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Dans le Vivant, rencontre avec Thylacine.

Dans le Vivant, rencontre avec Thylacine.

Thylacine

Thylacine, alias William Rezé, nous l’avions déjà rencontré à Rock’n’Solex en 2015. Puis, il nous a hypnotisé au Quai Branly, un soir de février. Installation vidéo fascinante dans un endroit du musée. Lui, et quelques morceaux de Transsiberian, son premier album, composé à bord du Transsibérien. Nous, nous levant des fauteuils. Transportés par cette électro toute singulière, et ses images.

Alors on a voulu le rencontrer, encore, au Pont du Rock 2016, à Malestroit. Lui demander de nous raconter toutes ses mélodies électro, et ses paysages visuels, sur un fond de Rover, qui ne jouait pas très loin.

Manifesto XXI – Bonsoir Thylacine.  Manifesto XXI t’avait déjà rencontré, c’était en 2015 à Rock’n’Solex. Depuis, tu as fait énormément de choses, il y a eu le Transibérien, et donc l’album Transsiberian, il y a eu la Cigale, le Quai Branly, un documentaire, Thylacine 05022016 … Tout va bien, tu arrives à suivre ?

William : (Rires) Bien sûr ! C’est juste qu’il y a pas mal de travail, mais c’est cool,  je suis hyper content. Ce qui est bien, en plus, c’est que ce sont des projets assez variés, et c’est aussi ce qui permet de sortir d’une routine avec juste plein de concerts et des sorties d’albums.

Manifesto XXI – On voulait savoir, comment as-tu vécu ton retour de Russie, les réactions par rapport au documentaire ? 

William : Ah oui, les réactions… Parce que c’est vrai que le retour était hyper dur. (Rires) Pour mon entourage, j’étais vraiment infect pendant quelques jours parce que quand tu vis des choses comme ça, très fortes, le retour est difficile. Mais c’était pratique puisque dès que je suis rentré, deux jours après j’avais une date à La Réunion, et ça m’a fait voir d’autres choses donc c’est passé vite. Mais j’étais vraiment infect. C’est comme ça ! Ce sont des moments assez bizarres parce que tu ne peux pas tout raconter. Même si le documentaire montre une grande partie, il ne montre pas non plus tout ce que tu as vécu. Donc tu essaies un peu de raconter et d’expliquer.  Et finalement, je ne me rappelle pas trop de la réaction des gens après, parce que moi j’étais un peu ailleurs à ce moment-là. Un peu déconnecté. J’ai enchaîné directement avec plusieurs concerts, et il y avait la Gaité Lyrique une semaine après. Tout le monde était hyper content de voir que ça avait super bien marché, qu’on avait fait plein de rencontres… En plus, j’étais revenu avec de quoi faire un album !  Mais c’était un rapport à la musique où je gardais un peu tout pour moi, je gardais les morceaux que j’avais fait, le temps de finir ça en studio.

Manifesto XXI – Depuis l’album il y a eu peu de nouvelles productions, seulement un remix de Yael Naim dans l’hiver si mes souvenirs sont bons ?

William : Oui, mais c’était il y a longtemps.

Manifesto XXI – Et du coup, c’est quoi la suite niveau productions et sorties ? 

William : Là,  j’ai recommencé à composer depuis quelques temps. Je suis sur plusieurs projets. Le premier qui me prend un peu de temps en ce moment, c’est que je bosse sur la BO d’un film, cet été. Je suis très content, c’est un film vraiment cool, un film français qui m’a plu et qui sortira bientôt en salle.  C’est un chouette projet.  Sinon, je compose pas mal. Je me presse pas à sortir un truc tout de suite, mais je pense que je sortirai au moins un morceau, ou un EP en fin d’année.

Manifesto XXI – Tu décris ta musique comme de l’électronica, tu as déjà travaillé avec les beatmakers Fakear et Superpoze, pourtant musicalement tu sembles aussi proche de la techno mélodique et de ses rythmes plus « binaires ». Pour toi, quelles sont tes influences, de qui te sens-tu proche ? 

William : En fait, je ne sais pas trop me décrire. Je mets ça parce que electronica, personne ne comprend, donc c’est très bien. (Rires) Moi, la définition qui me plaît dans electronica, c’est que c’est une musique électronique pas forcément faite pour le club quoi. C’est une musique électronique qu’on écoute, ça j’aime bien. Mais je ne sais pas trop, sinon, quand je mets pas ça, je mets « quelque part entre la trip hop et la minimal. »

Manifesto XXI – En parlant de minimal justement, tu as été remixé par Michael Mayer…Qui est un gros maître de la minimal ! 

William : Oui, carrément !

Manifesto XXI – C’est toi qui l’a contacté ? 

William : Oui ! C’est parce que l’un de mes deux éditeurs est allemand. Quand j’étais à Berlin j’avais fait une soirée Kompakt et j’ai pu rencontrer quelques personnes du label Kompakt, et cela s’était plutôt bien passé. Du coup quand l’album est sorti et que j’ai commencé à chercher des remixeurs, on lui a direct envoyé l’album en espérant qu’il l’aime bien, et qu’il puisse nous faire un mix ! Il a vraiment accroché, et donc c’était hyper cool d’avoir un mix de Michael Mayer…

Manifesto XXI – Tu m’étonnes ! Et toujours dans les histoires de labels, avec Ruben Elbase toi tu as créé Intuitive Records, quel est votre objectif avec ce label ? 

William :  Je commence à produire des jeunes artistes. C’est vraiment le début. On va sortir un EP à l’automne, d’un groupe absolument inconnu que j’ai aidé un peu sur la direction. On a plusieurs projets. J’ai rencontré un ami au Canada, on va s’occuper de la sortie de son EP en Europe aussi. On aide des petits groupes, on leur permet d’être distribués digitalement, et même physiquement si besoin. A la base, moi j’ai monté ce label pour avoir mes projets indépendants d’une part,  parce qu’avec mon manager on se rendait compte qu’on avait les capacités de le faire. Notamment des projets comme Transsibérian étaient compliqués à conjuguer avec une major…C’est tellement particulier, moi je sais exactement ce que j’ai envie de faire sur des projets comme ça, je suis beaucoup trop borné pour bosser avec d’autres personnes. C’est pour ça qu’on a créé ce label, et puis on a dans l’idée de monter une petite famille, d’aider d’autres personnes, de faire profiter à d’autres groupes débutants ce qu’on a réussi à acquérir sur Thylacine. Intuitive Records n’a pas vocation à être un gros label, pour l’instant.

Manifesto XXI – Tout à l’heure, tu disais que le mot electronica est cool parce que c’est pas club, et pourtant quand on écoute ta musique, il semble y avoir une évolution qui va de plus en plus vers le dansant et peut-être un petit moins vers le côté réflexif. C’est quelque chose que tu as décidé sciemment, ou qui se fait naturellement ? 

William : Dans tous les cas, je n’arrive à rien décider sur ma musique ! Je suis juste ce qu’il se passe… A chaque fois que je me dis  « Ah, je vais faire un morceau club / Ah, je vais faire un morceau planant », je fais exactement l’inverse. Je n’ai aucune maîtrise là-dessus. Quand tu fais de la musique électronique, il y a le début où tu fais quelque chose qui n’est pas forcément très bon en production, qui ne sonne pas très dansant. Et puis après, tu découvres des morceaux plus punchy, donc tu as envie de creuser vers ce côté-là. Après, cela n’a jamais été une fin en soi, et dans l’album Transsibérian, il y a un peu de tout. Par exemple, Moskva qui est assez dansant ou Memories qui est ultra planant… J’ai l’impression que je suis toujours entre les deux, ça me plaît absolument pas de faire un truc entièrement que pour le club. Mais c’est aussi une musique que j’aime bien dans son rapport au public.  En festival aussi, notamment ce soir, je vais forcément modifier ma façon de jouer pour quelque chose de plus dansant et festif. Je navigue toujours un peu entre les deux.

Manifesto XXI – Tu as une maîtrise complète du live dans le sens où tu peux en modifier tous les paramètres à tout moment ? 

William : Oui  ! C’est quelque chose de très important pour moi, et c’est ce que j’adore en musique électronique. Le fait d’être seul sur scène. J’agis vraiment en tant que chef d’orchestre, c’est-à-dire qu’il n’y a aucun morceau écrit, donc c’est à moi de faire toutes les constructions des morceaux. Tout se fait à la main. C’est intéressant car cela apporte du risque : il y a  parfois des accidents, mais ce n’est pas forcément négatif… Il y a des accidents qui sont positifs, qui permettent de comprendre de nouvelles choses, que tu vas garder. Et puis, ça permet d’adapter ce que tu fais en fonction de ce qu’il se passe. Moi c’est ce que j’ai envie d’avancer en musique électronique. Je retiens du jazz, un côté très vivant et lié à l’instant, à l’ambiance, aux gens, à comment tu es… Et justement, en électronique, c’est un peu trop écrit, et pas très vivant ! C’est ce que je n’aime pas trop, j’ai envie que ça bouge, qu’il y ait même des défauts… Mais qu’il se passe quelque chose !

Manifesto XXI – A côté de ta formation musicale, tu es aussi plasticien, puisque tu as fait les Beaux-Arts, l’image ça compte donc beaucoup pour toi ? 

William : Oui, carrément ! La plupart des travaux que j’ai fait aux Beaux-Arts c’était justement de la recherche sur tous les liens que pouvaient avoir musique et image. J’ai pas mal bossé sur les partitions, par exemple.

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Manifesto XXI – Parce que finalement, quand on écoute ta musique, c’est une musique très visuelle. D’une part, il y a les photographies qui accompagnent le vinyle, il y a les vidéos, et en même temps quand on écoute, il y a tout de suite des images qui nous viennent en tête, avec les chants par exemple. Est-ce que c’est une façon de se rapprocher des gens en voulant partager son voyage, ou créer des connexions artistiques un peu nouvelles ? 

William : Sur Transsiberian, c’était un truc qui m’intéressait, c’est-à-dire que j’aime bien pouvoir montrer le contexte de la création d’un morceau, et ceux qui ont plus ou moins participé au morceau. J’adore ça. Quand tu connais l’histoire d’un morceau, tu as des choses qui te viennent en tête, tu comprends le morceau différemment, tu as une vision moins plate, c’est comme si tu voyais le morceau un peu en 3D avec son histoire, son vécu. C’était un peu ça Transsiberian, c’était tout livrer au public. Ne pas seulement offrir de la musique, mais aussi l’environnement autour des morceaux, et les rencontres.

Transsibérian
Crédit Photo : http://www.intuitive-records.com/transsiberian

Manifesto XXI – Justement par rapport à la conception graphique, c’est Laetitia Bély, qui assure le Vjing, mais tu disais aussi que tu aimes bien travailler seul… Du coup, est-ce que tu avais des idées bien arrêtées sur ce que devait être le visuel du live, ou alors est-ce que c’est un domaine que tu lui laisses entièrement ? 

William : A la base, c’est moi qui lui ai appris à faire ça, car je bossais ça à côté de la musique ! J’ai découvert des logiciels pour faire ça. Et du coup je lui ai montré, je lui ai appris, et maintenant elle est beaucoup plus forte que moi ! Et on a commencé ensemble. Elle a fait ses premiers pas sur les concerts de Thylacine. J’avais une idée assez arrêtée de ce que je voulais, on a travaillé longtemps ensemble au début, pour faire quelque chose qui soit intéressant. Pour elle aussi, rien n’est écrit. C’est-à-dire qu’elle est en régie avec un gros contrôleur, elle active tout, elle fait tout réagir en temps réel. Elle donne  son interprétation de la musique que je fais. C’est une sorte de duo, même si on ne la voit pas. Maintenant, je lui fais entièrement confiance, je vais juste l’aider ou la diriger quand il y a vraiment des créations, pour certains des nouveaux morceaux de l’album. Voilà l’intérêt de bosser avec des gens, c’est qu’au bout d’un moment il y a une relation qui se crée, les gens savent ce que toi tu aimes, et ce dont tu as envie. Tu leur laisses une liberté totale.

Manifesto XXI – Depuis le documentaire, on sait que tu lis Stephen Hawking, pour garder les pieds sur terre, et sinon comme genre de films tu regardes quoi ? 

William : J’aime bien les films de Science-Fiction ! Dans mes films préférés, il doit y avoir des films comme Minority Report. Mais j’aime un peu tout. Des films d’histoire, par exemple. Je ne sais pas, dernièrement le film que j’ai vu c’était… Je me rappelle plus du titre. Cela se passe après la guerre en Allemagne, c’est un juriste qui essaie d’inculper tous les nazis. (Ndlr Le labyrinthe du silence de Giulio Ricciarelli 2015) Rien à voir avec ce que je fais, mais c’est des films que je trouve intéressants, et qui ont un réel intérêt. Il y a un intérêt cinématographique mais aussi un autre intérêt, celui où tu comprends que lui il est dans une Allemagne où personne ne connaissait Auschwitz.

Manifesto XXI – Petite dernière question, on a pu te voir en février 2016 au  » Before en Terres Chamanes  »  organisé par le Quai Branly, comment as-tu vécu ce moment ? 

William : Hyper bien ! C’était une bonne surprise, ils se sont fait dépasser au musée parce qu’il y avait beaucoup trop de monde. J’ai refait un concert là-bas pour les dix ans du Quai Branly, en juin, on va le mettre en ligne bientôt, je l’ai entièrement filmé. J’ai vraiment fait une création musicale cette fois, ils m’ont donné accès à tous les enregistrements ethniques et tout ce qu’ils avaient. Et à Laetitia aussi pour la vidéo. Et du coup, on a travaillé quelque chose là-dessus où je faisais dialoguer des enregistrements avec des bouts de morceaux existants, j’ai composé un morceau exprès pour cette performance. Moi j’adore travailler avec des musées comme ça, on a une chance de fou, d’avoir une vie culturelle active. On se rend pas trop compte de cette chance en France. Ce sont des évènements géniaux, c’est super qu’il y ait des liens entre la musique actuelle et des musées comme ça. Il n’y a pas énormément de pays où il peut y avoir des évènements comme ça, c’est d’une richesse folle.

Manifesto XXI – C’est vraiment récurrent avec le Quai Branly en plus ! 

William : Oui, ce sont des personnes vraiment cools qui bossent là-bas, j’avais bossé aussi avec le Centre Pompidou. Il peut y avoir des événements géniaux, et le Quai Branly notamment fait des choses très biens. Les siestes électroniques en été, par exemple… C’est vraiment bien !

Manifesto XXI – Merci Thylacine !

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