du brouillard, court-métrage 8min, 2016

« L’association Marcel évolue selon les projets sur lesquels on s’engage. Ce projet avec le collectif What’s What? nous a beaucoup apporté, puisqu’en travaillant sur leur collectif, nous avons travaillé en parallèle sur notre collectif de commissaires. Jusque là nous avions dirigé des expositions, mais avec ce projet on s’oriente du côté de la production » Guilhem Monceaux – collectif Marcel.

© Kamilla Gabdullina

Le dialogue entre les deux collectifs dure depuis mars dernier, et cette résidence est une étape intéressante pour What’s What?, encore en construction, s’interrogeant sur son identité.

© Kamilla Gabdullina, Building Site #2, 2015

« Ça fait bientôt deux ans que l’on souhaite travailler ensemble avec Laura, Bady, Antoine et Mao. Au fur et à mesure What’s what ? a commencé à se construire, également avec Marcel. Pour nous ce workshop est l’occasion de travailler dans le même espace pour la première fois. » Kamilla Gabdullina – Collectif What’s What ?

« Nous sommes tou-te-s ami-e-s, la majorité d’entre nous étant aux Beaux Arts de Paris, et ce qui nous définissait le plus, en fin de compte, c’était cette interrogation : Qu’est ce qu’on est ? Qu’est ce qu’on cherche ? What’s What? c’est ça. Bien que nos travaux soient très différents, il y a une affinité artistique et une envie de travailler ensemble. » Laura Ben Ami – Collectif What’s What?

© Bady Dalloul, ScrapBook, 2016
© Bady Dalloul, ScrapBook, 2016

« Après les premières rencontres pour se découvrir entre le collectif Marcel et What’s What?, on a décidé de construire des binômes artistes-curateurs. C’était une étape importante, parce qu’on s’accompagne vraiment dans nos parcours mutuels de curateurs et de créateurs. On peut être à côté de l’artiste au moment de la création, de la conceptualisation, des questionnements… Et non pas le commissaire d’exposition qui simplement coordonne, choisit et dispose les œuvres. Ce n’est pas cela être commissaire d’exposition, tel qu’on l’imagine entre nous. » Marianna De Marzi – collectif Marcel

© Bady Dalloul, Tokeru, 2015

« Le commissariat d’exposition c’est une activité qui se fonde sur la recherche, et c’est aussi ce qui prend sens aujourd’hui avec ce projet. En tant que commissaire d’exposition, c’était très enrichissant d’avoir ce rapport privilégié de dialogue avec une artiste [en binôme avec Laura], de pouvoir discuter aussi librement, être guidé par le discours des artistes. C’était un accompagnement mutuel » Dimitri Levasseur – collectif Marcel.

« En tant qu’artiste, l’échange nous pousse à nous dévoiler. En discutant, en nous donnant certaines références, il nous pousse aussi à aller un peu plus loin, car parfois on n’a pas le recul suffisant sur notre travail. » Laura Ben Ami – Collectif What’s What?

Avec ou sans utopie, alors que les artistes se transforment eux-mêmes souvent en commissaires d’exposition, cette vision d’un commissariat prenant en compte l’artiste et reposant sur un véritable dialogue doit inspirer notre génération. Ainsi l’association Jeune Création, avec l’exposition DP2F en septembre dernier, répondait sur le ton du manifeste au chaos de ces « expositions dont les œuvres se répondent sur le mode d’un dialogue factice ». Le Prix Dauphine pour l’art contemporain, depuis deux ans, met en avant la collaboration commissaires-artistes. L’exposition « Rien ne nous appartient : Offrir », proposée par Flora Katz à la fondation d’entreprise Ricard en ce moment, est le résultat d’une résidence avec les artistes qui « a mené à une décision commune pour le projet et a impulsé des œuvres individuelles » pour se plonger dans la part d’incertain des œuvres d’art.

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Opposition, collaboration, mise en forme d’idées communes… des exemples de prises de positions à multiplier, pour un commissariat de l’expérience collective, qui ne dirige pas, mais interroge l’œuvre, l’artiste et l’exposition.

Antoine Janot et Cyprien Leduc, Le sommeil de la foule, 2013

La résidence du collectif What’s What? s’inscrit à son niveau dans ces questionnements. Prolongation de la rencontre initiale entre artistes et commissaires, « l’objectif n’est pas nécessairement de montrer des pièces finies. C’est un temps d’expérimentation plus qu’un temps d’achèvement » (Guilhem Monceaux). Sans prétention, donc, et plutôt un investissement humain et matériel créant les conditions de l’échange.

Mao Tao, Fishing the moon, installation, 2016

Pour rencontrer les artistes et les commissaires, rdv au finissage de la résidence d’artistes le vendredi 7 avril ! ou dans l’atelier ouvert du lundi au vendredi entre 14 et 18h, espace La Passerelle de l’UPMC

Sont membres du collectif Marcel : François Dareau, Fanny Duverger, Victoria Gautier, Hannah Kreile, Cassandre Langlois, Dimitri Levasseur, Juliette Lebourg, Marianna de Marzi, Guilhem Monceaux, Baptiste Roulin, et Franck Calard.

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